Journal d’une femme en blanc
France, Italie : 1965
Titre original : –
Réalisation : Claude Autant-Lara
Scénario : Jean Aurenche, René Wheeler
Acteurs : Marie-José Nat, Jean Valmont, Claude Gensac
Éditeur : Gaumont
Durée : 1h49
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 28 avril 1965
Date de sortie Blu-ray : 13 avril 2022
Claude Sauvage termine son internat de gynécologie. Elle veut aider les femmes à avoir des enfants « désirés ». Un jour, elle se trouve face à Mariette victime d’un avortement clandestin. Bouleversée par sa mort, enceinte à son tour, Claude décide de lutter pour les femmes, l’amour de la vie et de la liberté…
Le film
[4/5]
Sortir Journal d’une femme en blanc de Claude Autant-Lara en Blu-ray aujourd’hui, c’est un peu la réponse de Gaumont à la sortie du film L’événement, lauréat du Lion d’Or à Venise en 2021. Une façon de démontrer par l’exemple le courage de l’équipe du film qui, en 1965, pointait déjà du doigt les luttes qui mèneraient, 10 ans plus tard, à la loi Veil du 17 janvier 1975 qui permettraient de dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse en France.
Car tout ce que montre aujourd’hui le film d’Audrey Diwan, ce propos « audacieux » qui fut salué à Venise mais également à la cérémonie des Lumières et à celle des César début 2022, Journal d’une femme en blanc l’affirmait déjà haut et fort il y a 57 ans, en élargissant d’ailleurs largement son propos non seulement à la place de la femme dans la société des années 60, mais également à celle des noirs en France à l’époque, qualifiés avec mépris de « nègres » sans que cela ne choque personne.
Au-delà de sa nature de romance populaire légèrement fleur bleue et facile d’accès, Journal d’une femme en blanc permettait donc à Claude Autant-Lara de nous proposer une véritable radiographie sociale du pays, qui s’avère, avec le recul, absolument passionnante. A une époque où l’usage de contraceptifs était encore interdit, le film met en scène plusieurs femmes ne désirant pas avoir d’enfant, pour diverses raisons, et confronte leurs propos avec le mur des tabous et des mœurs de la France de 1965.
La société française, telle qu’elle est dépeinte dans Journal d’une femme en blanc, est dominée par les hommes. Les femmes y sont constamment rabaissées, n’ont pas leur mot à dire et « subissent » le désir de la gent masculine, au point que même les traditionnelles blagues de potaches entre étudiants en médecine peuvent finalement frôler le drame. Même si la fin du film laisse augurer d’un peu d’espoir, le message que fait passer Claude Autant-Lara est sombre, et on ne peut à nouveau que saluer le courage du cinéaste, qui signait ici une œuvre profondément féministe, rendant aux femmes le droit de disposer de leur corps, et évoquant frontalement des sujets tels que le contrôle des naissances, la pilule ou l’avortement.
Car contrairement à ses collègues hommes, ou aux femmes soumises à la phallocratie ambiante, Claude (Marie-José Nat) tente de comprendre les raisons se cachant derrière tel ou tel avortement clandestin – on pense par exemple à cette séquence durant laquelle elle découvre l’hôtel miteux où réside sa patiente Mariette (Paloma Matta), et où il semble clairement impossible d’élever un bébé dans de bonnes conditions. « Ce sont des lois pour les pauvres » déclare-t-elle en pensant à la jeune femme, morte du tétanos après avoir subi un avortement clandestin.
Journal d’une femme en blanc élargit également le débat à l’ambition professionnelle féminine, et à la résilience nécessaire afin de trouver sa place et d’exister dans un monde d’hommes. Dans la peau de l’héroïne Claude, Marie-José Nat parvient à insuffler assez d’espoir et d’humanité dans sa prestation pour s’avérer convaincante. A ses côtés, on notera la présence de Claude Gensac, popularisée par sa longue collaboration à l’écran avec Louis de Funès, ou encore de Daniel Ceccaldi dans la peau d’un inspecteur de police un peu trop zélé.
Trouvant un écho certain dans la société de 1965, Journal d’une femme en blanc rencontra un beau succès dans les salles obscures : 2,3 millions de français viendraient suivre les états d’âme de l’infirmière Claude, adaptés par Jean Aurenche et René Wheeler du roman d’André Soubiran. Suite au plébiscite public du film, Claude Autant-Lara et Jean Aurenche remettraient le couvert en 1966 avec Une Femme en blanc se révolte, également connu sous le titre Nouveau journal d’une femme en blanc, toujours adapté d’un roman d’André Soubiran. Le rôle de Claude y serait tenu par Danielle Volle, et le film réunirait un peu plus de 884.000 français dans les salles.
Le Blu-ray
[4/5]
Journal d’une femme en blanc vient donc de pointer le bout de son nez en Haute-Définition grâce à l’acharnement de Gaumont à nous proposer, avec régularité, des films de catalogue un peu oubliés mais souvent passionnants. Le film de Claude Autant-Lara rejoint à cette occasion les rangs de la prestigieuse collection Blu-ray Découverte de l’éditeur (parfois également appelée Gaumont découverte en Blu-ray). Côté Blu-ray, la définition est précise, le noir et blanc riche et parfaitement saturé, les noirs sont profonds, et la restauration a pris soin de préserver le grain argentique d’origine. Bien sûr, les plans « à effets » (générique, mentions écrites, fondus enchainés) accusent des effets du temps, mais le reste est d’une propreté et d’une stabilité tout à fait étonnantes. Côté son, le film est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0, et l’ensemble nous est présenté dans un mixage clair, net et respectueux de l’acoustique d’origine.
Du côté des suppléments, on trouvera un entretien avec Robert Benoît (16 minutes), directeur et fondateur de la compagnie Pic’Art Théâtre, qui incarnait le personnage du jeune Yves – le mari de la pauvre Mariette, morte du tétanos – dans Journal d’une femme en blanc. Il reviendra sur ses années de formation, de sa rencontre avec Raymond Rouleau jusqu’au Conservatoire d’Art Dramatique, et évoquera son premier rôle au cinéma devant la caméra de Claude Autant-Lara. Il nous dressera pour l’occasion un portrait assez amusant du cinéaste, qui visiblement était doté d’un sacré caractère. Il reviendra également sur la personnalité de Marie-José Nat, assez distante et un peu « star ».