Outsiders
États-Unis : 1983
Titre original : The Outsiders
Réalisation : Francis Ford Coppola
Scénario : Kathleen Rowell
Acteurs : C. Thomas Howell, Matt Dillon, Tom Cruise
Éditeur : Pathé
Durée : 1h43
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie cinéma : 7 septembre 1983
Date de sortie BR/4K : 10 décembre 2025
Tulsa, Nouveau Mexique, 1966. Deux bandes rivales s’affrontent. D’un côté les Greasers, délinquants issus des quartiers pauvres, adeptes de la gomina et des tee-shirts blancs moulés et de l’autre, les Socs, gosses de riches arrogants qui roulent dans des Plymouth rutilantes. Au cours d’une bagarre, Johnny Boy, le bad boy des Greasers, tue un membre des Socs…
Le film
[4/5]
Francis Ford Coppola et George Lucas, deux copains de fac qui ont fini par jouer au Lego avec leurs propres films, et par réécrire l’histoire du cinéma à coups de versions alternatives, de montages revisités et de bricolages temporels. Si George Lucas a caviardé ses anciens films d’Ewoks numériques et de sabres laser qui brillent plus fort que les phares d’une Tesla, Coppola quant à lui s’est régulièrement amusé à remodeler ses fresques familiales, ses films de guerre, ses films musicaux et ses drames adolescents, à la façon d’un sculpteur qui n’est jamais satisfait de la forme finale. Avec Francis Ford Coppola, le temps passé à la table de montage au moment de la sortie d’un film n’est qu’une répétition générale. Comme Dementia 13, Apocalypse Now et Coup de Cœur, Outsiders existe donc dans plusieurs montages : la version cinéma (1h32), plus ramassée, et la version « The Complete Novel » (1h55), sortie vingt ans plus tard, qui rallonge la sauce narrative et redonne aux personnages une densité proche du roman original de S.E. Hinton. Coppola, en bon révisionniste, a décidé que ses films étaient des organismes vivants, capables de muter selon les époques et les publics. Ainsi, un film de Coppola n’est jamais figé, mais susceptible d’évoluer au gré des envies, des technologies et des humeurs. Lucas avait son Greedo qui tire le premier, Coppola a ses Greasers qui pleurent plus longtemps.
L’histoire de l’affrontement entre Greasers et Socs, au cœur de l’intrigue de Outsiders, n’est pas seulement une bagarre de cour de récré prolongée à coups de couteaux et de regards noirs. C’est une parabole sur la jeunesse américaine des années 60, coincée entre la pauvreté et le rêve d’ascension sociale. Les thématiques du film – la fraternité, la violence, l’injustice sociale – s’entrelacent avec sa mise en scène. Francis Ford Coppola filme ses adolescents comme des héros tragiques, éclairés par des halos de lumière qui rappellent Autant en emporte le Vent. Mais on le sait, avec Coppola, le formalisme n’est jamais gratuit : chaque plan large sur Tulsa devient une fresque sociale, chaque gros plan sur les visages juvéniles révèle la fragilité derrière la posture virile. La mise en scène de Outsiders joue constamment sur les contrastes. Les scènes de nuit, avec leurs éclairages expressionnistes, rappellent le cinéma classique hollywoodien. Les scènes de jour, plus réalistes, ancrent le film dans une chronique sociale. Ce mélange crée une esthétique hybride, à la fois stylisée et authentique. Coppola ne choisit pas entre le réalisme et le lyrisme : il les marie, comme deux amants improbables qui s’embrassent derrière un supermarché.
Outsiders s’inscrit dans une époque où Hollywood aimait les gangs adolescents (Les Guerriers de la Nuit, Rusty James, Bad Boys, Tex, Le Fleuve de la mort, Young Guns…). Ces films partagent une même obsession : montrer des jeunes qui se battent pour exister, coincés entre l’enfance et l’âge adulte. Cela dit, Outsiders se distingue par sa volonté de transformer la chronique sociale en opéra visuel. Coppola ne filme pas des bagarres, il filme des chorégraphies de survie. Toute la beauté du film tient d’ailleurs dans ses contradictions. Il parle de misère, mais il ressemble parfois à une pub pour shampooing, avec ses acteurs beaux gosses aux cheveux brillants et aux sourires enjôleurs se déplaçant dans des ralentis élégants. C’est un film qui montre la brutalité mais qui la transforme en ballet. Cette tension entre le fond et la forme crée une poésie étrange : les coups de poing deviennent des vers libres, les larmes deviennent des notes de musique. Et Coppola est le chef d’orchestre de cette symphonie adolescente, où chaque cri est une trompette de mal être et chaque silence un violoncelle de spleen, en mode « de toute façon personne ne m’aime dans cette baraque ».
Les Greasers se battent, se vantent, se défient, mais derrière leurs postures se cachent des blessures profondes. Coppola filme cette fragilité masculine avec une délicatesse rare, montrant que la virilité n’est qu’un masque. Dans ce sens, Outsiders anticipe des débats contemporains sur la « déconstruction » et/ou la masculinité toxique. Il s’agit certes sans doute d’une grille de lecture trop moderne pour un film de 1983, mais le film insiste tout de même beaucoup sur les scènes de larmes et de câlins entre hommes, sans pour autant verser dans l’homo-érotisme : Coppola y souligne juste le fait que les hommes pleurent aussi. Alors bien sûr, comme souvent, le cinéaste, très sûr de lui et de son emphase lyrique et visuelle, commet quelques excès, qui apparaissent aujourd’hui comme de grosses maladresses. Certains dialogues sentent la naphtaline, certaines scènes sont trop appuyées. Mais c’est précisément cette naïveté qui fait le charme du film, et du cinéma de Coppola en général.
Le Blu-ray 4K Ultra HD
[4,5/5]
L’édition Blu-ray 4K Ultra HD d’Outsiders (renommé The Outsiders pour l’occasion) est éditée par Pathé. Il est présenté dans un boîtier surmonté d’un étui cartonné, avec les trois disques bien rangés comme des frères Greasers alignés pour la photo de classe, et surtout la promesse de retrouver à la fois la version cinéma (1h32) et la version « The Complete Novel » (1h55). Coppola, fidèle à son obsession révisionniste, offre donc deux visions complémentaires de son film, et Pathé les emballe avec un soin qui ferait rougir un Soc en costard. Côté master, la restauration 4K est une petite claque. Le film est étalonné en HDR10 + Dolby Vision, et l’ensemble nous permet de redécouvrir Tulsa comme jamais : les nuits de bagarre s’illuminent de contrastes plus profonds, les couchers de soleil deviennent des fresques romantiques, et les visages des jeunes acteurs brillent d’une intensité presque mythologique. Les noirs sont denses sans jamais boucher, les couleurs saturées mais pas criardes, et les détails foisonnent : on distingue la poussière sur les vestes en cuir, les mèches rebelles dans les cheveux de Matt Dillon, et même les imperfections de la pellicule qui rappellent que le cinéma est une matière vivante. Le travail de Gregg Garvin (coloriste) et de Stephen H. Burum (chef opérateur) est respecté : l’équilibre entre authenticité et modernité est atteint, et l’on évite l’effet « botox numérique » qui gâche tant de restaurations. Côté son, la VO bénéficie d’un mixage DTS-HD Master Audio 5.1, ample et enveloppant, qui donne aux bagarres une dimension quasi opératique. Les dialogues restent clairs, les ambiances de Tulsa respirent, et les chansons d’Elvis ajoutées dans « The Complete Novel » trouvent une nouvelle jeunesse. Pour les puristes, une piste VO en DTS-HD Master Audio 2.0 est également présente, respectant le mixage original. La VF, en DTS-HD Master Audio 2.0 fait parfaitement le job : les voix sont un peu plus plates, mais restent audibles et fidèles à l’époque. On ne va pas chipoter : l’essentiel est là, et l’expérience sonore reste cohérente.
Côté bonus, on commencera avec le Blu-ray 4K Ultra HD, qui dispose de deux commentaires audio : celui du casting (C. Thomas Howell, Matt Dillon, Diane Lane, Ralph Macchio, Rob Lowe, Patrick Swayze), enregistré en 2003, et celui du réalisateur Francis Ford Coppola lui-même. Le premier est vivant, drôle, parfois digressif, avec des anecdotes savoureuses sur le tournage et des réactions spontanées. Le second est une véritable encyclopédie : Coppola y détaille ses choix esthétiques, ses inspirations, ses hésitations, et son processus de remontage. Deux approches complémentaires, qui enrichissent la compréhension du film. Pour les autres suppléments, attention : comme sur l’édition 4K de Coup de cœur dont on vous parlait hier, le reste des bonus est dispatché sur un Blu-ray dédié, qui s’impose comme une véritable caverne d’Ali Baba. Pathé a réuni un ensemble de bonus qui ferait pâlir d’envie n’importe quel fan de Coppola. Les documentaires sont nombreux et variés.
L’introduction de « The Complete Novel » par Francis Ford Coppola (11 minutes) revient sur la genèse du projet et la restauration 4K. La restauration de The Outsiders (19 minutes) est passionnante pour les amateurs de technique : on y parle de scanning, de colorimétrie, de HDR, avec des comparaisons d’images qui montrent l’évolution entre la restauration de 2005 et celle de 2021. Un regard d’Outsider (8 minutes) permet à Coppola de commenter quelques scènes clés, tandis que l’entretien avec Stephen H. Burum (12 minutes) nous offre un témoignage précieux du chef opérateur. On trouve aussi des pièces plus insolites : dans la featurette Une vieille maison, un nouveau foyer (11 minutes), l’auteur S.E. Hinton et Danny Boy O’Connor racontent la transformation de la maison du film en musée. On continuera avec un making of rétrospectif (26 minutes) avec images d’époque et réunion de 2003. Les modules « Présentation du film par Coppola » (2 minutes) et « Présentation par les acteurs » (5 minutes) ajoutent des perspectives un poil plus personnelles sur le film. Les archives sont également un régal : entretien avec Diane Lane lors de son audition (19 minutes), images de pré-tournage (11 minutes), documentaire sur Fred Roos et le casting (14 minutes), avec des auditions d’acteurs non retenus (Helen Slater, Kate Capshaw, Anthony Michael Hall, Adam Baldwin). On trouve aussi une lecture d’extraits du roman par les acteurs (7 minutes), un match de foot improvisé par les acteurs du film (17 minutes), une visite de Tulsa par S.E. Hinton (7 minutes), un reportage NBC (5 minutes), une rencontre de Francis Ford Coppola avec les étudiants de la Fémis (23 minutes), et enfin 8 scènes inédites (15 minutes). Bref, cette édition Blu-ray 4K Ultra HD d’Outsiders est généreuse, foisonnante, qui combine rigueur technique et plaisir cinéphile. Pathé signe un objet indispensable pour les amateurs de Coppola, mais aussi pour ceux qui veulent comprendre comment un film peut évoluer au fil du temps.






















