Test Blu-ray 4K Ultra HD : Les trois visages de la peur

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Les trois visages de la peur

Italie, France, États-Unis : 1963
Titre original : I tre volti della paura
Réalisation : Mario Bava
Scénario : Mario Bava, Marcello Fondato, Alberto Bevilacqua
Acteurs : Michèle Mercier, Lidia Alfonsi, Boris Karloff
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h32
Genre : Horreur, Film à sketches
Date de sortie cinéma : 17 novembre 1965
Date de sortie Blu-ray : 15 avril 2021

Boris Karloff en personne vient jouer le maître de cérémonie afin de nous présenter les trois histoires qui vont suivre. Tout d’abord, « Le Téléphone », huis-clos oppressant dans lequel une jeune femme est harcelée au téléphone par un inconnu qui la menace de la tuer. Ensuite, « Les Wurdalaks », une sombre histoire de vampires errant dans la lande où vit recluse une famille de paysans, dans la Russie du XIXème siècle. Enfin, « La Goutte d’eau », où une infirmière venue au chevet d’une vieille femme mourante va regretter de lui avoir dérobé sa bague. Terreur et surnaturel, esprits des morts et créatures de la nuit sont donc au menu de ces contes macabres qui incarnent Les Trois Visages de la peur !

Le film

[5/5]

1963 fut un bon cru pour Mario Bava : en une seule et même année, le maestro italien poserait non seulement une partie des bases du Giallo à venir avec La fille qui en savait trop, mais nous livrerait également Le corps et le fouet, véritable monument du gothique italien, ainsi que Les trois visages de la peur, étrange film à sketches horrifique mettant en scène trois histoires adaptées de classiques de la littérature fantastique.

Film unique et passionnant, Les trois visages de la peur est à la fois extrêmement représentatif du style de Mario Bava, mais s’avère également, par certains aspects, assez éloigné de son registre habituel. On y retrouve en effet son amour des intérieurs baroques, des éclairages étranges et irréels, des belles femmes peu vêtues, mais on pourra être un peu surpris par le fait qu’il s’agisse d’un film à sketches, ou encore que le cinéaste désamorce ses effets dans un épilogue très Lelouchien, par le biais d’un élargissement du champ sur l’équipe de tournage et les trucages. Pour autant, Les trois visages de la peur s’impose sans aucun doute un des films les plus « atmosphériques » jamais réalisés par Mario Bava…

Bienvenue dans la crypte

Les trois visages de la peur est introduit par Boris Karloff, figure légendaire de l’horreur, qui assure une classique mission de « Crypt Keeper » typique de l’anthologie horrifique : il est l’hôte du spectateur, celui qui l’introduit à l’étrange, et remplit de fait un rôle de « conteur » en avant-programme, lui promettant « des histoires de terreur et de surnaturel ». Cette figure est née au début des années 50 dans les bandes dessinées éditées par EC Comics aux États-Unis (Tales from the crypt, The vault of Horror, The haunt of fear). Chaque série de comics avait donc un « hôte » (Crypt Keeper, Vault Keeper, Old witch…) qui accueillait les lecteurs sur la première page de l’histoire. A la fin de l’histoire, l’hôte principal revenait dans la dernière case afin de livrer au lecteur quelques commentaires sardoniques, ou pour fournir une morale cynique. A la manière de ces hôtes de bande dessinée, Boris Karloff refera donc fort logiquement après le dernier segment du film pour un dernier mot adressé au spectateur.

Il a un peu de tout dans Les trois visages de la peur, énorme et passionnant fourre-tout du fantastique. On y retrouvera un peu de l’atmosphère gothique déjà développée par Mario Bava dans Le masque du démon, mais également un peu de l’ambiance sinistre de ses films à venir. De la même façon, si les films à sketches ont tout de même une fâcheuse tendance à se montrer irréguliers, chaque histoire ici parvient à sa manière à se montrer tout à fait réussi dans son genre, parvenant à faire monter la pression et le sentiment de terreur en dépit de récits extrêmement différents.

Le téléphone

Le premier sketch du métrage, intitulé « Le téléphone », serait adapté d’une nouvelle de l’auteur français Guy de Maupassant : on se permet d’en douter étant donné que Maupassant est décédé en 1893, et que le téléphone à commutateur automatique est apparu en France en 1912. La paternité littéraire du récit a finalement été attribuée à F.G Snyder ; si le nom de cet auteur ne vous dit rien, ne cherchez pas – il s’agit soit du nom de plume d’un écrivain œuvrant pour les Mondadori Gialli, cette fameuse série italienne de romans policiers aux couvertures jaunes, soit d’un prête-nom destiné à cacher Marcello Fondato, Alberto Bevilacqua et Mario Bava eux-mêmes.

Ce premier court demeure néanmoins une bien jolie mise en bouche : Bava y filme Michèle Mercier à moitié nue dans un appartement surréaliste, rappelant en bien des points l’appartement de Six femmes pour l’assassin, qui serait réalisé l’année suivante. Ce court segment plein de tension et de sensualité prend la forme d’une espèce de giallo triangulaire, largement teinté d’homosexualité dans la relation entre Michèle Mercier et Lydia Alfonsi. « Le téléphone » est probablement le plus soigné et le plus sophistiqué des trois sketches présents au cœur des Trois visages de la peur. Visuellement superbe, ce court film a notamment permis au directeur photo Ubaldo Terzano de s’éclater en créant des lumières, des couleurs et des éclairages impossibles – on pense par exemple aux lumières dans les tiroirs. En moins d’une demi-heure, ce court segment semble néanmoins avoir durablement marqué le genre, notamment en raison de son sous-texte subversif et de son utilisation de l’espace et de la couleur. « Le téléphone » deviendrait une source d’inspiration visuelle sans fin pour d’innombrables giallos durant les quinze ans qui suivraient.

Les Wurdalaks

Le second sketch, adapté de la nouvelle « La famille du Vourdalak » d’Alexis Tolstoï, s’appelle donc « Les Wurdalaks » (prononcer Vourdalaques) et s’attarde sur un personnage de vampire interprété par Boris Karloff. Dans sa forme, ce segment est sans doute le plus classique des Trois visages de la peur, évoquant tout à la fois Le masque du démon, le cinéma gothique de la Hammer et surtout les adaptations d’Edgar Allan Poe par Roger Corman réalisées entre 1961 et 1965. De fait, ce sketch s’avère également, et sans aucun doute possible, le plus prévisible des trois. Mais quelle pêche tout de même, que d’Art déployé dans l’enchaînement de plans, et quel délice que cette photo gothique !

Les plans nimbés de brume, le jeu d’Ubaldo Terzano sur les ombres et la lumière, les gros plans teintés de couleurs surréalistes… Tout est fait pour flatter l’œil, et « Les Wurdalaks » s’offre également une poignée de séquences absolument terrifiantes. On pense bien sûr à celle mettant en scène Ivan, le petit vampire, âgé à peine de sept ou huit ans, frappant à la porte sous la fenêtre de la chambre de sa mère en criant « Maman, j’ai froid ! ». L’idée – cruelle s’il en est – de l’enfant « infecté » serait également reprise par un nombre incalculable de film d’horreur durant les décennies qui suivraient. On notera également l’amusante réplique de Karloff « Je suis mort… de faim ! », écho lointain du « Je ne bois jamais… de vin » de Dracula dans le récit de Stoker.

La goutte d’eau

La troisième et dernière partie du film est soi-disant adaptée d’une nouvelle d’Anton Tchekhov, et se révèle la plus riche et la plus hypnotique. Aux limites de l’expérimental, « La goutte d’eau » est un segment encore plus fou et coloré que « Le téléphone ». Au croisement du gothique et du psychédélique, jouant avec les sons et les couleurs, Mario Bava pousse son film dans un territoire entièrement nouveau. Le scénario, simple et direct, évoque d’avantage Poe que Tcheckov en réalité, dans le sens où sous le couvert d’éléments fantastiques, les apparitions / hallucinations dont est victime le personnage incarné par Jacqueline Pierreux constituent peut-être les manifestations « physiques » de sa culpabilité d’avoir mal agi – elle a volé une bague à une morte. Ainsi, le récit se rapproche de la fin du « Cœur révélateur » d’Edgar Poe.

Conscient de l’ambiguïté faisant s’affronter une interprétation « psychanalytique » de son récit et une vision basée sur le fantastique, Mario Bava avance avec prudence, histoire de ne pas faire basculer son intrigue d’un côté ou de l’autre.

« La goutte d’eau » est un exercice de style d’une efficacité remarquable, dont Bava semble presque découvrir les possibilités en même temps que le spectateur. En effet, le cinéaste pousse l’horreur un peu plus dans ses retranchements à chaque nouvelle apparition – le plus étonnant étant d’ailleurs qu’il le fait avec une économie de moyens qui confine au génie. Véritable délire visuel et sonore aux gimmicks entêtants (les lumières rouges et vertes fusent à chaque goutte tombant dans l’appartement de l’héroïne, le tout étant également synchronisé avec le bruit du volet ou de la mouche), « La Goutte d’eau » est un des sommets crypto-gothiques et quasi-hypnotiques de la carrière de Bava, et justifie à lui seul la vision des Trois visages de la peur.

Le Blu-ray 4K Ultra HD

[5/5]

Éditeur relativement récent sur le front de la Ultra Haute-Définition en France, Le chat qui fume est néanmoins parvenu, en l’espace de quelques titres très attendus, à mettre tout le monde sur le cul. En fait, la sortie d’un film tel que Les trois visages de la peur au format Blu-ray 4K Ultra HD en France tient presque du miracle, et a vraiment dû réjouir de très nombreux cinéphiles… Premier Bava au monde en UHD. D’autant que l’éditeur prend toujours grand soin de proposer ses films dans ce qui s’impose comme de « beaux objets », propres à fasciner les collectionneurs. A ce titre, le packaging de l’édition combo Blu-ray 4K Ultra HD + Blu-ray s’inscrit dans la lignée des éditions précédentes made in La chat qui fume – et probablement ce qui se fait de mieux dans l’hexagone en matière de soin éditorial.

Pour fêter dignement l’arrivée des Trois visages de la peur dans le monde de la Ultra HD, l’éditeur nous propose un superbe coffret aux couleurs du film, présenté dans un digipack trois volets surmonté d’un fourreau. Le design de l’ensemble a, comme d’habitude, été composé par Frédéric Domont, graphiste de talent. On a donc vraiment entre les mains une édition collector de grande classe, dans un packaging qui en impose avant même le visionnage du film. Le soin apporté à l’ensemble et la qualité des finitions en font vraiment un superbe objet, qu’on sera très fier de voir trôner sur nos étagères.

Techniquement, l’éditeur n’est pas en reste puisque le transfert 4K du film de Mario Bava s’avère vraiment de toute beauté. Couleurs, piqué, contrastes et encodage, tout est fait pour magnifier le travail plastique de Bava et de son directeur photo Ubaldo Terzano. Tous les défauts de la pellicule ont été gommés : exit donc poussières, griffes, empreintes et autres bouts de caca disgracieux. Le grain de la pellicule a été préservé avec un soin maniaque, et d’affiche de manière homogène et fine. Les détails sur les costumes, visages, cheveux et décors sont impressionnants. Enfin, la profondeur de champ est excellente. C’est vraiment un transfert de ouf malade. Côté son, VF et VO italienne sont proposées en DTS-HD Master Audio 2.0, et le résultat est aussi net que précis. Les dialogues sont clairs, le doublage français est au niveau et s’incorpore bien au mixage original. Les effets et la musique passent bien par les deux canaux et sont bien mixés avec les dialogues.

Du côté des suppléments, l’éditeur nous propose une interactivité en grande partie inédite, et assurée par des petits gars bien de chez nous. On commencera donc avec un entretien avec Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (49 minutes). Les deux camarades, auteurs de l’ouvrage « Mario Bava, le magicien des couleurs » (Éditions Lobster Films, 2019), aborderont donc Les trois visages de la peur par le biais d’une approche tout d’abord historique, puis un peu plus analytique. Contexte de tournage, écriture et références littéraires, thématiques, musique, différences de montage entre la version italienne et la version américaine… Ils se renvoient la balle avec plaisir, ne manquent pas d’anecdotes et le fait qu’ils soient à deux donne un beau dynamisme à l’ensemble : on ne voit pas passer les presque 50 minutes passées en leur compagnie. Tout juste a-t-on remarqué une légère confusion dans leurs propos : ils indiquent que le titre américain du Masque du démon est Black Sabbath, et que le titre américain des Trois visages de la peur est Black Sunday. C’est en réalité l’inverse.

On poursuivra ensuite avec une présentation du film par Edgard Baltzer (34 minutes). Traducteur du livre « Mario Bava, un désir d’ambiguïté » (La tour verte, 2018), le bonhomme en connaît également un rayon sur la carrière de Bava. Il reviendra donc sur la genèse du projet, sur l’écriture du scénario, et nous apprendra donc que « La goutte d’eau » est en réalité une adaptation d’une nouvelle de Franco Lucentini. Il abordera également largement l’atmosphère du film ainsi que la mise en scène de Mario Bava, et, chose rare, défendra la version française du film. Son élocution est très posée et agréable à écouter – on boit littéralement ses paroles, même si certains de ses propos sont un peu redondants avec ceux de Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele.

On continuera avec un entretien avec Lamberto Bava (16 minutes), au cours duquel il partagera avec le spectateur une poignée de souvenirs et d’anecdotes concernant son père Mario Bava. Il se remémorera le tournage des Trois visages de la peur, auquel il a assisté « à un âge où les belles femmes commençaient à le troubler » (il avait 19 ans). Il évoquera également le fait que son père était un peu « dans son monde », et qu’il ne tournait ses films que pour lui sans penser au public. Très intéressant ! On terminera enfin avec une sélection de bandes-annonces de films édités par Le chat qui fume. Plus d’informations sur le site de l’éditeur !

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