Dementia 13
États-Unis : 1963
Titre original : –
Réalisation : Francis Ford Coppola
Scénario : Francis Ford Coppola, Jack Hill
Acteurs : William Campbell, Luana Anders, Patrick Magee
Éditeur : Pathé
Durée : 1h08
Genre : Fantastique, Horreur
Date de sortie cinéma : 16 novembre 2025
Date de sortie BR/4K : 19 novembre 2025
Choquée par la mort de son conjoint, une veuve intrigante élabore un plan audacieux pour mettre la main sur l’héritage, ignorant qu’elle est la cible d’un meurtrier brandissant une hache qui se cache dans le domaine de la famille. Quel mystère enveloppe la noble maison ?
Le film
[3,5/5]
Dementia 13 n’a pas attendu les hashtags et les filtres Instagram pour cultiver son aura gothique. Tourné en 1963 avec trois bouts de ficelle, deux litres de café et un Roger Corman en embuscade, ce premier long-métrage de Francis Ford Coppola sent bon la brume irlandaise, les secrets de famille et les haches qui volent bas. Produit dans l’urgence, comme une éjaculation nerveuse après un date Tinder raté, Dementia 13 réussit pourtant à poser les bases d’un style, d’une ambiance, et d’un regard sur la folie qui n’a rien à envier aux grands noms du genre.
Ce qui frappe d’abord dans Dementia 13, c’est son décor : un château perdu dans la campagne irlandaise, des lacs brumeux, des statues qui pleurent des larmes de pierre, et des personnages qui semblent tous avoir un pet’ au casque. L’histoire, elle, est d’une parfaite linéarité : une veuve cupide tente de s’incruster dans l’héritage de sa belle-famille, mais se retrouve prise dans une spirale infernale de meurtres à la hache et de révélations freudiennes. On est quelque part entre Les Innocents de Jack Clayton et Le Voyeur de Michael Powell, avec une pincée de Psychose pour le goût du sang et des mamans envahissantes. Mais Dementia 13 ne se contente pas de copier : il digère, recrache, et invente un ton à lui, entre série B assumée et poésie morbide.
La mise en scène de Dementia 13 est un petit miracle de débrouillardise. Coppola, alors jeune loup affamé, compose avec les moyens du bord : des éclairages naturels, des plans serrés pour masquer le manque de décors, et une caméra qui glisse littéralement, comme une anguille. Certaines séquences, comme celle du rêve aquatique ou celle du meurtre dans la barque, témoignent d’une vraie maîtrise du rythme et du cadre. Le noir et blanc, loin d’être un choix esthétique par défaut, devient ici un outil de distorsion du réel, un filtre mental qui rend chaque recoin du château suspect, chaque reflet menaçant. Dementia 13 joue avec les ombres comme un ado joue avec son acné : maladroitement, mais avec application.
Sur le fond, Dementia 13 brasse des thématiques qui deviendront chères à l’œuvre à venir de Francis Ford Coppola : la famille comme cellule toxique, la culpabilité comme poison lent, et la folie comme échappatoire. Le film interroge la frontière entre le deuil et la névrose, entre la mémoire et l’oubli, entre l’amour et la pulsion de mort. Et si certains dialogues sentent un peu la naphtaline, l’ensemble tient debout grâce à une atmosphère oppressante et à une direction d’acteurs étonnamment précise. Luana Anders, en veuve manipulatrice, impose une présence trouble, tandis que Patrick Magee, en médecin au regard de hibou insomniaque, semble tout droit sorti d’un asile pour aristocrates déchus.
Il faut aussi saluer la manière dont Dementia 13 détourne les codes du film d’horreur. Pas de jump scares à la TikTok ici, mais une montée progressive de l’angoisse, une ambiance qui s’installe comme une moisissure sur un mur humide. Le film prend son temps, laisse le spectateur s’enfoncer dans le malaise, et n’hésite pas à brouiller les pistes. Le tueur n’est pas celui qu’on croit, les morts ne sont pas toujours morts, et les vivants sont parfois plus flippants que les fantômes. Mieux encore : avec ce film, Coppola démontrait son impressionnante capacité à faire peur avec presque rien, à créer de l’angoisse avec du vide. Comme quoi, pas besoin de CGI ou de Found footage pour filer la chair de poule : un bon vieux château, une hache, et un réalisateur qui sait où poser sa caméra, ça suffit largement.
Alors oui, Dementia 13 a vieilli. Oui, certains effets font sourire, et oui, le rythme peut sembler lent à l’ère des vidéos YouTube de 30 secondes. Mais c’est justement ce qui fait son charme. C’est un film qui prend le temps de poser son ambiance, de construire ses personnages, de distiller son poison. Et puis, c’est un témoignage précieux sur les débuts d’un cinéaste qui allait bientôt révolutionner Hollywood. En somme, Dementia 13 mérite d’être redécouvert, pas seulement comme une curiosité pour cinéphiles en mal de raretés, mais comme une œuvre à part entière, fragile, bancale, mais profondément sincère.
Le Blu-ray 4K Ultra HD
[4/5]
Le Blu-ray 4K Ultra HD de Dementia 13, édité par Pathé, arrive dans un packaging sobre, sans fioritures, mais qui a le mérite d’être tout à fait cohérent : il s’agit d’un bel objet de patrimoine, sans poudre aux yeux. La restauration 4K, supervisée par Francis Ford Coppola lui-même, redonne au noir et blanc du film une densité et une texture remarquables. Les contrastes sont nets, les noirs profonds, et les détails – notamment dans les scènes nocturnes ou brumeuses – gagnent en lisibilité sans trahir l’esthétique d’origine. Pas de HDR à l’horizon, mais l’ensemble est tout à fait satisfaisant, le format 1.66 est respecté, et l’ensemble conserve ce grain argentique qui sent bon la pellicule d’époque. Côté son, la version originale nous est proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine, mais également dans un remixage multicanal DTS-HD Master Audio 5.1. Le mixage 5.1, bien que discret, offre une spatialisation agréable, notamment dans les scènes de suspense où les bruits d’ambiance prennent tout leur sens. La piste 2.0, plus fidèle à l’expérience d’origine, reste parfaitement claire. Pas de version française à l’horizon, mais des sous-titres français bien calés. En somme, une édition technique solide, qui respecte l’œuvre sans chercher à la moderniser à outrance.
Les suppléments du Blu-ray 4K Ultra HD de Dementia 13 sont peu nombreux, mais d’une rare pertinence. L’introduction de Francis Ford Coppola (1 minute) est brève mais touchante, l’homme remerciant sobrement la possibilité de présenter enfin « sa » version du film. Le commentaire audio de Francis Ford Coppola constitue le cœur du bonus : le cinéaste y reviendra sur les conditions de tournage, ses débuts chez Roger Corman, ses galères de script écrit à l’arrache, ses souvenirs de Luana Anders, et même sur ses tentatives de dragues avortées. Le tout avec une sincérité désarmante, parfois silencieuse, parfois volubile, mais toujours captivante. Enfin, le prologue du film, tourné par Monte Hellman (7 minutes) est une curiosité délicieuse, sorte de bande-annonce déguisée en test psychologique, ajoutée à l’époque pour rallonger la durée du film. Ce supplément, aussi absurde qu’instructif, rappelle à quel point Dementia 13 est un objet hybride, entre le bricolage opportuniste typique de Roger Corman et le geste artistique sincère du jeune Coppola. En résumé, une édition Blu-ray 4K Ultra HD indispensable pour les amateurs de cinéma bis, pour les amoureux de la carrière de Francis Ford Coppola, ou tout simplement pour les nostalgiques d’une époque où les films avaient plus de tripes que de budget.
























