Cannes 2018 : Une affaire de famille

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Une affaire de famille

Japon, 2018
Titre original : Manbiki Kazoku
Réalisateur : Kore-eda Hirokazu
Scénario : Kore-eda Hirokazu
Acteurs : Lily Franky, Ando Sakura, Matsuoka Mayu, Kiki Kilin
Distribution : Le Pacte
Durée : 2h01
Genre : Drame familial
Date de sortie : 12 décembre 2018

Note : 3/5

Ce n’est point à une apologie du crime et des petites combines minables que Kore-eda Hirokazu s’adonne dans son nouveau film, présenté en compétition au Festival de Cannes, mais au portrait touchant et intimiste d’une famille patchwork. Les liens forts seulement en apparence qui unissent ce groupe dysfonctionnel se défont au fur et à mesure que ses mensonges deviennent intenables, Une affaire de famille devenant alors une affaire pour les juges, lors de la dernière partie un brin trop didactique du film. Auparavant, c’est par contre tout l’art du réalisateur japonais à étudier les petites failles de la société de son pays qui se fait une nouvelle fois jour, sans aucune prétention morale face aux activités illicites de ses personnages. Ceux-ci se distinguent même par une conscience à moitié éveillée, ce qui les différencie de leur pendant italien. Croisées par exemple chez Ettore Scola et Mario Monicelli, ces pures caricatures de la méchanceté prolétaire n’ont que leur gain personnel en tête, tandis que les petits voyous de Kore-eda forment une unité sociale, empreinte d’une solidarité ambiguë envers les plus faibles. A la fois accueillant et intéressé, le foyer familial opère ici en tant que microcosme schizophrène, où le bien collectif ne prime pas longtemps sur les coups de couteau dans le dos, assénés par les personnages à première vue les plus innocents. Cela donne un film ni amoral, ni consensuel, mais simplement attaché sans préjugé à la vie précaire, quoique pas nécessairement misérable, d’une bande de voleurs à l’étalage aux scrupules plus ou moins prononcés.

Synopsis : Osamu, tête de la famille Shibata, préfère apprendre à son fils Shota l’art de voler que de s’abîmer la santé en travaillant sur les chantiers. Un soir en rentrant, ils aperçoivent la petite Juri, abandonnée sur le balcon de son appartement en pleine nuit glaciale. Osamu décide alors de l’amener chez eux, quitte à la rendre à ses parents dès le lendemain. Mais sa femme Nobuyo, ainsi que la grand-mère Hatsue et la demi-sœur Aki, prennent en pitié cette pauvre gamine, visiblement maltraitée chez elle. Juri fera donc partie intégrante de la famille. Son adoption informelle devient toutefois problématique, dès que les services sociaux constatent sa disparition, traitée comme un enlèvement.

Tourneurs d’indexes de père en fils

Les masques tombent progressivement dans ce drame familial, au rythme peut-être un peu trop pondérant. Aucune précipitation n’est en effet requise pour conter l’histoire de ces trois générations réunies un peu contre leur gré sous le même toit, un pavillon aux espaces largement encombrés. La promiscuité n’y paraît pas toujours facile à vivre, même si les invectives que se lancent mutuellement les personnages font clairement partie d’un rituel rodé pas sans amour au fil du temps. Juri fait très discrètement irruption dans ce cercle fermé, dont les membres sont à peine montrés à l’extérieur, à l’exception de leurs théâtres d’opération professionnels, des magasins dans lesquels on se sert trop librement pour les uns, des endroits beaucoup moins ludiques, voire carrément glauques pour les autres. Cependant, la visée sociale de la narration reste mesurée, aussi parce que le vieux couple formé par Osamu et Nobuyo fait figure de profiteurs avisés, au courant de la moindre ruse pour soutirer quelques sous à quiconque n’est pas assez vigilant pour protéger ses biens. Leur philosophie parasitaire s’oppose alors frontalement à la générosité avec laquelle ils accueillent la petite fille délaissée. Ce geste aussi maladroit que sincère leur causera en fin de compte du tort, même s’ils l’assument jusque là avec un altruisme presque digne d’un conte de fées.

Unis par l’argent

Le fil ténu entre le réalisme d’un contexte social difficile et une intrigue sensiblement plus enjouée, Kore-eda Hirokazu le tend avec une adresse notable. La justesse des personnages pris séparément, chacun en proie à un malaise existentiel que le groupe n’arrive guère à résoudre, compense alors le ventre mou du récit, c’est-à-dire la décomposition calculée de la famille, animée davantage par des prérogatives scénaristiques que par l’interaction fluide entre ses membres. Les moments de joie partagée, tel que l’excursion à la plage, alternent du coup avec la face cachée de ce bonheur de pacotille, l’amère vérité sur les dépendances au sein de la famille improvisée ne tardant pas à être dévoilée. Or, l’environnement social déjà assez compliqué à naviguer pour les Shibata aurait sans doute suffi à semer le trouble, sans y ajouter en plus toutes sortes de sous-intrigues policières, appelées à mettre de l’ordre dans leur mode de vie bordélique. Au moins l’humanité des personnages dans ce qu’elle a de plus contradictoire reste intacte au cours de cette intrigue ponctuée de nombreux hauts et de quelques bas. Ainsi, les indices pour l’attachement qu’ils se portent les uns envers les autres ne manquent pas, bien que toujours associés à ce fâcheux calcul égoïste et rancunier en arrière-pensée, qui empêchera toute conclusion heureuse.

Conclusion

Toujours la sobriété même, le cinéma de Kore-eda Hirokazu sonde pourtant admirablement les profondeurs de l’âme humaine. Une affaire de famille est un film touchant, dont la structure scénaristique inutilement directive pour démontrer que le concept de la famille n’est en fait qu’un leurre compte parmi les seuls points faibles. Sinon, il s’agit d’un conte doux-amer, où ni les enfants, ni les adultes n’ont le droit de cultiver outre mesure leurs aspirations à un peu de bonheur.

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