Critique : Souvenirs de Marnie

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souvenirs de marnie afficheSouvenirs de Marnie

Japon, 2014
Titre original : Omoide no Marnie
Réalisateur : Hiromasa Yonebayashi
Scénario : Keiko Niwa, Masashi Ando et Hiromasa Yonebayashi
Acteurs : –
Distribution : The Walt Disney Company. France
Durée : 1h43
Genre : Animation
Date de sortie : 14 janvier 2015

Note : 4/5

Le nouveau film du Studio Ghibli, qui sort dans les salles françaises le 14 janvier 2015 après avoir essuyé un relatif échec cet été au Japon, relève au moins deux défis : celui de l’adaptation, dans l’univers japonais contemporain, d’un classique de la littérature anglo-saxonne (When Marnie Was There de Joan G. Robinson), ainsi que celui de la réalisation du premier film du studio depuis que son co-fondateur et illustre représentant Hayao Miyazaki a annoncé sa retraite (voir l’exposition consacrée au studio Ghibli).

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Synopsis : Anna, jeune fille solitaire, vit en ville avec ses parents adoptifs. Un été, elle est envoyée dans un petit village au nord d’Hokkaïdo. Dans une vieille demeure inhabitée, au cœur des marais, elle va se lier d’amitié avec l’étrange Marnie…

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Une animation en forme de conte psychologique…

Anna, douze ans, élevée par une tutrice depuis sa plus tendre enfance, entre dans la ronde de ces héros orphelins entre deux âges qui peuplent grand nombre des créations du studio Ghibli. Asthmatique, elle est surtout torturée et introvertie. Pendant tout une première partie du film, on n’entend de sa voix que les réflexions qu’elle se fait à elle-même. « Dans notre monde, se dit-elle au tout début du film, il existe un cercle magique invisible. Il y a l’intérieur du cercle, et l’extérieur. Moi, je suis à l’extérieur. Mais cela m’est égal. Je me déteste. » Accentuant le mal-être d’une jeune fille qui n’a jamais accepté son adoption, Souvenirs de Marnie confronte Anna à ses propres frayeurs, familiales et sociales, selon une approche réaliste et psychologique qui n’était pas présente dans le précédent film de Yonebayashi, Arrietty.

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Quittant la maison de sa tutrice, Anna doit s’accommoder à la vie de village de sa tante et de son oncle, personnages rieurs et loufoques dont la joie de vivre contraste avec la personnalité grave de l’héroïne. À la joie du spectateur en quête des sensations de l’enfance, le film s’attarde sur la drôle de maison de campagne de la tante, avec ses petits animaux de bois animés, son parquet grinçant, les fruits mûrs de son potager, le panneau « raccourci » attenant au jardin… Une nouvelle ère de liberté commence pour Anna. Et, à la manière d’un conte enfantin (on n’en attend pas moins d’un Ghibli), un deuxième « cercle » s’ouvre dans le film.

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… à la lisière du surnaturel

Entraînée malgré elle dans une fête traditionnelle du village – qui donne lieu à des scènes agréablement pittoresques –, Anna est prise dans un tourbillon insupportable de lucioles, de musique et surtout se retrouve avec d’autres gens de son âge.

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Irrésistiblement gagnée par la colère et la haine (qu’elle cultive surtout contre elle-même), elle se trouve soudain précipitée en-dehors du cercle de la soirée, rejetée par une force centrifuge en périphérie de la communauté humaine, aux abords désertés du marais. C’est là seulement, dans la solitude, qu’un monde à la frontière de l’étrange peut se révéler à elle-même. La fillette épeurée sent, sans la voir, l’infime lumière d’une bougie qui signale la présence d’une barque prête à l’emporter sur le marais, en direction d’une mystérieuse Villa qui ne prend vie que la nuit. Car le monde qui constitue le cœur de Souvenirs de Marnie est bien de ceux où un frémissement de vent, une pulsation lumineuse, un peu de brume sur les eaux, signalent une faille dans le réel, presque l’existence d’un autre espace-temps, étrange et surnaturel, et pourtant si familier à l’héroïne. C’est le troisième cercle, invisible aux yeux des autres, et cette fois réellement magique.

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Le paysage du marais, avec ses touffes d’herbe, la montée et la descente de ses eaux, son air brumeux et surtout la maison de pierre qui gît derrière l’eau, est au cœur du paysage, de la quête du personnage, et de tout le film, concentrant tout l’art de paysagiste et de coloriste des créateurs des Souvenirs de Marnie.

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Pour une recherche des origines

Dans le marais, près de la villa, Anna affronte et explore cette fois ses peurs les plus profondément primitives, celles de l’inconnu, de la nature, et de ses propres émotions. C’est la traversée en barque (assez symbolique) qui permet la rencontre avec Marnie, l’autre héroïne du film, qui fait figure de double inversé par rapport à Anna. La rencontre avec Marnie fait basculer l’existence d’Anna puisque les jeunes filles, aux sensibilités pourtant si opposées – quand Anna incarne la peur de vivre, Marnie est tout entière joie –, deviennent des meilleurs amies.  Chacune promet à l’autre le secret. Étrangement, l’existence de Marnie s’incorpore peu à peu à celle d’Anna, et se mêle à ses interrogations à propos de sa famille. L’amitié avec Marnie s’avère ainsi pour Anna autant une plongée dans ses peurs primitives qu’une exploration de son cœur et de son passé ancestral.

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On pourrait reprocher à Yonebayashi de ne pas avoir poussé plus loin le caractère fantastique de son nouvel univers. Mais le fantastique fait bien ici de ne pas se manifester sous des formes extravagantes. S’il s’immisce discrètement dans la trame du réel, en révélant seulement de petite failles dans le réel, c’est pour mieux servir la quête de l’héroïne. C’est à elle de comprendre ces failles, puisque les aventures qui lui arrivent l’amènent à chercher son propre passé familial. Ou plutôt, l’histoire jusque là inconnu et inaccessible de sa famille se manifeste à elle sous la forme d’aventures magiques qui doivent la conduire à la vérité.

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Conclusion

À l’instar de ses maîtres, Yonebayashi parvient à ressusciter dans Souvenirs de Marnie tout un monde de sensations propres à l’enfance, mais surtout à redonner vie à nos propres souvenirs, universels et perdus, des deux pôles de l’enfance : la magie et le drame. Toute l’histoire est celle d’un réenchantement.

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