Arras 2018 : The Reports on Sarah and Saleem

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The Reports on Sarah and Saleem

Palestine, Pays-Bas, Allemagne, 2018
Titre original : The Reports on Sarah and Saleem
Réalisateur : Muayad Alayan
Scénario : Rami Alayan
Acteurs : Sivane Kretchner, Ishai Golan, Maisa Abd Elhadi, Adeeb Safadi
Distribution : Bodega Films
Durée : 2h12
Genre : Drame
Date de sortie : 8 mai 2019

Note : 3/5

Les fronts entre les Palestiniens et les Israéliens sont plus que jamais tranchés dans une hostilité aveugle, sans terrain d’entente possible. Tous les vendredis, la jeunesse de la bande de Gaza crie sa détresse à la clôture qui la sépare de ce qu’elle ne considère nullement comme une terre promise. Les gouvernements populistes aux États-Unis et au Brésil se font de surcroît un malin plaisir de jeter de l’huile sur le feu, en transférant leurs ambassades dans la ville coupée en deux de Jérusalem. Bref, rien ne va plus en Israël, à l’exception notable de son cinéma, qui persiste dans sa fonction hautement bénéfique et essentielle de tendre la glace à tant de haine extrême des deux côtés du mur ignoble, construit à partir de 2002. Présenté dans la section Cinémas du monde de l’Arras Film Festival, Sarah & Saleem fait partie de ces films qui ont la sagesse de ne pas choisir clairement leur camp sur ce terrain amplement miné à la fois d’un point de vue politique, social et culturel. L’imprévisibilité de l’âme humaine s’en charge déjà abondamment dans ce qui est moins une histoire romantique qui tourne au drame, que le signe indubitable que la ségrégation artificielle opérée par tant d’édifices dans la pierre et dans les esprits ne pourra pas durer indéfiniment. Le deuxième long-métrage de Muayad Alayan tient ainsi compte d’une manière particulièrement saisissante de la réalité de tous les jours, dans les rues des grandes villes d’Israël et de Palestine. Un métissage s’y opère progressivement, certes ponctué d’une répression brutale en guise de maintien de l’ordre, mais désormais trop palpable pour que cette région sous étroite surveillance internationale s’accroche encore longtemps à un statu quo archaïque.

Synopsis : Le livreur de viennoiseries Saleem, palestinien, et la gérante d’un café Sarah, israélienne, entretiennent en cachette une affaire extraconjugale. Lui attend son premier enfant avec sa femme Bissan et aspire à ne plus devoir dépendre matériellement de sa belle-famille. Elle redoute la prochaine mutation de son mari, un officier haut gradé dans l’armée israélienne. Alors qu’ils se voient d’habitude brièvement à l’arrière de la camionnette de Saleem, un soir, celui-ci doit faire une livraison clandestine à Bethléem. Une altercation dans un bar entraînera alors de lourdes conséquences pour ces amants que tout devrait opposer.

Tôt ou tard, ça se saura

Le premier point positif à mettre sur le compte de Sarah & Saleem, c’est qu’il ne nous importune jamais avec l’explication laborieuse sur les détails de la rencontre entre cet homme et cette femme, qui évoluent sinon dans des cercles mutuellement exclusifs. Une attirance sexuelle sans doute, donc quelque chose d’entièrement banal et instinctif, si elle ne déclenchait pas une avalanche de complications propres à la guerre larvée en Terre sainte. De même, une quelconque explication platement psychologique de leur comportement à haut risque est absente du récit, au profit du démêlage astucieux de l’embarras à envergure existentiel dans lequel leurs imprudences les ont conduits. Ce qui n’aurait pu être au fond qu’un conte tendancieux et prévisible sur l’infidélité, riche en scènes de jalousie et en remords de trahison envers sa communauté d’origine, devient alors un puzzle formidablement complexe sur lequel apparaît, une pièce à la fois, le portrait d’une société passablement schizophrène, gangrenée par une tenace hypocrisie morale, à son tour née du manque de volonté de voir l’évidence de l’évolution des mœurs en face. La base de ce regard nuancé sur une situation inextricable est l’ambiguïté des personnages principaux, le manichéisme ne se manifestant qu’à la marge du triangle sous tension formé par Sarah, Saleem et Bissan. Ceux-ci sont interprétés par des acteurs parfaitement conscients de l’image fragile d’une féminité malmenée et d’une virilité en état de crise qu’ils sont censés transmettre, à savoir respectivement Sivane Kretchner, Adeeb Safadi et Maisa Abd Elhadi.

Métier : livreur / astronaute

Cependant, le film de Muayad Alayan se fait aussi l’écho d’une situation économique qui est pour beaucoup dans le malaise opposant jusqu’au sang Israéliens et Palestiniens. Il y parvient, comme ce fut déjà le cas avec les pulsions amoureuses, plus ressenties qu’explicitement montrées, grâce à de petites touches, à prendre ou à laisser. Ainsi, le cadre de vie personnel des deux amants ne pourrait pas être plus différent l’un de l’autre. Tandis qu’elle roule en petite voiture chic, qu’elle peut se permettre d’offrir des cafés à ses partenaires pas seulement commerciaux – au grand dam de son associée plus pingre – et qu’elle bénéficie d’un traitement de faveur, même quand son rôle dans cette affaire d’état supposée est pratiquement avéré, lui, pour sa part, évolue dans un climat de précarité plus avilissant. Mentalement, parce qu’il dépend de ses proches et d’un travail peu gratifiant pour subsister au lieu de vivre pleinement. Physiquement, à cause des sévices qu’il subit de pratiquement tous les partis impliqués dans cet imbroglio kafkaïen, mené de main de maître par une mise en scène lucide. On pourrait donc croire que les rôles soient clairement repartis, entre la femme et l’homme, entre la privilégiée et son jouet sexuel qu’elle n’aime peut-être pas passionnément, mais dont elle ne peut pas se lasser. Et puis, alors que cette relation coquine bat déjà sérieusement de l’aile, une autre histoire d’émancipation se dégage de façon inopinée. Au début juste un accessoire conjugal sans trop d’importance, Bissan accomplit au fur et à mesure un véritable parcours du combattant, moins pour sauver son couple ou son mari, mais afin de concevoir une autre image de la femme dans une culture sous le joug des hommes. Que le récit réussit cette belle histoire en filigrane sans avoir recours aux poncifs les plus pénibles sur la grossesse serait alors un gage de qualité final en faveur de la finesse de la narration !

Conclusion

Rien que d’y penser, le conflit israélo-palestinien nous donne des maux de tête ! Aucun espoir de réconciliation et encore moins de paix durable ne survit dans la fournaise de haine et de violence qui y couve au mieux à petit feu. Le seul rayon de soleil dans cette obscurité oppressante est la vitalité du cinéma, simultanément vigoureux et courageux dans des productions distinctes ou communes. Sarah & Saleem souligne l’importance des films à la fois pour mieux comprendre ce qui s’y passe, depuis notre point de vue européen, forcément à distance, et pour entrevoir de précieuses pistes de réflexion au-delà des fossés infranchissables entre partisans des deux camps.

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