Critique : Passion (Ryusuke Hamaguchi)

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Passion

Japon, 2008

Titre original : Passhon

Réalisateur : Ryusuke Hamaguchi

Scénario : Ryusuke Hamaguchi

Acteurs : Aoba Kawai, Ryuta Okamoto, Fusako Urabe, Nao Okabe

Distribution : Art House Films

Durée : 1h56

Genre : Drame romantique

Date de sortie : 15 mai 2019

3,5/5

Pour l’instant, le réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi n’est pas encore entré dans le cercle fermé des cinéastes de son pays, adulés par les cinéphiles français, auquel appartiennent Akira Kurosawa, Yasujiro Ozu et Kenji Mizoguchi, ainsi que plus récemment Takeshi Kitano et Hirokazu Kore-eda. Cela viendra sans doute un jour, quand les formats métissés, entre le cinéma et la télévision, dans le cadre desquels il travaille seront devenus la norme dans le paysage audiovisuel en pleine mutation. Il fallait en effet disposer d’une certaine discipline et d’un emploi du temps souple pour venir à bout des cinq épisodes de Senses, répartis en trois séances, par le biais desquels la découverte de ce nouveau talent nippon avait débuté en France il y a un an. Une autre sortie remarquée plus tard, nous voici en mesure d’apprécier le premier long-métrage du réalisateur, présenté en festival en 2008, qui montre déjà à quel point Ryusuke Hamaguchi est un incroyable observateur de la condition humaine dans ce qu’elle a de plus fragile. Un simple dîner entre amis y sert en effet de point de départ à une mise en question à fleur de peau des relations romantiques, censées à tort ou à raison organiser ce réseau social de plus en plus instable. La brutalité de l’approche, pourtant empreinte d’une élégance formelle notable, nous a fait penser à plusieurs reprises à la cruauté des films les plus intransigeants de John Cassavetes. Au détail près que le penchant pour l’excès hystérique est remplacé ici par une quête de la vérité émotionnelle, que le réalisateur sait d’emblée condamnée à l’impasse affective. Bref, Passion est une découverte de taille, qui devrait vous inciter à vous plonger, si ce n’est pas encore fait, dans l’univers des œuvres ultérieures, Senses et Asako !

© Art House Films Tous droits réservés

Synopsis : L’enseignante de mathématiques à une école d’élite Kaho se rend avec son copain Motoya à une fête organisée pour son anniversaire. Elle y retrouve ses amis les plus proches, à qui elle annonce fièrement ses fiançailles. La nouvelle rencontre un écho mitigé, notamment de la part de Kenichiro, secrètement amoureux de Kaho, qui lui promet de l’épouser une fois qu’elle aura divorcé de Motoya. Puisque la soirée se termine assez tôt, les hommes, Motoya, Kenichiro et Takeshi, dont la femme attend un enfant, se rendent chez Takako, qui est en deuil suite à la mort du chat Rabi qu’elle avait gardé depuis des années pour sa tante.

© Art House Films Tous droits réservés

Le Royaume des chats

Passion constitue l’exemple parfait d’un film dont la tension monte irrémédiablement crescendo. Le début peut encore paraître un peu bancal, avec cette suite de rendez-vous mondains, marqués plus par la gêne que quelques remarques déplacées y provoquent que par une véritable dynamique dramatique. En dépit des signes annonciateurs de la tempête à venir, les apparences y sont consciencieusement maintenues : celle de la fête d’anniversaire pour commencer, dans un restaurant chic étranger avec l’incontournable chanson et les bougies à souffler, puis celle de la joie quasiment obligatoire que doivent inspirer un mariage ou une naissance à venir, et enfin, plus subtilement, une forme de loyauté en filigrane à l’égard de son partenaire attitré, le garant d’une première nuit à l’issue certes troublante, quoique pas encore catastrophique pour la santé des couples aux pieds d’argile. Néanmoins, la mise en scène y prépare savamment le terrain pour la perte de repères néfaste qui bouleversera chacune des relations au cours de la deuxième partie du film. Même si cette dernière s’apparente à une véritable mise à nu magistrale de l’hypocrisie existentielle qui gangrène durablement ce microcosme, elle aurait eu un impact beaucoup moins incisif, si elle n’avait pas été précédée par ce qui ressemble en fait à une longue préparation astucieuse du futur carnage.

© Art House Films Tous droits réservés

Stop à la violence du mensonge

Le point du basculement vers la confrontation directe se situe presque tardivement dans le récit, quand Kaho profite du dernier cours du trimestre afin d’interpeller ses élèves sur le suicide de l’un de leurs camarades, a priori la victime d’un harcèlement collectif. Or, cette tentative de combattre le mal extérieur par la paix intérieure échoue bien sûr lamentablement. Pour cela, les personnages de Passion en particulier et la société japonaise en général se sont d’ores et déjà engagés trop loin sur la voie de la mascarade des sentiments et des ambitions, qui se soldera pour la plupart d’entre eux par une prise de conscience pénible. Le processus d’épuration de ces faux-semblants s’effectue alors au rythme de séquences plus percutantes les unes que les autres. Toutefois, la précision bluffante de la narration de Ryusuke Hamaguchi découle justement de la maîtrise du ton, très finement ciselé, peu importe que les trois vagabonds de la nuit que sont Tomoya, Takeshi et Takako, s’adonnent à un jeu dangereux où la vérité ne primera pas nécessairement sur l’action, qu’en parallèle Kaho et Kenichiro tentent le rapprochement à la lueur du jour levant dans un quartier industriel, ou que, en fin de compte, le couple principal avoue franchement ses divergences sans penser au lendemain. Une formidable poésie de la cruauté filmique transparaît dans cette descente aux enfers par étapes successives. Celle-ci reste par contre baignée dans une mélancolie presque contemplative, qui, comble de l’ironie, permettra peut-être au statu quo conjugal de prévaloir …

© Art House Films Tous droits réservés

Conclusion

Rien que pour ces deux plans magnifiques, où l’on voit Aoba Kawai dans le rôle de Kaho partir au loin dans un mouvement de fuite pour le moins complexe, Passion vaudrait le détour ! C’est pourtant un premier film qui a encore énormément plus de choses à offrir, comme le jeu d’une authenticité désarmante du trio d’hommes mal assorti, formé par Ryuta Okamoto, Nao Okabe et Kiyohiko Shibukawa, la tension de plus en plus insoutenable qui finit par dynamiter des rapports en apparence si consensuels et surtout le talent incontestable de Ryusuke Hamaguchi d’orchestrer tout cela sans jamais artificiellement forcer le trait ! Comptez-nous donc parmi les adeptes, soit en retard par rapport à ceux qui y ont succombé dès Senses, soit en avance en comparaison avec ceux qui ne le connaissent pas encore, de l’univers de ce réalisateur pour le moins prometteur !

https://youtu.be/FI0yGb_EZYg

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