Critique : Les Amants de Caracas

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Les Amants de Caracas

Venezuela, 2015
Titre original : Desde alla
Réalisateur : Lorenzo Vigas
Scénario : Lorenzo Vigas et Guillermo Arriaga
Acteurs : Alfredo Castro, Luis Silva, Jerico Montilla
Distribution : Happiness Distribution
Durée : 1h33
Genre : Drame
Date de sortie : 4 mai 2016

Note : 3/5

Récompensé du Lion d’or au dernier Festival de Venise, ce film jette un regard sans concession sur le quotidien au Venezuela. Alors que ce pays sud-américain – plus connu pour les mesures extrêmes de ses dirigeants que pour sa cinématographie nationale – traverse actuellement une crise économique et politique majeure, Les Amants de Caracas se situe en marge d’une société en chute libre. Il s’agit d’un film qui se dérobe subtilement à toute catégorisation, puisque il ne constitue ni une histoire d’amour gaie torride, ni un conte social au dénouement édifiant. Le réalisateur Lorenzo Vigas y reste davantage fidèle à un certain nihilisme opaque, assez répandu dans le cinéma latino-américain actuel, que nous avions déjà croisé par exemple du côté des films de Pablo Larrain, tel que Tony Manero. A travers sa posture en retrait du monde, mais toujours prêt à manipuler même les personnes qui devraient être ses proches, le personnage principal nous rappelle en effet celui que le même acteur, Alfredo Castro, interprétait dans le film chilien.

Synopsis : Armando vit seul dans un quartier populaire de Caracas. De temps en temps, il invite de jeunes hommes chez lui qui le font fantasmer. L’une de ses proies est Elder, un garçon au comportement imprévisible qui assomme Armando et se sauve après lui avoir volé son argent. Plutôt que de chercher d’autres partenaires plus dociles, l’homme mûr commence à le suivre, sans pour autant lui forcer la main d’un point de vue sexuel. A force d’être harcelé, Elder cède aux avances en échange de quelques cadeaux onéreux. Mais Armando est tracassé par un autre problème d’ordre personnel : le retour de son père à qui il n’est nullement prêt à pardonner ses erreurs du passé.

Monstres & cie.

Ce film vénézuélien a beau ne pas se démarquer par son originalité, il est un représentant fascinant du courant iconoclaste du cinéma gay. Des réalisateurs aussi emblématiques que Pier Paolo Pasolini et Barbet Schroeder avaient déjà emprunté la voie des histoires passablement glauques, desquelles la notion d’amour à l’eau de rose était totalement absente, au profit de rapports de force et de dépendance simultanément plus calculateurs et plus viscéraux. Tandis que l’objet des fantasmes dans Les Amants de Caracas affiche au moins au début un tempérament irascible et téméraire à l’image des jeunes voyous érotiquement chargés chez Pasolini, la prémisse d’un vieil homme qui apprivoise une bête de la rue nous rappelle forcément celle de La Vierge des tueurs de Schroeder. Contrairement à la jouissance sauvage qui guide la quête du plaisir charnel dans ces films-là, le récit baigne dans une épaisse ambiguïté morale dans le cas présent. Les rares signes de reconnaissance, voire d’affection au sein du couple mal assorti entre Armando et Elder, ne signifient en effet nullement que la loyauté entre eux prime sur des considérations plus égoïstes dans un cadre social extrêmement précaire. Le dénouement fort pessimiste est par conséquent conforme à l’état d’esprit général du film, aussi délétère que l’ambiance dans les quartiers populaires de la capitale vénézuélienne.

Dans le flou

Formellement, le film de Lorenzo Vigas nous semble tributaire du recul nécessaire pour permettre un décorticage clinique que l’on trouve parfois chez Gus Van Sant. En dehors du type de plan à jamais associé à Elephant, qui suit un personnage de dos avec l’arrière de la tête au centre de l’image, la mise en scène multiplie les flous artistiques pour mieux souligner l’isolement du protagoniste dans un univers urbain qui lui est largement indifférent. Le flegme de Armando a hélas de temps en temps tendance à influer sur le ton du film dans son ensemble. Ce qui ne nous permet pas forcément de mieux cerner les ambitions narratives du réalisateur, ni les intentions véritables de ce personnage plus fourbe que mystérieux. De nombreux champ de l’intrigue demeurent ainsi dans l’incertitude la plus totale, la cause de la rancune meurtrière à l’égard du père en tête. Aucun effet d’expiation ou de libération sexuelle n’est donc à espérer de ce film austère, qui présente néanmoins l’avantage de conter sans embellissement artificiel ce que nous qualifierions plus d’histoire malsaine d’une attirance à sens unique que de grande épopée romantique gaie.

Conclusion

Les Amants de Caracas est certes un film d’une certaine radicalité esthétique et morale. Ce n’est pourtant pas une œuvre majeure, digne des plus hautes distinctions du cinéma mondial. Le Lion d’or qu’il a obtenu en septembre dernier au Festival de Venise devrait a fortiori être interprété comme un signe d’encouragement pour une industrie cinématographique en grande difficulté, voire par moments inexistante, et non pas en tant que récompense d’un langage filmique unique, propre à ce film au propos passablement déprimant.

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