L’image de la femme dans le cinéma Tunisien contemporain

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L’image de la femme dans le cinéma Tunisien contemporain

Au fil des années, et depuis la sortie du premier film tunisien Al Fajr, que soit à l’époque coloniale ou à l’époque de l’indépendance, le cinéma tunisien renvoie une image de la femme de plus en plus critiquable : acceptée par une partie du public, elle est cependant désapprouvée par d’autres. C’est une image qui s’expose alternativement de diverses façons, parfois clairement lisible, parfois ambiguë.

L’image de la femme dans le cinéma Tunisien contemporain

Cette image, dans sa complexité, est contenue dans un triangle à trois pôles : il y a la femme traditionnelle et souvent soumise, la femme émancipée, et la femme réduite à l’état d’objet de toutes les convoitises.

La production cinématographique tunisienne place souvent le thème de la femme à la première place. Il s’agit parfois d’une image traditionnelle, qui correspond au stéréotype de la mère dévouée, vulnérable, impuissante, qui reste indéfiniment en attente à la maison, essentiellement vouée à servir sa famille ou à supporter la domination d’un homme autoritaire (le père, le frère ou le mari). Cette conception de la femme, bien qu’elle soit tout à fait classique, demeure, aujourd’hui encore, stable ; et elle est vénérée dans le cinéma tunisien. Elle est souvent incarnée dans les films de Moufida Tletli ou de Salma Baccar, deux cinéastes qui ont œuvré du mieux qu’ils ont pu pour valoriser avec sobriété ces femmes silencieuses.

Avec d’autres cinéastes, l’idée du sentiment d’impuissance de la femme s’exprime sous d’autres couleurs, pour donner à voir une image pire que celle évoquée ci-dessus. Elle est impuissante, inexpérimentée, sans diplôme ni travail ni argent ; et, contrainte d’accepter parfois n’importe quel type de travail, même si ce n’est pas digne, elle devient danseuse, prostituée, ou encore vagabonde dans les rues. Cette image s’incarne souvent dans les films de Nouri Bouzid, de Jilani Sa’di et de plusieurs autres cinéastes.

Entre ces deux images, il y a celle de la femme qui conserve toujours tout son mystère. On peut parler d’une féminité en délire, par frustration sentimentale ou sexuelle. Cela concerne des femmes qui, souvent, sont amenées à tourner la page d’une vie conjugale peu satisfaisante, et dont l’histoire débouche sur un divorce ou sur une sorte de « dérapage » inconscient, tel par exemple le dérapage de la pauvre Zakia de Salma Baccar.

Mais à côté de l’image de la femme au foyer absorbée par les préoccupations familiales, celle de la femme qui travaille à l’extérieur témoigne du progrès de la condition féminine vers plus d’émancipation. La femme qui travaille gère sa vie souvent en paix, moins humiliée. Pourtant, elle reste toujours dépendante, « inférieure » à son maître. Il s’agit soit d’une ouvrière harcelée par son chef ou par son entourage social, soit d’une ménagère privée qui sacrifie sa vie à fabriquer des tapis…

Parler de la femme dans le cinéma tunisien d’aujourd’hui, c’est parler d’une société entière, puisqu’il n’est guère possible de trouver un film tunisien sans femme. Le cinéma constitue donc un excellent support pour parler de la femme.

Fatma Khaled Ghorbel

Entre le réel et la fiction, le cinéma tunisien contemporain continue d’essayer de convaincre, comme tous les cinémas au monde, dans un monde où la femme continue à se battre pour améliorer son sort. Ce désir d’évasion fantasmé, le cinéma l’offre à notre regard, et nous tend un miroir qui réunit l’image féminine et son ombre. On pense alors à Maurice Merleau-Ponty qui écrivait : « Dire, ce n’est pas mettre un mot sous chaque pensée : si nous le faisions, rien ne serait jamais dit » . Une leçon apprise par cœur par nos cinéastes.

C’est une leçon écrite, image par image, pour tisser un texte chamarré, où les couleurs se mélangent pour esquisser un tableau aux formes multiples et multidirectionnelles, comme une peinture de Picasso, qui plaît beaucoup même à ceux qui ne le comprennent pas : telle est l’image de la femme dans le cinéma tunisien où « on ne voit que ce qu’on regarde » – ce qu’on sent, ce qu’on vit.

La Tunisie est un pays qui continue à défendre la loi du 13 Août 1956 pour l’émancipation de la femme ; de même sur le grand écran, le film tunisien continue à célébrer la femme telle que l’évoque la plus belle phrase de Haydée Shamama Shikly : « Le plus beau rôle d’une femme est d’être femme » .

Dans ce pays, la femme continue d’avancer pour que l’image embrasse le réel. Que ce soit dans la production cinématographique masculine ou féminine, le rôle réservé à la femme dans le cinéma tunisien contemporain est souvent un outil pour réduire la distance entre le réalisateur et son public.

Souvent violemment critiqués au motif d’une idéologie de la décence et des lois familiales qui prônent la pudeur, les cinéastes tunisiens et tunisiennes contestent une société qui, concernant la femme, valorise avant tout son statut de mère, avant même celui de compagne ou de conjointe.

Dans le cinéma tunisien contemporain, chaque film porte certainement une image d’un type de femme, et chaque femme porte un message. Chaque film peut être révolutionnaire, libéral, ou dénoncer un lieu ou une société… Chaque film est un message qui peut aussi s’inspirer ou rendre compte d’un fait réel ou imaginaire pour montrer que la femme tunisienne d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui, même si beaucoup de chemin reste à faire et beaucoup reste à découvrir. C’est ce même point de vue que nous avons adopté pour essayer d’aller un peu loin, au-delà de cette image cinématographique entre les mots et les lignes. En Tunisie, de la diversité naissent certainement plusieurs types de femmes, plusieurs images selon différents lieux et différents milieux sociaux. C’est alors tout un monde d’images, où « une image coûte mille mots ». Dans un seul film, et chez le même personnage féminin apparaissent plusieurs images : image de la femme émancipée, image de la femme divorcée, image de la femme nomade, image de la femme rebelle, image de la femme travailleuse…

Que ce soit dans le cinéma tunisien ou le théâtre tunisien contemporains, l’image de la femme est presque toujours présente. Cette production a largement valorisé l’image de la femme, présentant celle-ci comme l’ossature sociale qui permet de mesurer le niveau de développement dans chaque milieu. A la campagne, l’image de la femme reste souvent très simple, traditionnelle : la femme est une mère responsable, honnête et fidèle ; la jeune fille est pudique, très attachée à sa famille, et battante lorsqu’il s’agit d’affronter ses problèmes d’adolescente et de lutter contre son destin. En ville, l’image de la femme est plus évoluée : la femme paraît de plus en plus émancipée, plus libre.

Ce qui est remarquable dans le cinéma tunisien, c’est ce portrait de la femme, partout présent. Parfois même, force est d’admettre que les scénarios ont souvent recours à la beauté des personnages féminins pour capter l’intérêt du public, hors toute préoccupation artistique.

Mais ce n’est pas une règle. L’évocation de la femme répond aussi, de la part des réalisateurs, au souci de rendre compte d’une réalité, indépendamment de toute motivation mercantile.

Le public, quant à lui, cherche aussi dans les films à retrouver l’image de la femme honnête, travailleuse, productrice, éducatrice, qui prend pleinement part à la vie sociale ; une femme libre et ouverte, digne de respect : une mère, une sœur, une épouse… Image souvent absente.

Avec cette production cinématographique contemporaine, le public se retrouve parfois devant un écran qui ne lui évoque rien, sauf une sorte de désordre illisible comme dans Fatma de Khaled Ghorbel : un monde hermétique empreint de laideur et de méchanceté, et où le silence de la sagesse est plus bruyant que le pire vacarme.

L’image de la femme dans le cinéma Tunisien contemporain

Dans cette production, la question de la femme dans la société tunisienne est prégnante, et reste suspendue entre les contraintes de la commercialisation des films et la réalité sociale, tout en s’inscrivant dans une dimension purement artistique. Dimension artistique que Hegel a présentée comme beauté culturelle, une beauté comme idée qui embarrasse le réel pour devenir quelque chose d’unique en soi.

Une certaine ignorance fait oublier que le cinéma est avant tout l’histoire d’une histoire qui préserve les représentations et les perceptions de la société et ses symboles. Or devant l’écran d’un certain cinéma tunisien nul ne peut s’évader : le public est pris dans les tentacules d’une pieuvre envahissante, uniquement mue par le critère envahissant de l’argent qui détermine le choix des scénarios ou des lieux de tournage.

Il est très affligeant de voir les salles de cinéma se vider lorsque, à Tunis la capitale du pays, les films tunisiens sont à l’affiche. Le public tunisien se détourne de son cinéma, qui ne parvient pas à convaincre tout le monde. On se trouve devant une production cinématographique qui navigue entre la frilosité d’une autocensure et une représentation débridée de la sexualité. Aujourd’hui pour un cinéaste tunisien, réaliser un film dont seraient absentes des images de femmes, quelles qu’elles soient, le vouerait inéluctablement à l’échec commercial. Bien sûr, il y a des exceptions.

Mabrouki Anwar

 

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