Critique : Iranien

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France, Suisse, Iran : 2014
Titre original : –
Réalisateur : Mehran Tamadon
Scénario :
Acteurs : Mehran Tamadon
Distribution : Le Pacte
Durée : 1 h 45
Genre : Documentaire
Date de sortie : 3 décembre 2014

4/5

 En 2000, Mehran Tamadon, iranien habitant en France, est parti en Iran afin d’y faire des études d’architecte. Il y est resté 4 ans et c’est là, dans le cimetière de Téhéran, en voyant les iraniens venir chaque semaine sur la tombe des membres de leur famille morts durant la guerre avec l’Irak, qu’a poussé en lui une vocation de cinéaste. Tourné dans ce cimetière,  Mères de martyrs, son premier film, un moyen métrage de 44 minutes, date de 2004.

Synopsis :  Iranien athée, le réalisateur Mehran Tamadon a réussi à convaincre quatre mollahs, partisans de la République Islamique d’Iran, de venir habiter et discuter avec lui pendant deux jours. Dans ce huis clos, les débats se mêlent à la vie quotidienne pour faire émerger sans cesse cette question : comment vivre ensemble lorsque l’appréhension du monde des uns et des autres est si opposée ?

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Athée, souhaits ! 

 Iranien et athée, le réalisateur Mehran Tamadon se partage depuis plusieurs années entre la France et l’Iran. En 2010, Bassidji, son premier documentaire long métrage le voyait en immersion chez ces bassidjis qui sont les défenseurs les plus radicaux de la République islamique. A la suite de ce film, Mehran Tamadon a eu l’envie de proposer un « match retour » : parti sur l’idée de réunir chez lui des représentants des bassidjis, il l’a assez vite abandonnée, la situation iranienne ayant évolué à la suite de la réélection, en 2009, de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République. En effet, cette réélection fut très contestée et les manifestations qui suivirent virent une implication très forte des miliciens bassidjis dans une répression qui fit de nombreux morts. Toujours avec le même but de partager sa maison avec des représentants de l’ « autre camp », Mehran Tamadon s’est alors tourné vers les mollahs, ces « érudits » musulmans qui, pensait-il, devaient être plus enclins à discuter que des bassidjis. Non sans mal, au bout de trois longues années, il a réussi à convaincre quatre mollahs de venir partager son existence pendant 48 heures, dans sa maison de famille. Iranien allait pouvoir naître.

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48 heures chrono 

Lorsque les mollahs et leurs épouses arrivent chez lui, Mehran Tamadon n’a qu’un but : filmer les discussions qui vont meubler ces 48 heures et en tirer un film prouvant à lui-même, à ces mollahs, aux dirigeants et au peuple d’Iran, au monde entier, qu’il n’y a aucune raison pour qu’un vivre ensemble ne soit pas possible en Iran entre des gens dont les valeurs sont totalement opposées. Il n’est absolument pas question pour lui d’essayer de convaincre ses interlocuteurs d’abandonner leurs croyances, encore moins d’y arriver. Iranien nous donne un résumé qu’on espère le plus fidèle possible de tout ce qui s’est passé pendant ces 48 heures, y compris des scènes de la vie quotidienne. Le cœur du film, toutefois, se situe dans des discussions au cours desquelles, les 5 personnages, assis sur des tapis, ont abordé des sujets très variés comme la liberté, la laïcité, la place de l’image dans la société, celle des livres, celle de la musique.

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Passionnant et frustrant  

Certes butés dans leurs convictions, les mollahs se révèlent redoutablement intelligents et souvent drôles. Visiblement, le but de ces rois de la rhétorique était de mettre le réalisateur face à ses contradictions, en particulier sur le sujet de la liberté : les occidentaux ne cessent de nous attaquer à propos de nos interdits concernant les libertés individuelles, mais vous, quelles sont vos limites en la matière ? Par exemple, les femmes ont droit au bikini sur les plages mais vous leur refusez de s’y rendre nues. Vous aussi, vous avez des interdits. Ces interdits ne font-ils pas de vous des dictateurs ? Le plus souvent passionnant, le film s’avère aussi très frustrant. Même quand on se répète que le réalisateur n’a pas pour but de convaincre les mollahs qu’ils sont dans l’erreur, il n’empêche que, bien souvent, on se verrait bien répondre vertement à la place de Mehran Tamadon. Par exemple lorsque le plus bavard de la bande des quatre prétend que le fait que l’homme ait peur de la mort est la preuve de l’existence de Dieu : on aimerait que lui soit rétorqué que c’est peut-être le contraire qui est vrai, que c’est parce que, à cause des religions, il a peur de ce qu’il deviendra dans l’au-delà, après la mort, que l’homme en a si peur. De même, il est frustrant de voir et d’entendre ce même mollah bavard faire sans arrêt appel à la science pour appuyer ses thèses sans qu’il soit mis en demeure d’expliquer de quelle science il veut parler. Frustrant aussi que les mollahs ne soient pas mis en face du caractère infantile de leurs obsessions : peur de la transgression, peur de leurs propres désirs, peur d’être incapable de les maîtriser. Frustrant enfin que la situation des femmes en Iran ne soit que très peu abordée. Peut-être, concernant cette dernière frustration, aurait-il fallu que des femmes interviennent dans les discussions, ce qui n’est jamais le cas. Cela étant, le réalisateur est tout à fait conscient de ces frustrations et il les assume. Pour lui, sa victoire réside dans le fait que les quatre mollahs sont restés chez lui jusqu’au bout des 48 heures.

Conclusion

Iranien est un film qui risque de déplaire à beaucoup de monde : aux religieux iraniens, bien sûr, mais aussi aux iraniens qui s’opposent au régime en place et qui risquent de trouver que Mehran Tamadon n’est pas assez mordant face au quatre mollahs. Peut-être décevra-t-il également certains spectateurs dans nos contrées, pour les mêmes raisons. On ne peut pourtant que conseiller de ne pas passer à côté de ce film, à la fois passionnant, enrichissant et, curieusement, souvent drôle.

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