Critique : En eaux troubles (Jon Turteltaub)

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En eaux troubles

États-Unis, Chine, 2018
Titre original : The Meg
Réalisateur : Jon Turteltaub
Scénario : Dean Georgaris, Jon Hoeber & Erich Hoeber, d’après le roman de Steve Alten
Acteurs : Jason Statham, Li Bingbing, Rainn Wilson, Cliff Curtis
Distribution : Warner Bros. France
Durée : 1h53
Genre : Action
Date de sortie : 22 août 2018

Note : 3/5

Dans l’Histoire du cinéma plus ou moins récente, y a-t-il eu un moment où les films sur les dangers remontés des profondeurs des océans n’étaient pas perçus comme de l’évasion pure, fabriqués pour susciter à la fois des frissons et un recul ironique face à tant d’exagération marine ? Sans remonter trop dans le passé, Les Dents de la mer de Steven Spielberg – en quelque sorte l’œuvre à l’origine de cette phobie disproportionnée des requins – s’était encore efforcé à encadrer les nouvelles prouesses techniques de la bête en caoutchouc d’un récit humain plutôt réfléchi, perfectionnant alors une forme d’équilibre dans l’efficacité et la crédibilité que tous ses successeurs se sont employés à démonter. Car depuis le milieu des années 1970, le sous-genre ne connaît en fait qu’une série interminable de resucées plus ou moins minables. Le néant cinématographique a d’ailleurs été atteint par les Sharknados, de viles productions à (très) bas prix, qui feraient même honte aux séries B incomparablement plus inventives des années ’50 et ’60, avant que la révolution numérique en termes d’effets spéciaux ne permette toutes sortes de délires sanguinaires improbables. Dans ce contexte, En eaux troubles se classe du côté des films qui tentent le grand écart, entre le spectacle grandiloquent et un semblant d’humanité, et qui y parviennent malgré tout, grâce à leur facture solide et leur lucidité quant aux enjeux narratifs de leur intrigue, depuis toujours sous l’emprise d’un manichéisme primaire.

Synopsis : Sur la base de recherches scientifiques Mana One au large des côtes chinoises, le professeur Zhang et son équipe sont sur le point de franchir un nouveau cap dans l’exploration des profondeurs de l’océan Pacifique. L’investisseur principal, le milliardaire Morris, a même fait le déplacement, afin d’observer le plongeon du sous-marin phare de la station. La mission s’avère toutefois plus périlleuse que prévu, lorsque l’équipage est coincé à plus de dix mille mètres, suite à l’attaque mystérieuse d’une bête géante. Un seul homme serait en mesure de leur venir en aide : Jonas Taylor, qui a pris sa retraite anticipée en Thaïlande, après avoir dû abandonner deux de ses hommes lors d’une opération d’évacuation d’urgence cinq ans plus tôt. Les retrouvailles avec son ancien coéquipier Mac et le docteur Heller sont plus ou moins chaleureuses, mais puisque le temps presse, Jonas ne tarde pas à se mettre au travail pour extraire les trois scientifiques échoués, dont son ex-femme Lori.

Découvrir et détruire

L’ambition proprement scientifique du treizième film de Jon Turteltaub n’est que façade, puisque l’émerveillement face aux trésors du règne animal découverts là où aucun autre homme n’est allé auparavant y laisse rapidement la place à l’horreur savamment orchestrée. Le ton martial, nourri par des opérations de sauvetage de plus en plus hardies, prend ainsi rapidement le dessus sur les bonnes intentions des chercheurs d’origines diverses et variées, réunis dès lors pour mettre leur savoir-faire au service d’une chasse au requin des plus classiques. La question viscérale de la survie prime alors sur quelque considération de préservation et d’étude que ce soit, au détail près que le héros quasiment sans peur campé par Jason Statham paraît avoir un goût prononcé pour le danger, auquel il s’expose sans cesse. En guise de substitut à des explications trop scientifiques, qui n’auraient de toute façon pas leur place dans une production hollywoodienne destinée à un public féru de blockbusters estivaux, nous avons par contre droit à une relation amoureuse assez artificielle. Celle-ci se tisse progressivement – une séquence pour reprendre son souffle à la fois – entre le protagoniste et son pendant féminin, avec des coups de pouce peu fins de la part de la fille de la représentante chinoise en prime. Eh oui, comme dans tout film catastrophe qui se respecte, En eaux troubles ne lésine point sur la mise en danger des personnages les plus vulnérables, et donc des enfants, voire des chiens, un autre cliché récurrent du genre, néanmoins exploité ici avec un certain sarcasme.

Il y a toujours un poisson plus grand

Le rythme du récit est suffisamment soutenu pour étouffer dans l’œuf tout soupçon d’essoufflement. Et même la fâcheuse sensation de déjà-vu y est contournée avec adresse, grâce à l’enchaînement presque ininterrompu de dispositifs complémentaires d’affrontement en haute mer. En effet, si vous croyez que l’intrigue se résume à la seule et unique opération de remontée des naufragés initiaux, vous connaissez mal les règles de ce type de film à la surenchère constante, où chaque nouveau massacre exige son tribut en vies humaines. Le groupe des valeureux rescapés se réduit alors au fur et à mesure que leur chemin croise, volontairement ou non, celui de leur adversaire ancestral, parfois avec pathos, parfois avec dérision, mais sans exception selon la loi de la précipitation scénaristique, qui n’autorise personne à se remettre de ses émotions. Le résultat final est par conséquent peut-être un peu trop calibré et huilé pour servir à autre chose qu’un divertissement aussi superficiel qu’efficace. Rien de mal certes à cette raison d’être plus commerciale qu’artistique. Mais il manque au film cette petite touche singulière, dans l’excès ou au contraire la retenue, qui le distinguerait des productions de plus en plus nombreuses, cherchant à se rendre intéressantes aux yeux du public chinois en particulier et des spectateurs internationaux en général, quitte à faire l’impasse sur quelque trait de personnalité que ce soit.

Conclusion

En allant voir En eaux troubles, personne ne s’attendra à voir un film appelé à réinventer un genre usé jusqu’à la corde. Le film de Jon Turteltaub sait cependant rester souverainement conforme aux attentes que l’on peut cultiver à l’égard de ce type de spectacle hors normes. L’ancien plongeur professionnel Jason Statham y est en tout cas dans son élément et réussit à dissiper tant soit peu le parfum synthétique qui émane forcément d’une telle histoire déjà vue mille fois. Enfin, signalons également le manque d’originalité de la part de la branche française de la Warner, qui reprend un titre utilisé pas plus tard qu’en 2009 par le film norvégien du même nom de Erik Poppe, jouant, lui, sans trop d’impact dans la cour des petites productions indépendantes européennes.

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