Test Blu-ray : Pacifiction – Tourment sur les îles

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Pacifiction – Tourment sur les îles

France, Espagne, Allemagne, Portugal : 2022
Titre original : –
Réalisation : Albert Serra
Scénario : Albert Serra
Acteurs : Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Marc Susini
Éditeur : Blaq Out
Durée : 2h45
Genre : Drame, Espionnage, Thriller
Date de sortie cinéma : 9 novembre 2022
Date de sortie DVD/BR : 7 mars 2023

Sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l’État Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français…

Le film

Après sa présentation à Cannes en 2022, Pacifiction – Tourments sur les îles est rapidement devenu un des chouchous de la critique française. Encensé par Les Cahiers du Cinéma et Les Inrocks (« meilleur film de l’année ») ainsi que par Le Monde (« chef d’œuvre »), le nouveau film d’Albert Serra a par la suite reçu le prix Louis-Delluc puis, en 2023, s’est vu récompensé par deux fois, tant aux Lumières qu’aux César (meilleur acteur pour Benoît Magimel, meilleure photographie pour Artur Tort).

D’une façon assez curieuse, début février, et au bout de 14 semaines d’exploitation, seulement un peu plus de 58.000 spectateurs s’étaient déplacés pour voir Pacifiction – Tourments sur les îles dans les salles françaises, ce qui est moins, par exemple, que les scores enregistrés par le moyen-métrage Jean-Michel le caribou et les histoires d’amour interdites en un mois à l’affiche. Certains observateurs ont tenté d’expliquer l’insuccès retentissant de Pacifiction – Tourments sur les îles dans les salles par sa longue durée : 2h45, c’est long, et le commun des mortels ne peut pas envisager d’aller s’enfermer dans une salle obscure pendant trois heures. Ce ne sont probablement pas les 14 millions de français s’étant rués dans les salles pour voir Avatar 2 (3h12) qui nous contrediront sur ce point. Toujours est-il qu’en dépit du consensus critique l’ayant érigé en monument immédiat, le film d’Albert Serra s’est vautré au box-office. Les cinéphiles français auraient-ils pris peur devant l’engouement critique autour du film d’Albert Serra, craignant de découvrir dans ce thriller politico-onirique la baudruche cinématographique de l’année ?

On ne saurait le dire, mais heureusement, Pacifiction – Tourments sur les îles s’offre aujourd’hui une séance de rattrapage dans votre salon. Et dès le début du film, on comprendra les raisons pour lesquelles le film est parvenu à séduire : la photo d’Artur Tort est en effet à tomber à la renverse. La beauté des images est sidérante, tout au long du film, et côté scénario, les prémisses du récit sont pour le moins intrigantes, dans le sens où Albert Serra parvient à capter l’attention du spectateur par le biais d’un personnage insaisissable, Haut-Commissaire de la République basé à Tahiti, et d’une atmosphère onirique envoûtante, toujours sur le fil entre le réel et le fantasme.

La personnalité de De Roller (Benoît Magimel), bureaucrate paternaliste et vaguement prétentieux, est donc au centre de la première demi-heure de Pacifiction – Tourments sur les îles. L’arrivée d’un amiral français et de son escouade de marins va cependant bouleverser son existence et le plonger dans une espèce de paranoïa galopante qui, portée par les images paradisiaques d’Artur Tort, paraîtra à coup sûr tout à la fois absolument fascinante et… mortellement chiante. En effet, au terme d’une introduction intéressante, le film s’embourbe dans une heure et demie de dialogues répétitifs et de prises de vue aussi superbes qu’inutiles : l’intrigue n’avance pas d’un iota, mais l’atmosphère est solide, et de plus en plus suffocante au fur et à mesure que le film avance. Cette manière de souffler le chaud et le froid est sans doute une volonté d’Albert Serra, et cela fonctionne en partie, puisqu’elle fait de son film un objet filmique singulier, dont on n’arrive pas précisément à dire si on l’aime ou si on le déteste. Ou sans doute est-ce un peu des deux.

Chef d’œuvre de tension larvée et de langueur hypnotique, Pacifiction – Tourments sur les îles prend ainsi régulièrement des atours de calvaire cinématographique, que l’on subit plus qu’on ne le vit réellement, tout en s’accordant pour trouver l’ensemble brillant. Brillant, habile dans ses choix de cadres et de mise en scène, mais tellement vide et monotone qu’un profond ennui ne tardera pas à titiller le spectateur. L’influence de David Lynch est manifeste, et les choix narratifs d’Albert Serra semblent aussi précis que délibérément obtus. Bien sûr, il s’agit là d’une façon de laisser le film ouvert à différentes interprétations, mais le flou général autour des enjeux dramatiques et des motivations des personnages peut également laisser penser que Serra tend aussi volontairement la perche aux chantres de l’interprétation excessive, également appelée « tirage sur la nouille » dans le jargon critique.

Contrairement à ce qu’ont pu fantasmer certains, Pacifiction – Tourments sur les îles ne basculera jamais réellement dans le récit d’espionnage annoncé en filigrane par le premier acte du film. Albert Serra se concentrera donc de jouer avec le spectateur, lui offrant un spectacle cultivant une certaine idée de la bizarrerie, avec des coloniaux maladroits, des fonctionnaires corrompus et alcooliques, des hôtesses transgenres et des personnages interlopes dont on ignore s’ils sont des espions ou des touristes sexuels. Les quarante dernières minutes du film en rajoutent encore une couche dans le l’étrangeté planante et la beauté picturale éblouissante, les longues prises de vue étant de plus en plus parasitées par une bande-son entêtante et volontairement répétitive. Cette dernière partie est absolument cohérente avec la schizophrénie de tout le reste du film, à la fois exaspérante de lenteur prétentieuse et éblouissante de beauté. Pour résumer, Pacifiction – Tourments sur les îles est donc un film devant lequel on ne cessera de bougonner en criant à l’escroquerie, mais que l’on regardera paradoxalement en entier. Et que l’on regardera peut-être même une deuxième fois. Un jour, peut-être.

Le Blu-ray

[4,5/5]

Malgré le bide du film dans les salles, la pluie de récompenses ayant accompagné Pacifiction – Tourments sur les îles depuis sa présentation à Cannes permet aujourd’hui au film d’Albert Serra de s’offrir une édition Blu-ray, sous les couleurs de Blaq Out. Indéniablement, la magnifique photo d’Artur Tort – récemment récompensée par un César – méritait un encodage en Haute-Définition, et le Blu-ray édité par Blaq Out lui rend clairement honneur : le piqué est précis, avec des couleurs somptueuses, des noirs profonds et des contrastes au top niveau. La définition et l’encodage sont irréprochables, tout est littéralement impeccable, il n’y a absolument rien à redire. Côté son, le film est proposé dans un puissant mixage DTS-HD Master Audio 5.nous proposant une parfaite immersion au cœur du film : le spectre sonore de l’ensemble est extraordinaire, et s’offre même un dynamisme étonnant sur certaines séquences (notamment la scène de surf). Comme d’habitude avec Blaq Out, un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 est également disponible, et s’avérera sans doute plus cohérent si vous visionnez Pacifiction – Tourments sur les îles sur un simple téléviseur, sans barre de son ou système de Home Cinema.

Dans la section suppléments, on trouvera uniquement un entretien avec le réalisateur Albert Serra (27 minutes), qui s’exprime en français mais que Blaq Out a jugé bon de sous-titrer en raison de son accent extrêmement prononcé. Le cinéaste y reviendra sur la genèse du projet ainsi que sur le singulier dispositif de mise en scène qu’il avait choisi, avec trois caméras, des prises très longues et, bien sûr, pas de lecture préalable du scénario (on se disait aussi…). Albert Serra effleurera également les aspects politiques et militaires de son film, sans pour autant réellement expliciter son propos.

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