Décès du réalisateur Bertrand Tavernier

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Que la fête commence © 1975 Les Productions de la Guéville / Fildebroc Productions / Universal Pictures France /
Tamasa Distribution Tous droits réservés

Le réalisateur et scénariste français Bertrand Tavernier est décédé ce jour à Sainte-Maxime dans le Var. Il aurait eu 80 ans dans un mois. Si Tavernier n’avait été que le créateur d’un corpus de films riche et varié, d’une vingtaine de longs-métrages de fiction et d’une poignée de documentaires, la perte pour le cinéma français serait déjà importante. Le fait qu’il était en même temps un formidable passeur de la passion du Septième art, un érudit hors pair et au goût éclectique qui se battait corps et âme pour le cinéma de genre et les cinéastes méconnus ou injustement ignorés nous inspire une tristesse profonde. Que ce soit à Lyon, dans le cadre de l’Institut Lumière dont il était le président, ou ailleurs, Bertrand Tavernier était un homme de cinéma par excellence, un exemple à suivre et à chérir pour tout cinéphile qui se respecte !

Le Juge et l’assassin © 1976 Etienne Georges / Lira Films / France 3 Cinéma / Tamasa Distribution Tous droits réservés

Son amour du cinéma, Bertrand Tavernier l’a d’abord fait vivre comme critique, puis attaché de presse. A ce titre, il avait accompagné au cours des années 1960 la sortie de films tels que Le Doulos de Jean-Pierre Melville, La 317ème section de Pierre Schoendoerffer, ainsi que Dernier domicile connu de José Giovanni. A la même époque, il avait appris la technique du cinéma en tant qu’assistant réalisateur entre autres sur Maciste Gladiateur de Sparte de Mario Caiano, Question d’honneur de Luigi Zampa et Une folle envie d’aimer de Umberto Lenzi. Après avoir collaboré comme réalisateur aux films à sketches produits par Georges De Beauregard Les Baisers et La Chance et l’amour, Tavernier signe son premier film en 1974 à travers L’Horloger de Saint-Paul, l’adaptation de Georges Simenon avec Philippe Noiret remportant d’emblée le prix Louis Delluc.

Coup de torchon © 1981 Little Bear / Les Films de la Tour / Films A2 / Tamasa Distribution Tous droits réservés

Dès lors, Bertrand Tavernier enchaîne des films à un rythme soutenu. Des drames historiques comme Que la fête commence et Le Juge et l’assassin, ou plus contemporains tels que Des enfants gâtés et Une semaine de vacances ou encore le thriller médiatique La Mort en direct. Il défend sans peine son statut de réalisateur majeur du cinéma français au cours des années ’80 grâce à Coup de torchon avec son acteur attitré Philippe Noiret, Un dimanche à la campagne avec Sabine Azéma, le très bel hommage au jazz Autour de minuit avec Dexter Gordon, l’épopée de guerre médiévale La Passion Béatrice avec Julie Delpy et l’épopée sur le trauma de la guerre de 14-18 La Vie et rien d’autre toujours avec Noiret, puis pour finir la décennie en beauté le sublimement nostalgique Daddy Nostalgie avec Dirk Bogarde et Jane Birkin.

C’est également au cours de ces années-là que le réalisateur tourne ses premiers documentaires. Dans Mississippi Blues, il partait aux côtés de Robert Parrish à la recherche des racines folkloriques de la musique dans le sud des États-Unis. Et neuf ans plus tard, en 1992, La Guerre sans nom et son regard franc sur la guerre d’Algérie était disposé à soulever des polémiques retentissantes.

Daddy Nostalgie © 1990 Jeanne-Louise Bulliard / Little Bear / Cléa Productions / UGC Distribution Tous droits réservés

La dimension politique des films de Bertrand Tavernier, férocement engagé à gauche, se faisait plus explicite à partir des années ’90. Ainsi, le fond social, voire la mise en cause du système français était difficile à ignorer dans des pamphlets sur la violence tels que L.627 côté forces de l’ordre et L’Appât avec Marie Gillain – Ours d’or au Festival de Berlin en 1995 – côté jeunes voyous ou le drame sur le quotidien difficile au sein de l’éducation nationale en province dans Ça commence aujourd’hui. Et même ses films à costumes, comme La Fille de d’Artagnan avec Sophie Marceau et Capitaine Conan avec Philippe Torreton, faisaient preuve d’un certain propos revendicateur. L’apogée de ce militantisme par écran de cinéma interposé était sans doute atteint en 2001 par le biais du documentaire sur les réfugiés Histoires de vies brisées Les ‘double peine’ de Lyon qu’il avait coréalisé avec son fils Nils Tavernier.

L.627 © 1992 Jacques Prayer / Little Bear / Les Films Alain Sarde / Studiocanal Tous droits réservés

Les films de vieillesse pour ainsi dire de Bertrand Tavernier réunissaient souvent de façon magistrale toutes ces préoccupations narratives et morales. Il était resté fidèle aux films d’époque tels que Laissez-passer avec Jacques Gamblin et La Princesse de Montpensier avec Mélanie Thierry, tout comme au drame social (Holy Lola avec Isabelle Carré), à l’adaptation de romans à l’ambiance poisseuse (Dans la brume électrique avec Tommy Lee Jones) et à l’observation satirique d’un microcosme en roue libre dans Quai d’Orsay, son dernier film de fiction sorti sur les écrans français en 2013.

L’épilogue de sa carrière avait quelque chose de particulièrement cohérent au détour du documentaire fleuve Voyage à travers le cinéma français en 2016, dans lequel il revenait sur les trésors du cinéma national qui avaient jadis bercé sa cinéphilie.

Dans la brume électrique © 2009 Dawn Laurel Jones / Little Bear / Ithaca Pictures / TF1 Droits Audiovisuels
Tous droits réservés

Entre 1976 et 2017, Bertrand Tavernier a été nommé pas moins de vingt-cinq fois aux César ! Il l’avait gagné à cinq reprises : en tant que Meilleur réalisateur pour Que la fête commence en 1976 et Capitaine Conan en 1997, ainsi que pour les scénarios de Que la fête commence, Le Juge et l’assassin en 1977 et Un dimanche à la campagne en 1985. Presque encore plus impressionnante est la liste des comédiens récompensés d’un César pour leur jeu dans l’un de ses films. Ils sont au nombre de six : la Meilleure actrice Sabine Azéma (Un dimanche à la campagne), les Meilleurs acteurs Michel Galabru (Le Juge et l’assassin), Philippe Noiret (La Vie et rien d’autre) et Philippe Torreton (Capitaine Conan), ainsi que les Meilleurs acteurs dans un second rôle Jean Rochefort (Que la fête commence) et Niels Arestrup (Quai d’Orsay).

Côté festivals, celui de Cannes avait sélectionné quatre de ses films en compétition et avait attribué à Bertrand Tavernier le prix de la mise en scène en 1984 pour Un dimanche à la campagne. A Berlin, il faisait partie de la compétition à six reprises avec à la clef un Ours d’argent prix spécial du jury dès 1974 pour L’Horloger de Saint-Paul et donc la récompense suprême, l’Ours d’or du jury de Lia Van Leer en 1995 pour L’Appât. Seulement invité deux fois au Lido vénitien, Tavernier y avait pourtant reçu un Lion d’or honorifique en 2015.

Bertrand Tavernier est le père de l’acteur et réalisateur Nils Tavernier (L’Incroyable histoire du facteur Cheval). En premières noces, il était marié à la scénariste Colo Tavernier, disparue en juin dernier, qui avait collaboré avec lui sur six de ses films.

Quai d’Orsay © 2013 Little Bear / France 2 Cinéma / Pathé Films Tous droits réservés

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