Critique : Rara

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Rara

Chili, Argentine : 2016
Titre original : –
Réalisation : Pepa San Martin
Scénario : Pepa San Martin, Alicia Scherson
Acteurs : Mariana Loyola, Agustina Muñoz, Julia Lübbert
Distribution : Outplay
Durée : 1h28
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 21 juin 2017

3.5/5

Pour la réalisation de Rara, son premier long métrage de fiction, la chilienne Pepa San Martin a choisi d’installer sa caméra au sein d’une famille (re)composée de deux femmes et de deux fillettes de 12 et 9 ans. Rara était présent à la Berlinade 2016 et le Jury international lui a attribué, parmi de nombreux films destinés à un jeune public, le Grand Prix de la Génération Kplus.

Synopsis :  Depuis le divorce de leurs parents, Sara, 12 ans, et sa petite sœur Catarina vivent avec leur mère et la compagne de celle-ci. Leur quotidien, fait de tendresse et de complicité, ressemble à celui d’autres familles. Lorsque leur père tente d’obtenir leur garde, l’équilibre de la famille semble mis à l’épreuve…

Sara et ses deux mamans

Dans son lycée de Viña Del Mar, à proximité immédiate de Valparaiso, rien ne distingue Sara de ses copines de classe lorsqu’on la voit déambuler dans les couloirs de son collège afin de rejoindre le gymnase et ses coéquipiers et coéquipières qui pratiquent le volley-ball.  Bien sûr, on constate immédiatement qu’elle est un peu boulote et plutôt nonchalante mais, petit à petit, d’autres détails la concernant vont nous être fournis : elle a 12 ans, va bientôt en avoir 13, elle a une sœur, Catalina, qui doit avoir 2 ou 3 ans de moins qu’elle, elle partage ses secrets avec Pancha, sa meilleure amie, elle se verrait bien flirter avec Julian, un garçon de son âge, et  … Sara et sa sœur vivent avec Paula, leur mère, et Lia, la compagne de celle-ci. Une petite famille qui vit harmonieusement, même si Paula et Lia doivent éviter de se tenir par la main lorsqu’elles marchent dans les rues de la ville. Tout va bien, donc ? Pas tout à fait car Paula a un passé. Ce passé, c’est Victor, dont elle est divorcée mais qui est le père de Sara et de Catalina.Victor est remariée avec Nicole et tous les deux aimeraient se voir confier la garde des deux fillettes.

Avec les yeux de Sara

Assez nombreux sont les films sur les conséquences d’un divorce sur les enfants d’un couple. Beaucoup moins nombreux sont ceux sur des enfants qui, après ce divorce, sont élevés par deux personnes du même sexe. On est donc d’autant plus surpris qu’un des premiers films sur ce sujet vienne du Chili, un pays très conservateur, un des derniers pays du monde occidental à reconnaître le divorce, en 2004, un pays très à la traîne en ce qui concerne l’avortement et les droits des homosexuels, même si, très récemment, le Parlement chilien leur a accordé l’union civile, même si une loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe pourrait bientôt voir le jour. Moins étonnant est le fait que ce que raconte Rara se déroule dans un milieu intellectuel très aisé et qu’on peut supposer relativement ouvert.

Avec beaucoup de justesse, Rara montre la situation que vit cette famille avec les yeux de Sara. Contrairement à sa sœur qui ne se rend pas encore vraiment compte que sa famille ne ressemble pas vraiment à celles de ses copines, Sara arrive à l’âge où commence à se construire vraiment sa personnalité, à l’âge où elle commence à comprendre comment fonctionne sa famille par rapport aux autres familles. A cet environnement particulier s’ajoute le fait que Sara entre dans l’adolescence et, qu’à ce titre, elle commence à s’intéresser aux garçons de son âge, à se poser des questions sur le regard qu’ils portent sur elle et à s’interroger sur la sexualité. D’où, par rapport à ses deux mamans et à son père, un comportement dans lequel l’instabilité est reine. C’est ainsi que, pour organiser sa fête d’anniversaire, Sara ne cesse d’hésiter entre la maison dans laquelle elle vit quotidiennement et celle de son père, plus vaste et permettant de montrer à ses amis un environnement familial jugé plus normal. Ce comportement instable ne peut qu’être renforcé par le fait que Victor, son père, intrigue pour avoir la garde de ses filles et trouve dans l’environnement dans lequel vit Sara l’explication à ses résultats scolaires loin d’être brillants.


Inspiré par une histoire vraie

C’est l’histoire véridique de la juge chilienne Karen Atala et de ses 3 filles qui a inspiré Pepa San Martin pour la réalisation de son film. Une histoire qui a commencé en 2002 par un divorce, qui a rebondi quelques mois plus tard lorsque la compagne de Karen s’est installée chez Karen et ses 3 filles, incitant le père à réclamer le droit de garde. En 2004, la Cour suprême chilienne a décidé d’attribuer la garde au père, se fondant sur l’intérêt supérieur des enfants. L’affaire s’est terminée en 2012 par la condamnation de l’Etat chilien par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme  pour  violation du  droit  à l’égalité et à la non discrimination, estimant qu’il «n’existe pas un modèle spécifique de famille» auquel on puisse faire référence pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant. Sur fond de cette histoire, Pepa San Martin et sa co-scénariste Alicia Scherson ont tiré un film très juste et très pudique, un film qui sait se montrer militant sans pour autant verser dans une vision manichéenne de la situation et des personnages qui la vivent.

Pour peu qu’on s’intéresse au cinéma chilien qui, bon an mal an, nous gratifie chaque année d’un nombre non négligeable de films de très bonne qualité, on reconnaîtra, pour les avoir déjà vus dans l’un d’eux, la plupart des comédiens adultes présents dans Rara : Mariana Loyola (Paula), Agustina Muñoz (Lia), Daniel Munoz  (Victor), Coca Guazzini (Icha, la mère de Paula), Sigrid Alegria (Nicole). Bien entendu, il n’en est pas de même pour les enfants, qu’une longue période de casting a permis de trouver et qui s’avèrent remarquables dans leur prestation : Julia Lübbert dans le rôle de Sara, Emilia Ossandon dans celui de Catalina, auxquelles on peut ajouter Micaela Cristi, qui joue Pancha, la meilleure amie de Sara.

 

Conclusion

Pour son premier long métrage, la réalisatrice chilienne Pepa San Martin s’est inspirée d’une histoire qui s’est déroulée dans son pays il y a quelques années : l’histoire d’une femme à qui on a retiré ses enfants pendant plusieurs années sous prétexte qu’après son divorce avec le père de ses trois filles, elle avait choisi de vivre en couple avec une autre femme. Dans Rara, plutôt que de nous donner la vision d’un adulte, elle a choisi de nous montrer l’évolution de la situation avec les yeux d’une fillette impliquée dans une histoire similaire, une jeune adolescente de 12 ans, aux prises avec sa transformation personnelle et la perception qu’elle a de cet environnement particulier. Un choix judicieux, un film très juste et attachant.


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