Critique : Paris Stalingrad

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Paris Stalingrad

France : 2019
Titre original : –
Réalisation : Hind Meddeb, Thim Naccache
Interprète : Souleymane Mohamad
Distribution : La Vingt-Cinquième Heure Distribution
Durée : 1h26
Genre : Documentaire
Date de sortie : 26 mai 2021

3.5/5

Réalisatrice de documentaires aux origines marocaines et tunisiennes, Hind Meddeb a grandi en France. Particulièrement intéressée par toutes les formes de résistance à l’ordre établi, elle ne pouvait pas passer à côté du printemps arabe. Entre 2011 et 2013, elle lui a consacré 2 films, en filmant du côté de ceux qui se révoltent : Electro Chaabi et Tunisia Clash, deux films qui observent les évènements à travers les yeux de la jeunesse dans les quartiers des classes populaires, en se focalisant plus particulièrement sur la création musicale comme acte révolutionnaire. Formé aux métiers du cinéma au sein du European Film College au Danemark, Thim Naccache est une sorte d’homme à tout faire en matière de cinéma : Chef opérateur, monteur, réalisateur, … . Hind et Thim se sont associé pour filmer, en restant à leur côté, le quotidien des réfugiés qui arrivent à Paris  : Paris Stalingrad a été présenté et primé dans de nombreux festivals.

Synopsis : Paris, été 2016. Des hommes et des femmes arrivent du Soudan, d’Ethiopie, d’Erythrée, de Somalie, de Guinée, du Nigéria, d’Afghanistan, d’Iran, du Pakistan, avec l’espoir d’échapper à la guerre et aux conflits ethniques qui déchirent leurs pays. À leur arrivée ils n’ont pas d’autre choix que de dormir dans la rue. Ils se regroupent sur des campements de fortune autour du métro Stalingrad. En racontant l’histoire de Souleymane, adolescent de 18 ans, réfugié du Darfour, le film retrace l’histoire récente du parcours infernal des exilés dans Paris. Arrivé en France après un périple traumatisant de cinq longues années, la  » ville lumière  » dont il avait rêvé, loin de répondre à ses attentes, lui inflige de nouvelles épreuves. À la dureté des situations, répond sa poésie douce- amère. En suivant Souleymane, le film retrace le parcours des migrants dans Paris : les campements de rue, les interminables files d’attente devant les administrations, les descentes de police et la mobilisation des habitants du quartier pour venir en aide aux réfugiés. La caméra témoigne d’une métamorphose d’une ville et nous montre l’émergence de nouvelles frontières intérieures : des kilomètres de grillages pour rendre inaccessibles les allées sous le pont du métro aérien, des pierres pour empêcher les migrants de s’allonger, des rondes de vigiles pour les déloger.

Alors, quelle construction pour votre documentaire ?

Et si, aujourd’hui, vous faisiez travailler votre imagination ! Supposez que vous êtes devenu.e réalisatrice ou réalisateur de cinéma et que l’envie, voire le besoin, vous prend de réaliser un documentaire sur le calvaire vécu à Paris par les réfugiés venant d’un peu partout dans le monde et qui, jour après jour, recherchent nourriture, abri pour la nuit, obtention d’un document officiel. On ne vous fera pas l’injure de vous demander quelles sont vos motivations : il y en a une qui parait évidente, l’empathie envers ces êtres qui, pour la plupart, ont quitté leur pays parce que leur situation, pour une raison ou pour une autre, n’était plus tenable et qui se retrouvent, dans la capitale du « Pays des droits de l’homme », face à une administration défaillante et à une police qui, sur ordre, les traque et détruit leurs campements. Face, aussi, à des ONG qui s’efforcent tant bien que mal de leur venir en aide. Par contre, on ne résistera pas à l’envie de vous poser une question très simple : comment allez vous construire votre documentaire ? En mettant bout à bout des séquences filmées, témoignages, sans aucun commentaire personnel, de ce que vous avez vu ? Ou bien en ajoutant à ces séquences filmées les commentaires vous paraissant judicieux ? En privilégiant des interviews des différents protagonistes, réfugiés, bien sûr, membres des « forces de l’ordre », fonctionnaires d’administrations en charge des migrants, membres d’ONG et responsables politiques d’un bord ou de l’autre, que ce soit à l’échelle de notre pays ou à l’échelle de la ville de Paris ?

La rencontre avec Souleymane

Pour Hind Meddeb et Thim Naccache, le but n’était pas de réaliser une enquête sur le parcours des exilés à Paris mais un film qui montrait des moments passés à côté de certains d’entre eux. Pour cela, il leur a fallu commencer par nouer des contacts auprès d’un certain nombre de réfugiés et par expliquer leur désir de faire un film. Un avantage certain pour Hind Meddeb : sa parfaite maitrise de la langue arabe. C’est seulement après qu’a pu commencer le filmage, auprès de ceux qui avaient compris leur démarche, en installant une relation de proximité et de confiance, en privilégiant la conversation plutôt que l’interview. Par ailleurs, la chance a pointé son nez en permettant la rencontre de Hind Meddeb avec Souleymane Mohamad, un jeune réfugié du Darfour, par ailleurs poète, dont l’histoire personnelle est en quelque sorte un résumé des parcours des différents migrants rencontrés sur l’avenue de Flandre par Hind Meddeb et Thim Naccache : une vie paisible jusqu’au jour où son père et son grand frère ont été tués, la torture pratiquée par des milices soudanaises, un travail très dangereux dans des mines d’or au Tchad et au Niger afin de pouvoir payer son voyage vers la Lybie, l’enfermement dans une prison libyenne, la tentative de traversée clandestine de la Méditerranée, tentative se terminant par un sauvetage en mer. Cinq longues années pour arriver à Paris et se retrouver dans un pays, dans une ville où, loin de ce qu’il espérait, les réfugiés sont l’objet de rafles, leurs sommaires campements sont démantelés, leurs effets personnels sont traités comme des déchets.

Aux côtés des acteurs

Les choix de Hind Meddeb et Thim Naccache concernant la construction de leur documentaire nous conduisent à assister auprès des exilés à l’inorganisation dramatique des administrations chargées de l’accueil des migrants et de la délivrance des documents, au fréquent sentiment d’impuissance des personnes de bonne volonté qui s’efforcent d’apporter leur aide et qui doivent souvent, face à l’ampleur des problèmes, se contenter « de petites choses qui marchent », à la destruction de campements par une police sans état d’âme et sans qu’il soit proposé de solution de remplacement. A ce sujet, une question mérite d’être posée : toutes les séquences du film où l’on voit le comportement des forces de police face aux réfugiés et à leurs campements auraient elles pu être filmées si la loi « Sécurité globale » et son fameux article 24, même modifié, avaient eu cours à l’époque du tournage ?

En guise de fil rouge, le spectateur, de temps en temps, est amené à errer dans la ville aux côtés de Souleymane et de ses poèmes. Tout au long du film, une voix off, utilisée de façon discrète, permet de donner des informations supplémentaires permettant de compléter les images. Au bout du compte, on ne décèle qu’un point de désaccord avec la réalisatrice, quand elle affirme : « Finalement, la brutalité policière et la violence administrative sont à mon sens renvoyées dans ce film au rang de décor et non de sujet ; le sujet réel de ce film, ce sont les personnes qu’il prend pour personnages ». Certes, grâce à la proximité qu’on a avec elles, les personnes qu’on rencontre dans son film font partie du sujet réel, mais, pour le spectateur moyen, au même niveau, ni plus, ni moins, que la brutalité policière et la violence administrative qui sont plus que de simples décors.

Conclusion :

Ce n’est jamais de gaieté de cœur que des êtres humains quittent leur famille, leurs amis et leur pays pour s’en aller vers un ailleurs qu’ils espèrent moins inhumain. La force de Paris Stalingrad est de nous faire partager leur quotidien, bien loin de ce qu’ils avaient espéré mais auquel ils se confrontent avec une très grande force de vie.

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