Critique : Music (Deuxième avis)

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Music

Allemagne, France, Serbie : 2023
Titre original : Musik
Réalisation : Angela Schanelec
Scénario : Angela Schanelec
Interprètes : Aliocha Schneider, Agathe Bonitzer, Argyris Xafis
Distribution : Shellac
Durée : 1h49
Genre : Drame
Date de sortie : 8 mars 2023

4/5

Bien qu’ayant déjà réalisé une petite dizaine de longs métrages, bien qu’ayant remporté l’Ours d’argent de la meilleure réalisation lors du  Festival de Berlin en 2019 pour J’étais à la maison, mais …, bien qu’étant considérée comme étant une figure importante du renouveau du cinéma allemand, la réalisatrice allemande Angela Schanelec a atteint les 60 ans sans jouir chez nous d’une grande renommée. Il faut dire que son cinéma n’est pas d’un accès particulièrement facile et de nombreux spectateurs de Music seront sûrement surpris d’apprendre que ce film a obtenu l’ours d’argent du scénario lors du tout récent Festival de Berlin 2023, persuadés en toute bonne fois que ce qui manque à ce film, c’est peut-être, justement, un scénario. Et pourtant …

Synopsis : Trouvé à sa naissance par une nuit de tempête dans les montagnes grecques, Jon est recueilli et adopté, sans avoir connu ni son père, ni sa mère. Adulte, il rencontre Iro, surveillante dans la prison où il est incarcéré à la suite d’un drame. Elle recherche sa présence, prend soin de lui tandis que la vue de Jon commence à décliner… Désormais, à chaque perte qu’il subira, le jeune homme gagnera quelque chose en contrepartie. Ainsi il deviendra aveugle, mais vivra sa vie plus que jamais.

Librement inspiré du mythe d’Œdipe.

Une succession de très belles scènes

Comme c’était déjà le cas dans J’étais à la maison, mais … , le film précédent de Angela Schanelec, Music est loin de dérouler une narration de facture classique permettant à quiconque ayant vu ce film d’en raconter facilement l’histoire à une ou un ami.e. La vision de Music, c’est plutôt la rencontre avec une succession de scènes, des scènes très belles, qu’il est parfois, voire souvent, difficile de rattacher les unes aux autres. On assiste à la naissance d’un bébé, à ses pleurs, à un  meurtre près d’une plage, à l’arrivée dans une prison de Jon, le meurtrier,  chaussé de sabots très bruyants et ne permettant pas de se déplacer rapidement, au rapprochement entre Jon et Iro, une des surveillantes de la prison, à la perte progressive de la vue pour Jon, lequel en vient à utiliser le chant pour oublier son handicap. Le synopsis précise que Music est librement adapté du mythe d’Œdipe. En effet, c’est même un euphémisme d’utiliser le mot librement ! On sait où le film se déroule : en Grèce, grâce à la beauté des paysages et à la langue utilisée lorsqu’il y a des dialogues, en Allemagne, à Berlin, grâce aux plaques d’immatriculation des véhicules. Les notions de temporalité sont par contre très hermétiques, avec, par exemple, un fils qui donne l’impression d’avoir le même âge que sa mère. En fait, la seule véritable précision concernant une date est donnée par l’intermédiaire d’un match de football retransmis à la télévision avec un but de Grosso à la 118ème minute : forcément le 4 juillet 2006, la demi-finale Allemagne-Italie de la coupe du monde de football 2006, match gagné par l’Italie à Dortmund.

 

Allez le voir sans « bagage »

Pour Music comme pour n’importe quel film, se pose la question du « bagage » à avoir avec soi quand on va se confronter à sa vision : est-ce une bonne chose d’avoir le « bagage » tiré de la lecture d’une critique, voire de plusieurs ? N’est-il pas préférable d’y aller en n’ayant comme seul « bagage » que la lecture du synopsis ? Et si le meilleur choix consistait à n’emporter aucun « bagage » avec soi, à n’avoir aucune connaissance de ce à quoi on peut s’attendre ?! Pour ce qui est de Music, ce choix d’aller le voir en ne sachant rien de ce qui vous attend est certainement le meilleur, le pire étant de s’être contenté de lire le synopsis. En effet, ce que vous allez voir n’a qu’un très lointain rapport avec le synopsis proposé et vous risquez de passer votre temps à essayer de faire coïncider ce que vous voyez avec ce que vous avez lu : peine perdue ! Par contre, il est probable qu’après avoir vu le film vous ressentirez le besoin de lire le synopsis et quelques critiques et il n’est pas exclu que ces lectures vous donnent l’envie de revoir le film ! Comme il est toutefois fort probable que vous ayez lu le synopsis avant d’aller voir Music, un petit conseil s’impose, si, bien sûr, il est encore temps : oubliez le et laissez vous gagner par l’atmosphère si particulière qu’excelle à créer Angela Schanelec, une réalisatrice qui, dans ce film, donne beaucoup plus d’importance aux images qu’aux paroles. En effet, le premier mot prononcé n’apparait qu’au bout de 11 minutes, la première phrase à la 32ème minute et il ne s’agit que d’une définition de mots croisés, le premier véritable dialogue à la 36ème lors d’un achat de médicaments dans une pharmacie. Les images, ce sont des plans séquence, le plus souvent des plans fixes, et elles sont l’œuvre de  Ivan Markovic, le directeur de la photographie qui avait déjà travaillé avec Angela Schanelec pour J’étais à la maison, mais … .

En fait, c’est souvent à un véritable travail d’entomologistes que se sont livrés Angela et Ivan, avec de nombreuses scènes filmées de très loin, donnant une dimension d’insectes aux personnages, avec aussi un intérêt remarquable pour les pieds, les chevilles et les mains des personnages lorsque la caméra se rapproche d’eux. Quant à la musique, cet art majeur qui donne son titre au film, elle n’apparait que très progressivement, la première manifestation notable étant à partir de la 38ème minute l’écoute in extenso de l’enregistrement de « Sileant Zephyri », un extrait du motet « Filiæ mæstæ Jerusalem » de Vivaldi interprété par Philippe Jaroussky, en accompagnement sonore d’une scène se déroulant dans une prison suivie d’une partie de ping-pong, de l’achat de bouteilles d’eau dans une supérette et d’une classe en plein air. Un peu plus tard, apparait une feuille de papier sur laquelle sont écrits les noms de 7 compositeurs de la période baroque : Monteverdi, Bach, Pergolese, Vivaldi, Purcell, Scarlatti et Haendel. Ce n’est qu’ensuite que la musique va devenir diégétique avec Jon, le personnage principal du film, qui se transforme en chanteur dans le but de supporter sa souffrance grâce à la musique.

Conclusion

Si vous commencez à ne plus trouver votre compte dans le cinéma qui nous est proposé de nos jours, si vous avez tendance à le trouver trop souvent formaté, Music, indéniablement, est fait pour vous. Attention, toutefois : pour l’apprécier pleinement, il est bon de vous laisser aller et d’accepter au fur et à mesure tout ce qui différencie le cinéma d’Angela Schanelec de celui de la plupart de ses collègues. En plus, quel plaisir rare de voir en 2023 un film où, à aucun moment, on a à subir la vision de gens qui se trémoussent dans une boite de nuit !

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