Critique : Les Intranquilles

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© 2021 Stenola Productions - Samsa Films - KG Productions - Prime Time - RTBF

Les Intranquilles

France, Belgique, 2021

Titre original : –

Réalisation : Joachim Lafosse

Scénario : Juliette Goudot, Anne-Lise Morin, François Pirot, Chloé Léonil, Pablo Guarise, Lou Du Pontavic

Avec : Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Patrick Descamps

Distribution : Les Films du Losange

Durée : 1h58

Genre : Drame

Date de sortie : 29 septembre 2021

3/5

S’il y a bien une chose difficile à aborder au cinéma sans tomber dans des pièges rédhibitoires, c’est la maladie, quelle que soit sa forme. La plupart du temps, toute velléité de cinéma et de romanesque est étouffée par la tentation de traiter ce sujet complexe en ramenant tout un chacun à ses propres fragilités sur un mode misérabiliste ou dans le but de déclencher des débats, comme tout film à thèse qui se respecte. C’est encore plus compliqué concernant la maladie mentale, terme générique englobant plusieurs symptômes, et dont la bipolarité (terme contemporain pour qualifier la maniaco-dépression) est sans doute la plus citée quand bien même elle serait encore largement incomprise et difficile, voir impossible à soigner.

Le Belge Joachim Lafosse, spécialiste des films à visée réaliste auscultant ses sujets jusqu’à l’os, était le cinéaste idéal pour partir d’un sujet aussi propice aux dérapages et le traiter avec le respect qui s’impose. Son film le plus remarquable jusqu’à présent (L’économie du couple) explorait la relation d’un couple en instance de séparation obligé sur décision de justice de vivre encore sous le même toit, et ce avec une force d’immersion héritée du documentaire qui n’excluait pas une véritable émotion qui faisait l’effet d’une bombe à fragmentation. Il y offrait à Bérénice Bejo l’un des rôles de sa vie. Avec Damien Bonnard et Leila Bekhti, tout était possible, et il était difficile de ne pas attendre ce film comme quelque chose de stimulant.

© 2021 Stenola Productions / Samsa Films / KG Productions / Prime Time / RTBF / Les Films du Losange
Tous droits réservés

Synopsis : Damien et Leila forment un couple s’aimant d’un amour passionné. Ils ont un petit garçon et tentent de vivre leur vie de famille, tout en devant affronter chacun à leur niveau la maladie de Damien, dont les crises ingérables mettent à mal le fragile équilibre de ce microcosme…

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Acceptation turbulente d’une maladie

Nul besoin d’aller plus en avant dans le descriptif du film, tant celui-ci fonctionne de manière purement immersive, comme on pouvait s’y attendre de la part de ce metteur en scène. Travaillant donc un cinéma du réel (ce qui n’empêche pas une lumière très travaillée éloignant le résultat d’un quelconque drame naturaliste au réalisme forcé et triste), il ne cherche pas à se placer au-dessus de la maladie en instrumentalisant celle-ci pour prétendre apporter des réponses toutes faites au problème. Il nous fait plutôt partager la vie d’une famille touchée par cette maladie, dans une forme d’acceptation de cette dernière faite de hautes turbulences et de moments d’apaisement d’autant plus précieux. Si bien entendu, le plus perturbé par ses effets est le malade lui-même, les autres protagonistes ne sont pas négligés, en particulier son épouse incarnée par Leila Bekhti dont le jeu atteint ici une sorte de maîtrise absolue de tout ce pour quoi on l’apprécie en général.

Tout en paraissant au sommet de son art en matière d’intensité et de fulgurance, elle semble également dépouiller de plus en plus celui-ci, comme si elle ne jouait plus et que chaque situation était tout simplement le réel vécu en temps réel, alors même que tout est très écrit, au millimètre près. Ses sourires emplis d’amour et son visage inquiet traduisant le désarroi semblent tout dire de ce que cela peut être de vivre avec une personne que l’on aime de tout son être tout en étant démuni face à une maladie prenant trop de place, alors que l’éducation d’un enfant se retrouve également impactée. Et justement, l’autre grande qualité du film est de s’attacher également au ressenti de l’enfant, tout d’abord quelque peu en retrait, semblant observer tout ça de son point de vue que l’on pense naïvement amoindri de la situation, alors que progressivement, il prend de plus en plus de place et que le scénario lui offre des moments d’une rare intensité pour un comédien aussi jeune.

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Comédien impressionnant de tension

Pas de crises de larmes ou de drame forcé, mais plutôt des moments au diapason de la subtilité générale, à savoir qu’il observe, inquiet et parfois embarrassé, les effets de la maladie dont il a visiblement déjà une conscience aiguë, suppliant son père de prendre son médicament, et le poussant à se bouger lorsque ce dernier sort de l’hôpital comme un zombie. Si certaines scènes peuvent paraître un peu trop écrites, comme le pétage de plomb en ville (en pleine pandémie, ce qui ajoute des détails cocasses et un peu perturbants au vu de ce que l’on subit depuis plus d’un an), ou lorsqu’il arrive à l’école de son fils en plein cours, la façon dont les comédiens les jouent empêche le tout de tomber dans la démonstration de force, ramenant toujours le film à une réalité, ou en tout cas ce qui nous semble être une réalité légèrement modifiée pour les besoin d’un scénario qui se tient.

Inutile de partir dans les superlatifs concernant la prestation de Damien Bonnard, tant la fragilité des émotions traduites passe merveilleusement par ses mouvements dans le cadre, son corps lourd, son visage marqué par la fatigue, les yeux hallucinés, sans jamais qu’il ne dérape dans le démonstratif, quand bien même il semblerait parfois sur un fil. Comédien impressionnant de tension, il s’agit indéniablement de l’une des apparitions les plus fascinantes des dernières années dans le paysage cinématographique français. Il trouve ici un rôle qui le propulsera à n’en pas douter dans la catégorie supérieure. Le duo qu’il forme avec Leila Bekhti semble une évidence et l’on a envie de croire à la possibilité de vivre en harmonie avec ce fléau moderne, même si la fin que l’on ne révélera évidemment pas ne leur promet pas la lune.

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Conclusion

C’est là la force du film, de reconnaître que cette maladie n’a pas d’explication rationnelle pour le moment, peut toucher n’importe qui sous différentes formes, et que si les médicaments ne sont pas la solution miracle (ayant tendance à transformer le malade en légume), ils sont pour le moment le seul moyen de stabiliser du mieux possible la personne concernée. Pas de plaidoyer pour la médicamentation, juste un constat jamais dans le jugement, et voulant nous rendre ses personnages les plus attachants possibles. Que la mise en scène soit finalement très attendue de la part du cinéaste, et que le film souffre par moments de quelques longueurs n’altère au final que peu l’intensité de l’expérience. Un beau film, assurément.

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