Critique : L’Économie du couple

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L’Économie du couple

l'économie du couple afficheBelgique, France : 2016
Titre original : –
Réalisateur : Joachim Lafosse
Scénario : Fanny Burdino, Joachim Lafosse, Mazarine Pingeot, Thomas van Zuylen    
Acteurs : Bérenice Bejo, Cédric Kahn, Marthe Keller
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h40
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 10 août 2016

3.5/5

Pour son 7ème long métrage, Joachim Lafosse, réalisateur belge de 41 ans, n’hésite pas à revenir sur ses pas et à revisiter, avec bonheur, les thèmes de Folie privée et de Nue Propriété, ses deux premiers films : un couple qui se sépare, la gémellité, le rôle joué par la maison familiale. L’Économie du couple a fait l’objet d’une très bonne réception au dernier Festival de Cannes, où il faisait partie de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs .

Synopsis : Après 15 ans de vie commune, Marie et Boris se séparent. Or, c’est elle qui a acheté la maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants, mais c’est lui qui l’a entièrement rénovée. A présent, ils sont obligés d’y cohabiter, Boris n’ayant pas les moyens de se reloger. A l’heure des comptes, aucun des deux ne veut lâcher sur ce qu’il juge avoir apporté.

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Lorsque l’amour est mort

Autrefois, Marie et Boris formaient un couple uni, ils s’aimaient et, de cette amour, sont nées deux filles, deux jumelles, Jade et Margaux. A cette époque, les histoires de fric n’avaient probablement pas droit de cité dans le couple, quand bien même c’est grâce à Marie, ou plutôt grâce à l’argent de ses parents, qu’il avait pu acquérir cette belle maison dans laquelle la famille vivait. C’est grâce à Marie, également, grâce aux revenus de son travail, que pouvait se remplir le frigo familial, Boris, qu’on devine architecte, ou bien décorateur d’intérieurs, étant au chômage depuis belle lurette. Lorsque, chez Marie, l’amour s’est éteint, lorsque le mépris et l’aversion l’ont remplacé, l’argent est venu prendre une place primordiale dans le conflit qui s’est installé, empêchant de fait une issue rapide. En effet, les moyens financiers de Boris ne lui permettent pas de trouver un logement décent et le couple, bien que séparé, continue de vivre une cohabitation forcée, Boris devant suivre dans ce domaine les règles très strictes imposées par Marie, concernant les horaires et la nourriture. Des règles que Boris, bien sûr, prend très souvent un malin plaisir à ne pas suivre. En fait, une répartition équitable de la valeur de la maison permettrait de résoudre le problème, mais Marie et Boris ont des notions différentes concernant ce partage : Marie est prête à accorder le tiers de la valeur de la maison à Boris, soutenant que c’est déjà généreux de sa part puisque c’est avec son argent que cette maison a été achetée ; Boris, quant à lui, exige la moitié de cette valeur, puisque c’est grâce aux travaux qu’il a réalisés pour l’embellir, pour lui donner ce cachet qu’elle n’avait pas au départ, que la valeur de la maison a quasiment été multipliée par deux. Face au côté rigide de Marie et à l‘inconsistance de Boris, deux fillettes qu’on devine souffrir de la situation, mais qui, en même temps, en profitent pour se montrer capricieuses, par exemple, le soir, en faisant tout pour repousser au maximum l’extinction des feux les concernant. Autre personnage concerné par cette situation, Christine, la mère de Marie, à qui cette séparation reste au travers de la gorge, elle qui fait partie d’une génération où de nombreux couples ne restaient ensemble que pour des raisons morales ou religieuses et qui se trouve, ironie de l’histoire, face à un couple contraint de rester ensemble pour des raisons … économiques. « Autrefois, on savait réparer, on réparait les chaussettes, les frigidaires, et maintenant on jette. Dès qu’il y a un problème, on jette. Pareil dans un couple : plus de désir, on jette !», lance-t-elle à sa fille. Et puis, il y a les amis du couple, qui voudraient bien ne pas avoir à choisir un camp plutôt que l’autre.

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La gestion de la maison

Lorsqu’on regarde le film de Joachim Lafosse, on se dit que son titre, L’Économie du couple, est assez judicieux, puisque ce que l’on voit tourne autour de problèmes liés à l’argent. Toutefois, si on cherche à approfondir un peu sa culture, on s’aperçoit que le mot économie vient du mot grec oikonomía, qui signifie gestion de la maison, et là, on se dit que le choix du titre est particulièrement judicieux. En effet, tout le film tourne autour de la gestion de la maison qu’habite le couple, tout le film, ou presque, se passant dans la maison et son petit jardin, cet ensemble constituant un véritable personnage de L’Économie du couple. Parfois qualifié de film marxiste, L’Économie du couple permet au spectateur de s’interroger sur la valeur de l’apport du travail (les travaux réalisés par Boris) par rapport à l’apport du capital (l’achat de la maison par Marie). Il montre aussi, évidemment, comment et pourquoi les rapports de classe, oubliés du temps où l’amour régnait en maître, ressurgissent à sa disparition.

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L’excellent travail de trois duos

La grande richesse de L’Économie du couple trouve son origine dans le travail de trois duos. Tout d’abord, l’écriture du scénario, a été l’objet de nombreux allers-retours entre deux duos, le masculin formé de Joachim Lafosse et de Thomas van Zuylen et le féminin formé de Mazarine Pingeot et de Fanny Burdino. On dit souvent que la participation d’un grand nombre de personnes à l’écriture du scénario n’est jamais bon signe quant à la qualité d’un film. Heureusement, il y a des exceptions et ce film en fait partie. De plus, même si, dans L’Économie du couple, on retrouve deux thématiques chères à Joachim Lafosse et qui ont leur origine dans son histoire personnelle (les couples qui se séparent, lui dont les parents ont divorcé et qui a lui-même divorcé ; la gémellité, lui qui est jumeau et demi-frère de jumeaux), la parité hommes / femmes observée dans l’écriture du scénario a contribué sans doute à ce que le comportement de chacun des deux membres du couple soit finalement ressenti de façon équitable par les spectateurs et par les spectatrices : Marie a ses qualités et ces défauts, Boris a ses qualités et ses défaut ; par moment, on se sent plus proche de Marie, par moment on se sent plus proche de Boris ; au bout du compte, difficile, voire impossible, de donner raison à l’un plutôt qu’à l’autre. A dire vrai, l’impression générale est plutôt qu’ils ont tort tous les deux. Pour faire passer à l’écran toutes ces nuances du scénario, il fallait un duo de très grands comédiens, ce que sont, tout particulièrement dans ce film, Bérénice Béjo et Cédric Kahn. Dans le rôle de Christine, la mère de Marie, Marthe Keller réussit parfaitement à montrer son désarroi face à ce couple qui, à ses yeux, est coupable de ne faire aucun effort pour se rabibocher. Quant à Jade et Margaux Soentjens, les deux sœurs jumelles choisies par Joachim Lafosse, elles ne jouent pas les rôles de  … Jade et Margaux, elles sont Jade et Margaux ! Par ailleurs, on ne manquera pas d’être admiratif devant la fluidité des plans-séquences réalisés dans les conditions difficiles que constitue une véritable maison, avec ses cloisons et son recul limité, le beau travail de Jean-François Hensgens, le Chef opérateur, ayant été facilité par l’utilisation d’un gyrostabilisateur Stabe-One, appareil apparu récemment dans le monde du cinéma et particulièrement adapté à ce genre de configuration.

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Conclusion

Un quasi huis-clos, un film certes passionnant mais qui repose essentiellement sur un couple qui se déchire, on pourrait donc craindre une impression de théâtre filmé. Cette impression, on ne la ressent pratiquement jamais, grâce à la fluidité des plans séquences et au jeu très naturel des comédien(ne)s.

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