Critique : Jours de France (deuxième avis)

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Jours de France

France, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Jérôme Reybaud
Scénario : Jérôme Reybaud
Acteurs : Pascal Cervo, Arthur Igual, Fabienne Babe, Nathalie Richard
Distribution : KMBO
Durée : 2h17
Genre : Drame, romance
Date de sortie : 15 mars 2017

Note : 4/5

Dans le vaste océan versatile du cinéma français, rares sont les œuvres qui se frottent au genre du « road-movie ». Peu usité en France, contrairement aux Etats-Unis, où le genre, du fait de la grandeur de son territoire, est intrinsèquement lié au pays même. Là-bas, il se confronte à l’immensité du continent américain où la moindre parcelle est investie par le pouvoir fantasmatique du cinéma. En France, la topographie des lieux se prête peut-être moins à une errance vague propice à la création d’histoires. Cela ne veut pas dire que le cinéma français est incapable d’aborder ce genre cinématographique, bien au contraire. Depuis quelques années, celui-ci est le témoin d’une forme de décentralisation de ses lieux d’intrigue. Ainsi, toute une frange de francs-tireurs se décide à sortir des limites de la capitale française et à inscrire leurs histoires au sein de lieux peu courants dans le microcosme du cinéma français. Ainsi, ce que l’on avait l’habitude de reprocher à l’égard d’une grande partie de la profession, à savoir un narcissisme entre-soi germanopratin (pour résumer rapidement la chose), est contredit par toute une flopée d’auteurs, certes différents, mais désireux d’injecter du sang neuf au sein d’une production sclérosée : Alain Guiraudie, Hubert Viel, Virgil Vernier, Antonin Peretjako… Enfin, Jérôme Reynaud, qui pour son premier long-métrage, Jours de France, fait montre d’une maîtrise particulièrement bluffante pour un coup d’essai.

Synopsis : Un matin, Pierre (Pascal Cervo) quitte son compagnon, Paul (Arthur Igual), sans raison apparente. Avec son Alfa Roméo de couleur blanche (détail qui a son importance), il se hasarde sur les routes de France sans itinéraire déterminé sauf celui annoncée par Grindr, une application de téléphone portable destiné à recenser tous les plans drague dans son aire de proximité. A son tour, Paul va tenter de le retrouver via cette même application.

Au hasard …

A partir de ce point de départ pour le moins minimaliste, Reybaud va tisser une trame narrative constituée d’embardées, d’à-coups, de rencontres inopinées… Arrimé sur son portable afin de vérifier qui dans le secteur serait enclin à entamer une relation sexuelle, Pierre se laisse guider par son instinct et son appli Grindr. Sa trajectoire se nourrit d’un hasard des rencontres, le tout au sein d’un environnement constitué d’aires pavillonnaires provinciales, zones commerciales, hameaux… Au gré de son trajet, Pierre fera la connaissance de différentes personnes, la plupart empêtrées dans une solitude seulement conjurée par l’arrivée de cette mystérieuse personne (Pascal Cervo, au ton onctueux). L’on ne saura rien de sa vie précédente, si ce n’est une appétence pour l’opéra et la musique classique, mais sa relation avec Paul précédant le voyage restera hors-champ. La rupture d’avec son compagnon se fera sans heurts, à l’aube, dans une lumière matinale claire-obscure de toute beauté. En dépit de l’appel d’air qu’offre le voyage, les trajets en voitures sont continuellement tournés à l’intérieur de la voiture, ces derniers étant rythmés par la sonorité des clignotants ou la radio. Au-delà du paysage,  ce sont les personnages qui intéressent Reybaud, leurs états d’âme, leurs doutes… Le metteur en scène éprouve un immense respect aux acteurs, accompagnant ceux-ci au sein de plans-séquences admirables comme une manière de ne pas les abandonner.

 

Envies de solitude et de rencontres

Un voyage, donc. A travers une France vue de biais, par ses marges. Reybaud réinvestit ces lieux à travers le prisme de la fiction. Aussi surprenant soit-il, se dégage du film un parfum « surréaliste » à travers le concept de « psycho-géographie » prônant l’errance hasardeuse comme manière de voyager. Pierre dérive sur les routes françaises sans réel motif, hormis celui de trouver une relation sexuelle. L’excitation du hasard, de la rencontre fortuite, sans lendemain, voici quelques éléments qui guident Pierre lors de son exploration du pays. Geste profondément subversif que celui-ci, à savoir sortir du chemin balisé institué par les aléas de la vie : une profession, une vie bien rangée auprès de son compagnon… L’envie de solitude, d’évasion, de Pierre n’empêche pas qu’il soit constamment accroché à son portable, reflet d’une certaine accoutumance contemporaine vis-à-vis des réseaux sociaux.

L’émotion du film joue sur cette jonction entre cette envie d’aller de l’avant et ce retour en arrière qu’implique cette pérégrination, que ce soit la rencontre de Pierre avec une ancienne professeure de lycée ou bien les « retrouvailles » de Paul avec un lieu de villégiatures, sur les bords de la Méditerranée, qu’il fréquentait alors enfant. Voyager, c’est également un retour aux sources, aux origines, une quête intérieure. Après avoir traversé des zones urbaines, des montagnes, des campagnes, l’odyssée se heurte et se conclut aux bords de la mer. D’une certaine manière, la boucle est bouclée, et les deux compagnons peuvent envisager l’avenir sereinement.

 

Conclusion

L’arrivée d’un nouveau réalisateur aussi talentueux que Jerôme Reybaud ne peut qu’être salutaire pour le cinéma français. D’une fluidité et d’une maîtrise formelle exemplaire, Jours de France constitue une des meilleures nouvelles du cinéma français de ce début d’année.

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