Critique : Gimme Danger

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Gimme Danger

Etats-Unis, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Jim Jarmusch
Intervenants : Iggy Pop, Ron Asheton, Scott Asheton, James Williamson
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h48
Genre : Documentaire
Date de sortie : 1er février 2017

4/5

Avec Paterson et Gimme Danger, Jim Jarmusch s’offre une riche actualité cinématographique en cette rentrée. Qu’il soit à l’origine d’un documentaire consacré aux Stooges n’est finalement pas une surprise. L’auteur de Dead Man n’a jamais caché son appétence pour la musique, en particulier le rock, en témoigne ses magnifiques bandes-originales pour les besoins de ses longs-métrages (Tom Waits, Screaming Jay Hawkins, Elvis Presley, The Brian Jonestown Massacre, Mulatu Astake…). Avant de débuter sa carrière cinématographique, Jim Jarmusch a tâté du clavier au sein d’une formation post-punk tout en assurant les parties vocales dudit groupe. A l’instar de ses camarades new-yorkais vivotant aux alentours du CBGB à la fin des années 70, Jarmusch est un admirateur inconditionnel des Stooges, cette formation originaire d’Ann Harbor, dans l’état du Michigan.

Avec The Velvet Underground, The Stooges fut l’un des rares groupes réellement originaux, et donc incompris, de la fin des années 60. Éclos en pleine période «power-flower», The Stooges furent une anomalie, une sorte d’excroissance musicale malsaine haïe par les rares qui purent assister à un de leurs concerts. L’époque fourmillait de formations musicales chantant les louanges de la paix tout en distillant une musique basée sur de longues improvisations, prétexte à des démonstrations de technicité m’a tu vu. A cette esbroufe musicale, The Stooges proposaient une musique plus simpliste, à la fois brute, bourbeuse, brutale, fruste… Une sorte de proto-punk primitif dont les groupes punk allaient s’inspirer inlassablement quelques années plus tard. Alors que notre époque contemporaine s’achemine lentement mais sûrement vers une aseptisation des affects et des sentiments humains, il importe de se replonger dans ce rock tribal, profondément honnête (voilà peut-être la grande qualité de la musique des Stooges), qui attrape l’auditeur par la gorge afin de l’expédier dans un territoire où la primauté des sens dépasse le caractère rationnel de l’homme.

Synopsis : L’odyssée des Stooges, de leurs débuts erratiques à Ann Harbor à la reconnaissance médiatique et public dans les années 2000.

 

Lettre d’amour au gang d’Ann Harbor

Habitué à œuvrer dans la fiction, Jarmusch s’essaye pour la deuxième fois de sa carrière au documentaire musical après Year of the Horse, compte-rendu d’une tournée de Neil Young et du Crazy Horse au mitan des années 90. Neil Young justement, ami de Jim Jarmusch, et auteur de la sublime musique épurée de Dead Man. Pour ce qui est de Gimme Danger, son origine remonterait à une discussion entre Iggy Pop et Jim Jarmusch, ces deux derniers cultivant une amitié de presque 30 ans. Au cours de cette conversation, Jim Osterberg (alias Iggy Pop) propose simplement à Jim Jarmusch de réaliser un documentaire sur les Stooges. Jarmusch accepte non sans quelques appréhensions : fan absolu du quatuor, se sent-il à la hauteur du mythe Stoogien ? L’œuvre finale est une lettre d’amour adressée au gang d’Ann Harbor, doublé d’un historique du groupe. Quelques témoignages de différents protagonistes – Iggy Pop, Ron Asheton, Scott Asheton, James Williamson – et autres ayant œuvré dans la nébuleuse « Stoogienne », ponctuent régulièrement le film. L’inconditionnel du groupe n’apprendra pas grand-chose.

En revanche, Gimme Danger n’est pas avare en images d’archives particulièrement savoureuses. Ainsi, il est enfin possible de voir quelques extraits de ce fameux concert homérique durant lequel Iggy Pop, complètement rétamé, s’enduit de beurre de cacahuètes alors qu’il marche sur le public, le torse bombé, l’allure conquérante. Le spectateur pourra également écouter quelques passages de Metallic KO, un concert des Stooges, disponible uniquement en pirate, où le groupe se trouve être la cible de bouteilles de bière balancées par les motards dans la salle, ces derniers ayant peu appréciés les insultes d’Iggy Pop proférées à leur encontre peu avant la performance. La particularité de cette prestation scénique : c’est l’un des rares « live », à ma connaissance, où il est possible d’entendre des éclats de bouteille atterrir sur les cordes des guitares. Le son produit par le choc crée un chahut inaudible. Moments de pur chaos qui ne sont pas sans rappeler le concert des Blues Brothers dans le célèbre long-métrage de John Landis. Sauf qu’ici, c’est bien réel ! Malheureusement trop brefs, ces extraits donnent malgré tout une idée de ce que pouvait représenter les Stooges sur scène : une mise en danger permanente (d’où le titre Gimme Danger, également le titre d’une chanson présente sur le 3ème album) associée à une musique sauvage et libre purement extatique.

Un derviche tourneur incontrôlable

Pour les besoins du documentaire, Jarmusch s’est restreint aux trois premiers albums, considérés par les exégètes comme la Sainte-Trinité du punk rock à venir : The Stooges (1969), Fun House (1970), aux accents free-jazz, et enfin Raw Power (1973), d’obédience métal, mixé par David Bowie. Les deux albums enregistrés durant les années 2000, les dispensables The Weirdness (2007) et Ready to Die (2013), sont seulement mentionnés au détour d’une ligne. The Stooges est né dans un contexte particulier, celui d’Ann Harbor, près de Detroit, berceau de l’industrie automobile « General Motors » ainsi que du label musical Motown, fondé par Berry Gordy. Iggy Pop raconte comment les bruits des usines eurent une influence primordiale dans le son « Stoogien », ce rythme répétitif, quasi industriel, particulièrement présent dans le premier album produit par John Cale. Jarmusch n’omet rien : l’influence déterminante de certains groupes, tels The Who, The Doors et surtout The Velvet Underground, Iggy Pop et sa passion pour le blues, les premiers concerts avec les MC5 (l’autre grand groupe de Detroit), la drogue, le sexe, les années d’errance, la rencontre décisive avec David Bowie… Jarmusch entrechoque plusieurs régimes d’images afin de restituer l’Histoire de la formation. Ainsi, certains moments de la vie « Stoogienne » sont revisités sous la mode du dessin d’animation conférant au film un petit côté ludique non déplaisant. L’apport décisif des musiciens, en particulier des guitaristes Ron Asheton et James Williamson, est également mentionné par le documentaire. Citer les guitaristes inspirés par leur manière de jouer serait fastidieux tant ils sont nombreux.

Difficile d’évoquer The Stooges sans mentionner Iggy Pop. A le voir dans Gimme Danger, l’allure affable, souriant, parlant de sa voix suave, difficile de se l’imaginer en performer de l’extrême. Les quelques extraits des concerts diffusés le montrent tel un derviche tourneur incontrôlable, se contorsionnant le corps, gesticulant comme un pantin désarticulé tout en s’infligeant des actes d’automutilation. L’effet des drogues hallucinogènes – son carburant habituel pour les concerts – alliées à la musique rageuse des Stooges provoquait chez l’Iguane des moments de transe d’une liberté folle suscitant méfiance voire répulsion parmi une grande majorité de témoins qui y furent confrontés.

Conclusion

La musique des Stooges, ce documentaire le souligne bien, est d’une richesse incommensurable. De nous jours, la pop fadasse diffusée par les radios et produite par des tâcherons cyniques est un signe évident de la médiocrité de notre époque. Peut-être même le signe de la fin d’un monde. La musique des Stooges est autre chose : une plongée dans la folie, la fureur, le tout chanté avec une telle honnêteté que l’écoute en devient nécessaire.

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