Critique : Entre deux rives

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Entre deux rives

Corée du sud : 2016
Titre original : Geumul
Réalisation : Kim Ki-duk
Scénario : Kim Ki-duk
Acteurs : Ryoo Seung-bum, Lee Won-geun, Young-Min Kim
Distribution : ASC Distribution
Durée : 1h54
Genre : Drame
Date de sortie : 5 juillet 2017

3.5/5

C’est en France, au début des années 90, que le réalisateur coréen Kim Ki-duk a vraiment découvert le cinéma. De retour dans son pays, il réalise son premier long métrage en 1996 et il voit sa notoriété s’établir petit à petit, au point de voir L’île, son 4ème film, en sélection officielle à la Mostra de Venise de 2000. En 2003, Printemps, été, automne, hiver… et printemps l’installe définitivement parmi les grands réalisateurs de son époque. Malgré son séjour parisien, les films de Kim Ki-duk se retrouvent plus souvent sélectionnés à Berlin et (surtout !) à Venise qu’à Cannes, ce qui explique peut-être que les deux films qui ont suivi Pieta, sorti en France en 2013, n’ont pas eu droit à une sortie dans notre pays. Présenté hors compétition à la Mostra de Venise 2016, Entre deux rives va permettre au public français de renouer avec l’œuvre de Kim Ki-duk.

Synopsis : Sur les eaux d’un lac marquant la frontière entre les deux Corées, l’hélice du bateau d’un modeste pêcheur nord-coréen se retrouve coincé dans un filet. Il n’a pas d’autre choix que de se laisser dériver vers les eaux sud-coréennes, où la police aux frontières l’arrête pour espionnage. Il va devoir lutter pour retrouver sa famille..

C’est la faute à pas de chance

Une journée ordinaire pour le nord-coréen Nam Chul-woo : montrer tout son amour à son épouse, passer le contrôle d’identité pratiqué par des militaires pour quiconque veut se rendre au bord de l’eau, retrouver et faire partir la barque qui lui permet de gagner sa vie grâce à son activité de pêcheur. Sauf que, aujourd’hui, voilà l’hélice qui, très vite, se prend dans les filets et le moteur qui rend l’âme. Nam Chul-woo sait bien que, sans moteur, la marée va l’entraîner dans les eaux, très proches, de la Corée du Sud mais pas question pour lui d’abandonner son gagne-pain.

Lorsqu’il est recueilli par les autorités de la Corée du sud, il a bon espoir que, très vite, on lui permette de retourner auprès de sa femme et de sa petite fille. Sauf que la situation est telle entre les deux Corée qu’une suspicion d’espionnage  pèse inévitablement sur lui. Voici donc notre modeste pêcheur qui fait l’objet de querelles intestines au sein de la police sud-coréenne, entre ceux qui voient des espions partout, quitte à les fabriquer eux-mêmes, ceux qui, persuadés que leurs intentions sont bonnes, veulent arriver à convaincre Chul-woo de ne pas retourner dans sa dictature natale, quitte à abandonner sa famille et à en reconstruire une autre dans un pays où règne la liberté, ceux, enfin, ou plutôt celui qui, chargé de le surveiller et de le protéger, se montre persuadé de son innocence et se demande si on doit vraiment essayer de le séparer de sa famille.

Face à cette Corée du sud parano, l’autre Corée, la Corée du nord, ne souffre-t-elle pas, au minimum, des mêmes défauts ? Pour Nam Chul-woo, un retour tranquille, voire monté en épingle par les autorités nord-coréennes, est-il vraiment possible ?

Ouvertement politique

Avec Entre deux rives, c’est un changement d’horizon très marqué qu’effectue Kim Ki-duk, ce film étant, pour lui, le premier film ouvertement politique de sa carrière. Il est intéressant de se pencher sur le titre original de ce film, Geumul. Un mot qui, en coréen, désigne un filet de pêche et désigne dans le film le filet dans lequel le héros, un homme  ordinaire, se fait prendre. Ce filet, c’est l’état, ou plutôt les états, des entités qui, ici, au nom d’une idéologie, anti-communisme d’un côté, anti-capitalisme de l’autre, en arrivent à sacrifier les individus. Et, comme le dit Chul-woo, « Si un poisson est pris dans le filet, c’est fini ».

Même si on peut reprocher au film d’être parfois un peu trop démonstratif à force de trop vouloir convaincre, force est de reconnaître que la démarche du réalisateur est très courageuse. En effet,  Kim Ki-duk ne cherche pas, loin de là, à évoquer une situation idyllique d’un côté et effroyable de l’autre. Non, pour lui qui aspire à une réunification pacifique de la Corée, les deux Corées actuelles sont aussi responsables l’une que l’autre d’une situation déplorable qu’il regrette amèrement. Il nous montre que, des deux côtés, il y a des gens qui voient des espions partout, qui tabassent pour faire avouer et qui trouvent très suspect qu’un modeste pêcheur leur dise que, pour lui, la famille peut être plus importante que l’idéologie. Face à cet homme qui, pour tout coréen du sud, vient d’une dictature, il va même jusqu’à mettre en scène une jeune prostituée sud-coréenne, une femme obligée de vendre son corps car, dit-elle « A quoi sert la liberté sans argent ? ».


Un classicisme bien venu

Comme cela lui arrive régulièrement, Kim Ki-duk ne s’est pas contenté de l’écriture du scénario et de la mise en scène de son film : il s’est également octroyé le poste de Directeur de la photographie. Vu le sujet, on ne regrette pas le classicisme dont il fait preuve dans cette réalisation et on apprécie la qualité du montage, judicieux du début à la fin.

Concernant l’interprétation, qui semble parfois un peu forcée, il est certain que nous perdons quelque chose en ne comprenant pas le coréen et en étant incapables de déceler les différences d’accent et, peut-être, de vocabulaire entre les coréens du nord et ceux du sud.

 

 

Conclusion

Cela fait près de 70 ans que la Corée est divisée en deux états dont les idéologies sont totalement antagonistes et qui ne cessent de se regarder en chien de faïence. Dans Entre deux rives, Kim Ki-duk dresse avec lucidité et beaucoup d’amertume un portait très sombre de cette division au travers du parcours kafkaïen d’un homme ordinaire pris dans les filets d’un de ces états avant de l’être dans les filets de l’autre.


 

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