Critique : Elle et lui (1939)

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Elle et lui

États-Unis, 1939

Titre original : Love Affair

Réalisateur : Leo McCarey

Scénario : Delmer Daves, Donald Ogden Stewart, Mildred Cram et Leo McCarey

Acteurs : Irene Dunne, Charles Boyer, Maria Ouspenskaya et Lee Bowman

Distributeur : Théâtre du Temple Distribution

Genre : Drame romantique

Durée : 1h29

Date de sortie : 6 octobre 2021 (Reprise)

3,5/5

Il y a des histoires d’amour qui résonnent toujours, même des décennies après avoir été une première fois portées au cinéma. C’est le cas de Elle et lui, le mélodrame romantique par excellence. Tandis que la version des années 1950 avec Deborah Kerr et Cary Grant reste la plus populaire de nos jours – une ressortie quasiment tous les cinq ans en France, c’est pour dire –, celle par laquelle tout avait commencé atteint peut-être encore avec plus de finesse l’équilibre parfait entre les sentiments et leur mise en péril. Quelque part entre une traversée de l’Atlantique en paquebot et l’Empire State Building, Leo McCarey y excelle en effet dans l’agencement d’une intrigue à première vue assez banale. Le réalisateur sait pour autant évoquer tout le spectre affectif de la représentation de l’amour avec une économie de moyens impressionnante.

Certes, on y assiste toujours à la création guère préméditée d’un mythe, qui avait su perdurer au moins jusque dans les années 1990, avec des résultats variables. Mais l’élégance du propos et le coloris peu intrusif de cette époque lointaine œuvrent subtilement à garder fraîche et pimpante une intrigue, qui aurait facilement pu prendre des rides. Rien que la temporalité était très différente à la fin des années ’30, quand le fait de rester coincés quinze longues journées sur le même moyen de locomotion n’avait rien d’exceptionnel. Pas plus d’ailleurs que d’attendre patiemment pendant six mois pour voir si des considérations matérielles comme la bagatelle de subvenir à ses besoins étaient à la hauteur de l’emballement des cœurs dans le microcosme préservé d’une croisière.

Que tout cela fonctionne à merveille, même plus de quatre-vingts ans plus tard, on le doit également au couple hautement crédible, formé par le charmeur incarné Charles Boyer et Irene Dunne, sans doute jamais plus à l’aise dans la peau d’une femme au seuil de l’émancipation.

© 1939 RKO Radio Pictures / Lobster Films / Théâtre du Temple Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Les médias du monde entier ne parlent que de ça : le célèbre playboy français Michel Marnay est en route pour New York, afin d’y épouser une riche héritière. Mais le voyage en bateau prend du temps et le séducteur invétéré commence à s’ennuyer à bord, faute de belles femmes à conquérir. Jusqu’à ce qu’il croise par hasard le chemin de l’Américaine Terry McKay, elle aussi promise à une relation stable et raisonnable avec son patron. Au fur et à mesure que les deux voyageurs passent du temps ensemble, ils osent espérer avoir trouvé enfin l’âme sœur. A l’approche de la côte américaine, ils se font la promesse de se retrouver six mois plus tard en haut de l’Empire State Building, une fois qu’ils auront mis de l’ordre dans leurs affaires privées et professionnelles.

© 1939 RKO Radio Pictures / Lobster Films / Théâtre du Temple Distribution Tous droits réservés

Plaisir d’amour

L’amour, l’amour, l’amour toujours. Tout le monde l’a connu à un moment donné de sa vie, on l’espère. Sur son reflet crédible dans les arts, principalement la littérature et le cinéma, les avis divergent par contre. Elle et lui n’a pas pour vocation de mettre tout le monde d’accord sur ce que serait la romance idéale sur grand écran. Le film de Leo McCarey procède davantage par voie d’une simplicité désarmante. Ainsi, Terry n’est nullement dupe de la réputation et de la stratégie de séduction de son interlocuteur. De même, l’attrait que Michel éprouve pour cette chanteuse de bar au franc-parler atypique, il a sans doute autant à voir avec son physique avantageux qu’avec son attitude doucement revêche. Car ces deux-là, ils commencent à s’aimer à petits pas, guidés à la fois par des coïncidences et par l’envie de faire durer le plaisir de leur compagnie partagée.

Il y a presque quelque chose de métaphysique à déceler dans cette relation naissante. Pas tellement dans un sens trop ostentatoirement religieux, comme dans la séquence de la chapelle sur Madère, néanmoins sublimement photographiée par le futur réalisateur de films fantastiques Rudolph Maté. Mais plutôt en tant que destin qui aurait toutes les chances de se réaliser. L’aspect humain de l’intrigue, ce terrain tour à tour miné et jouissif sur lequel Irene Dunne et Charles Boyer manœuvrent avec une aisance bluffante, prend discrètement le dessus. Et c’est précisément cette humanité, souvent hésitante et dans le doute, avant de foncer tête baissée vers la date butoir au début de l’été, qui confère ses lettres de noblesse empathique au film.

© 1939 RKO Radio Pictures / Lobster Films / Théâtre du Temple Distribution Tous droits réservés

Chagrin d’amour

Sauf que, bien évidemment, pareil bonheur ne pourra pas durer. Sinon, on serait dans le domaine du fantasme romantique à l’arrière-goût sirupeux. On ne va pas vous énumérer ici les mauvais coups du sort qui risquent de saboter sérieusement l’avenir des amoureux, bien qu’ils fassent en quelque sorte partie du domaine public. Toujours est-il que, même dans les moments les plus difficiles, la mise en scène ne dépouille pas le récit de tout optimisme. Grâce à la pudeur remarquable du ton, Leo McCarey persévère sur le chemin de l’espoir, ne serait-ce que celui de trouver un emploi dans un monde sous l’emprise d’un validisme d’un autre âge. Le temps de la séparation sert alors à éprouver les deux personnages prédestinés l’un pour l’autre, soit. Mais il s’emploie au moins autant à relativiser habilement la spirale de leur malheur personnel.

Tous les poncifs sociaux potentiellement en mesure de plomber le propos du film – de la maladie aux fêtes de fin d’année solitaires, en passant par une bande d’orphelins fortement aseptisée, selon le cahier de charges en vigueur à cette époque-là à Hollywood – manquent heureusement de poids face à la clarté de la narration. Celle-ci avance imperturbablement vers la grande confrontation finale. Elle aussi s’avère saisissante par ces petits jeux de langage, par ce louvoiement réciproque entre Terry et Michel, émotionnellement écartelés entre le reproche des occasions ratées du passé et le désir de donner une seconde chance au couple. Tout ce cheminement, avec sa succession de hauts et de bas, nous paraît alors plus précieux, en fin de compte, que de savoir quel type de lendemains qui chantent attendront les amoureux si durement éprouvés.

© 1939 RKO Radio Pictures / Lobster Films / Théâtre du Temple Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Le genre romantique est hélas un peu passé de mode. Pourtant, longtemps avant que des générations de spectateurs pas encore si âgés n’aient reporté tous leurs espoirs d’épanouissement amoureux sur des personnages interprétés de façon récurrente par Julia Roberts et Richard Gere, il existait déjà des films susceptibles de nous faire croire sans emphase en l’hypothèse d’une âme sœur. Elle et lui est de ceux-là, surtout cette première version de Leo McCarey ! Irene Dunne et Charles Boyer y habitent leurs rôles avec une sincérité et un naturel, qui sont pour beaucoup dans la force de séduction inusable de cette histoire. A condition qu’elle soit contée avec le même esprit d’une intelligence réservée qu’ici …

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