Critique : Deux pianos

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Deux pianos

France, 2025
Titre original : –
Réalisateur : Arnaud Desplechin
Scénario : Arnaud Desplechin, Kamen Velkovsky et Ondine Loriot dit Prevost
Acteurs : François Civil, Nadia Tereszkiewicz, Charlotte Rampling et Hippolyte Girardot
Distributeur : Le Pacte
Genre : Drame
Durée : 1h55
Date de sortie : 15 octobre 2025

2/5

Sans vouloir nous enorgueillir d’être des spécialistes de sa filmographie, nous avons toujours perçu Arnaud Desplechin comme un cinéaste des états d’âme. Avec son quatorzième long-métrage de fiction, le réalisateur prend hélas un virage fâcheux vers des tourments irrémédiablement tortueux. Car au lieu d’être une œuvre âpre sur un virtuose musical en crise, Deux pianos devient bien trop vite une pénible histoire d’amour. Aucune étincelle romantique ou érotique n’y jaillit entre les deux personnages principaux. A ces êtres opaques et aux motivations incompréhensibles, François Civil et Nadia Tereszkiewicz n’apportent strictement rien d’intéressant. Juste un regard hagard pour lui et une frénésie superficielle pour elle. Ce qui est assurément trop peu pour soutenir près de deux heures de revirements improbables et de sentiments inutilement contraints !

Le seul salut filmique, tout relatif, provient ici des personnages secondaires. Trop peu de temps leur est certes accordé pour qu’ils puissent inverser la tendance mortuaire de la romance absurdement impossible. Néanmoins, à travers l’exigence impériale de Charlotte Rampling, la débrouillardise optimiste de Hippolyte Girardot et l’enthousiasme touchant de Jeremy Lewin, le décalage est encore accentué entre la leçon de vie à fleur de peau que ce film aurait pu être et le naufrage laborieux que l’on doit finalement endurer depuis notre fauteuil de cinéma. Notre frustration s’en voit dès lors décuplée, à partir du moment où le couple vedette s’engage dans un vide dramatique abyssal à se tourner autour, tout en sachant pertinemment, par expérience ou par impératif scénaristique arbitraire, que leurs retrouvailles ne pourront pas durer.

© 2025 Emmanuelle Firman / Why Not Productions / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / arte France Cinéma / Alaz Film / Le Pacte
Tous droits réservés

Synopsis : Après un long séjour au Japon, le pianiste vedette Mathias Vogler revient enfin en France, à Lyon, sur invitation de la virtuose vieillissante Elena Auden qui voudrait donner quelques concerts avec lui. A peine arrivé, son chemin croise celui de Claude, un amour de jeunesse qui a depuis refait sa vie avec leur ami commun Pierre. Cette rencontre plonge Mathias dans une dépression profonde, rythmée de nuits blanches et de beuveries abondantes, alors que les répétitions viennent de commencer et que la date du premier concert approche.

© 2025 Emmanuelle Firman / Why Not Productions / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / arte France Cinéma / Alaz Film / Le Pacte
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Un retour en France vécu moins comme une fuite en avant qu’en tant que rapatriement masochiste vers un bourbier sentimental et professionnel, nullement digéré psychologiquement entre-temps : c’est ainsi que l’on pourrait définir le point de départ d’emblée problématique de Deux pianos. D’où sans doute le choix d’un acteur disposant d’entrée de jeu d’un capital de sympathie considérable comme François Civil pour incarner un homme aux motivations si troubles. Sauf que le comédien ne se montre malheureusement pas à la hauteur d’un personnage au tempérament particulièrement ténébreux. Bien que la mise en scène ne l’aide pas non plus à mieux appréhender cette âme autodestructrice. Son parcours devient alors de plus en plus irrationnel, au fur et à mesure que les éléments qui le rattachaient à une vie plus maîtrisée disparaissent.

A ce titre, Charlotte Rampling en grande dame de la musique classique, prête à tirer sa révérence, réussit à le rattacher tant soit peu à une conception plus pragmatique de la vie. Elle sait reconnaître en lui le même type de fauve en quête de perfection qu’elle a été tout au long d’une carrière d’exception. Mais elle ignore cruellement l’impact des troubles affectifs qui éloigneront au moins pour un temps son poulain des feux des projecteurs. Les retrouvailles très ponctuelles de Mathias avec Pierre révéleront, quant à elles, un aspect plus lumineux de sa vie. Or, cette parenthèse nostalgique d’une amitié de jeunesse qui n’était pas encore affublée de toutes ces fâcheuses complications du présent se referme aussitôt. Pire encore, le scénario ne tarde pas à abandonner ces forces vives secondaires pour diverses raisons, afin de se concentrer exclusivement sur le couple mal assorti formé par Mathias et Claude.

© 2025 Emmanuelle Firman / Why Not Productions / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / arte France Cinéma / Alaz Film / Le Pacte
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Une porte d’ascenseur qui s’ouvre et voilà, deux amants d’avant se retrouvent soudainement nez à nez. Ce point de départ d’un amour réchauffé est déjà en soi aussi mélodramatique que convenu. Arnaud Desplechin réussit l’exploit douteux de le développer en quelque chose de complètement aberrant : une histoire romantique totalement dépourvue de la moindre passion palpable. Car le scénario a beau multiplier les contacts corporels entre les amants, en parallèle de leurs conversations lourdes de sens pour ressasser leur histoire commune, nullement plus limpide que leur calvaire actuel, tout ce que ce couple nouvellement reconstitué provoque chez nous, c’est de l’agacement.

La faute aux traits de caractère affligeants de cet homme, qui désire quelque chose qu’il ne pourra jamais obtenir et qui se morfond par conséquent dans une démarche affectivement et professionnellement suicidaire. Et à ceux de cette femme, incapable de gérer son cercle de prétendants, même après que le sort du cinéma lui a prêté main forte de la plus poussive des manières. Ensemble, en toute logique bancale sur laquelle repose à notre grand regret une partie conséquente du film, ils ne produisent que des séquences sinistres et stériles.

Le comble de l’hystérie sentimentale et le cliché ambulant de tout ce qui ne va pas dans le pan le plus prétentieux du cinéma français sont atteints au moment de la conversation téléphonique vers la fin du film. Mathias y supplie et Claude crie en pleurnichant, dans l’exemple parfait d’un dialogue de sourd, mis en scène de façon pesante. Mais même avant et encore pendant quelques dizaines de minutes interminables après, rien ne fonctionne entre ces personnages aux contours impénétrables.

© 2025 Emmanuelle Firman / Why Not Productions / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / arte France Cinéma / Alaz Film / Le Pacte
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Conclusion

Pendant les quatre ans depuis Tromperie, dans lequel Denis Podalydès et Léa Seydoux avaient formé un couple aux rapports déjà délétères pour Arnaud Desplechin, la conception de l’amour selon le réalisateur a encore pris un virage supplémentaire vers le mentalement insalubre. Bien sûr, ses personnages nous avaient toujours révélé leurs failles intimes insurmontables. Mais là où des films comme Rois et reine et Un conte de Noël avaient su nous interpeller par la richesse de leurs individus imperméables au bonheur, dans Deux pianos, ce dispositif misérabiliste ne nous fait plus aucun effet positif. Dommage donc pour les infimes éclats de justesse du feu humain qui consume l’univers filmique de Arnaud Desplechin par lesquels nous gratifient les trois comédiens précités ! Et encore plus pour les occasions tristement ratées d’élargir le champ des possibles pour François Civil et de confirmer les espoirs placés en Nadia Tereszkiewicz depuis 2022, l’année de sa révélation au grand public.

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