Critique : Bleeder

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Danemark, 1999
Titre original : –
Réalisateur : Nicolas Winding Refn
Scénario : Nicolas Winding Refn
Acteurs : Kim Bodnia, Mads Mikkelsen, Rikke Louise Andersson
Distribution : La Rabbia
Durée : 1h38
Genre : Drame
Date de sortie : 26 octobre 2016

Note : 4/5

Alors que The Neon Demon, le dernier opus de Nicolas Winding Refn, devrait prochainement obtenir les faveurs d’une sortie sur support dvd-blu-ray, La Rabbia profite de cette actualité autour du réalisateur danois afin de rééditer son deuxième film, l’oublié Bleeder, ce dernier n’étant par ailleurs jamais sorti dans nos contrées. Lors du précédent festival de Cannes, The Neon Demon avait divisé les opinions. Suscitant des réactions mitigées (à l’instar de son précédent métrage, Only God Forgives), les contempteurs regrettèrent l’aspect désincarné, froid et vide du film et la propension de Refn à s’enliser dans une mise en scène au maniérisme vain. D’où la nécessité de (re)visiter son deuxième métrage dans le dessein d’observer l’évolution formelle du danois, entre ses débuts bruts et sauvages jusqu’à ses derniers œuvres affectées. Avant d’atteindre le statut particulièrement envieux de réalisateur incontournable avec Drive – pourtant loin d’être son meilleur film – Nicolas Winding Refn a eu une carrière pour le moins erratique. Entre envolées créatives extatiques et échecs cuisants au box-office, Refn a évolué sur une courbe sinusoïdale malgré la qualité constante de ses films. Son premier long-métrage, Pusher, s’est attiré les louanges de la presse et du public contrairement à son troisième métrage, Fear X, qui fut un insuccès public et critique complet. Afin de rembourser les dettes contractées lors du tournage de Fear X, Refn s’est engagé sur deux œuvres de commande : Pusher 2 et Pusher 3. En dépit de la pression constante subie par le réalisateur de Valhalla Rising lors du tournage des œuvres précitées, il parvient à créer un diptyque dont la radicalité n’a d’égale que la splendeur de la mise en scène. Succès immense, et la preuve que l’on tenait en Refn un metteur en scène particulièrement doué. Suite à cela, Refn poursuit une carrière émaillée de coups d’éclats et de remises en questions prouvant, à ceux qui en doutaient encore, son immense talent.

Synopsis : Copenhague, à la fin des années 90, 4 amis : Leo, Lenny, Kitjo et Louis. Leo, est en couple avec Louise, la sœur de Louis. Louise apprend qu’elle est enceinte de Leo. Face à son angoisse et incapacité à accepter de nouvelles responsabilités, Leo va peu à peu sombrer dans un abîme de folie et de violence.

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Une mise en scène frontale et directe

Dès les premiers plans, l’on retrouve cette sensibilité typique du futur metteur en scène de Bronson, du moins celle de ses débuts cinématographiques : une approche plus frontale et directe de la mise en scène. Le tout sans se départir d’effets stylistiques hérités des grands formalistes de l’Histoire du cinéma, tel Sergio Leone ou encore Stanley Kubrick, annonçant l’œuvre « Refnienne » à venir : grands-angles, panoramique, travellings… En dépit de son jeune âge, Refn fait montre d’une inventivité et d’une maîtrise remarquables. Témoin cette séquence introductive durant laquelle chaque personnage fait son entrée sur un style musical différent : punk-hardcore, musique ambiante, pop, rock’n’roll aux accents glam… Il y a là une énergie, une fraîcheur dont le caractère roboratif donne au film son entrain dès sa première scène. Dans le sillage d’un Quentin Tarantino, Refn ponctue son film d’hommages divers à différentes série-b, voire Z, ainsi qu’à des acteurs issus du même giron. Ainsi, lors d’une scène particulièrement savoureuse, Lenny, l’employé de vidéoclub mutique, et Leo débattent des mérites respectifs de Fred Williamson et Steven Seagal dans une joute verbale où chaque interlocuteur reste campé sur ses positions, peu enclin à écouter l’autre. Moments légers avant la tragédie qui s’annonce.

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Un mal-être profond

Témoin d’une agression sauvage dans une boîte de nuit, perpétrée par Louis et des collègues à lui, Leo va peu à peu s’enfoncer dans un silence et un mal-être profond. Ce dernier est un être laconique, peu disert (une caractéristique récurrente chez les personnages de Refn), ne trouvant qu’avec difficulté les mots pour s’exprimer. Jugeant ses perspectives d’avenir bouchées, Leo déraisonne au fur et à mesure que l’histoire avance. Ainsi, son comportement oscille entre une violence exutoire, pulsionnelle et cathartique à l’égard de sa conjointe, au grand dam de son frère bien évidemment, avec quelques rares moments de contrition vis-à-vis de la même personne. Perte d’estime de soi-même dont la conséquence est la déchéance dans les profondeurs de la haine. Sa perte avec la réalité se fait par de petites touches impressionnistes de couleur rouge, celles-ci annonçant le massacre final. Eprouvant le besoin de ressentir des stimulis de plus en plus violents, Leo s’équipe d’une arme à feu, celle-ci lui donnant l’illusion d’une certaine virilité retrouvée. Surtout, ce flingue, symbole phallique s’il en est, constitue un nouvel éclat à une vie qu’il juge bien morne et terne. La tension va a crescendo jusqu’au duel final tragique, entre Leo et Louis, filmé à l’image d’un western italien. Bleeder quitte les rivages du réalisme frontal des premières scènes pour flirter avec le baroque du cinéma de genre transalpin.

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Face à ce déferlement de violence, Lenny, le vendeur au vidéoclub, parvient à garder son humanité. Passionné de cinéma, en particulier le cinéma de série b, il trouve son échappatoire dans cette cinématographie jugée peu respectable par certains exégètes. Timoré, peu expansif, il n’aura d’yeux que pour la serveuse d’un restaurant situé sis du vidéoclub. Armé de son seul courage, il engage la conversation, maladroitement certes, cependant il parvient à contourner sa timidité excessive. Amour et haine, innocence et amoralité, coexistent constamment chez Refn, Bleeder ne fait pas exception à la règle. Refn possède l’art et la manière de faire dialoguer des sentiments antithétiques au sein d’une même séquence. Les voyous décrits dans Bleeder participent de cet aspect antinomique : entre fragilité intérieure et agressivité ostentatoire, Refn nuance leurs affects dans un geste dialectique captivant.

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Conclusion

Heureux geste que celui effectué par La Rabbia, à savoir sortir le deuxième long-métrage de Nicolas Winding Refn, Bleeder. De par ses thématiques, ses personnages, Bleeder préfigure, en un sens, l’œuvre à venir. Pourtant, loin d’être un film avec ses défauts de jeunesse, Bleeder fait preuve d’une maturité exceptionnelle pour un deuxième long.

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