Critique : Arthur Rambo

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Arthur Rambo

France : 2021
Titre original : –
Réalisation : Laurent Cantet
Scénario : Laurent Cantet, Fanny Burdino, Samuel Doux
Interprètes : Rabah Naït Oufella, Antoine Reinartz, Sofian Khammes
Distribution : Memento Distribution
Durée : 1h27
Genre : Drame
Date de sortie : 2 février 2022

3/5

Arthur Rambo est le 8ème long métrage de cinéma du réalisateur français Laurent Cantet. Un réalisateur qui s’était vu décerner la Palme d’Or cannoise en 2008 avec Entre les murs. Laurent Cantet est sorti diplômé de l’IDHEC en 1986 et il a réalisé son premier long métrage, Ressources humaines, en 1999.

 Synopsis : Qui est Karim D. ? Ce jeune écrivain engagé au succès annoncé ou son alias Arthur Rambo qui poste des messages haineux que l’on exhume un jour des réseaux sociaux…

Une avalanche de tweets

La sortie de « Débarquement », ce livre dans lequel il parle de sa mère et, plus généralement, des problèmes d’intégration des maghrébins dans la banlieue, a fait de karim D. un personnage important du monde littéraire parisien. C’est pourquoi sa maison d’édition a décidé de fêter son passage à la télévision dans une émission littéraire très regardée en organisant aussitôt après une réception au cours de laquelle les compliments pleuvent, aussi bien sur son livre que sur lui-même. Sauf que, très vite, la tendance s’inverse. La raison : des tweets écrits il y a plusieurs années sous son pseudo, Arthur Rambo, ressortent en grande quantité. Karim avait 16 ans lorsqu’il avait commencé à utiliser ce pseudo pour écrire des tweets le plus souvent racistes, ou antisémites ou homophobes. En deux temps trois mouvements, Karim D. est devenu un paria. Panique à bord ! Tour à tour, il va devoir se justifier auprès de Louise, sa directrice d’édition car, dorénavant, faire de la publicité pour le livre nuirait à la réputation de la maison d’édition, auprès de Nicolas, son agent, auprès de Léa, sa petite amie, auprès de ses amis de la web-TV de banlieue dont il est très proche, auprès de sa mère qui ne comprend pas ce qui se passe, « c’est pas moi qui t’ai appris à penser comme ça », auprès de Farid, son petit frère, le seul, peut-être, qui avait vraiment pris ces tweets au premier degré et qui ne comprend pas, voire se montre déçu, que Karim se sente obliger de les renier. Car, ne nous leurrons pas : la plupart de celles et ceux qui lui tombent dessus connaissaient l’existence de ces ces tweets mais, au moment de leur sortie, ils n’avaient rien dit …

Le mystère Mehdi Meklat est-il percé ?

C’est, comme on dit, « une histoire vraie » qui a inspiré Laurent Cantet pour se lancer dans Arthur Rambo : l’affaire Mehdi Meklat. Cet ex « Kid » du « Bondy Blog », ce partenaire de Badroudine Saïd Abdallah qu’on pouvait entendre chez Pascale Clark sur France Inter avait un double virtuel sur Twitter, Marcelin Deschamps, et ce double tenait des propos racistes, homophobes, antisémites et misogynes. Lorsque Laurent Cantet a eu vent de cette affaire, la stupeur a été sa première réaction : il avait été séduit par l’intelligence des propos de Mehdi entendus à la radio ou lus dans le « Bondy Blog » et il n’arrivait pas à comprendre comment ces propos censés et ses tweets odieux pouvaient sortir du même cerveau. Il a pensé qu’un film pourrait arriver à percer de mystère, d’où Arthur Rambo. Toutefois, comme lors de la réalisation de L’emploi du temps, inspiré par l’affaire Jean-Claude Rolland, il n’était pas question pour lui de faire un biopic, il voulait installer une certaine distance entre l’histoire de Mehdi Meklat et celle qu’il allait raconter. C’est ainsi que toute l’histoire est concentrée dans une période de 48 heures, c’est ainsi que tous les tweets d’Arthur Rambo portés à notre connaissance ont été écrits pour les besoins du film par Laurent Cantet et ses coscénaristes Fanny Burdino et Samuel Doux. Toujours immondes tout en étant parfois drôles, ces tweets dont l’arrivée progressive sur l’écran est parfaitement dosée ont d’autant plus d’impact sur les spectateurs qu’ils les lisent sur un grand écran et non sur un écran de téléphone.

Mais, maintenant, la question à se poser : Laurent Cantet a-t-il réussi, grâce à son film, à percer le mystère de Mehdi Meklat ? Une certitude : les réseaux sociaux n’en sortent pas grandis. Quant au personnage de Karim D., il n’est jamais montré de façon caricaturale : pour le réalisateur « il fallait qu’on oscille continuellement entre le rejet et l’empathie » envers lui. In fine, quand on se souvient qu’il avait 16 ans lorsqu’il a commencé l’envoi de ses tweets, on a l’impression d’avoir croisé un être immature qui, par jeu et par goût pour la provocation, a mis les doigts dans un engrenage qui, plus tard, va finir par le broyer : il voulait faire du buzz, « plus c’était trash, plus on me suivait », et, petit à petit, il allait toujours plus loin. On est d’ailleurs surpris par le choix du nom de son double fait par Karim, un nom qui croise celui d’un poète et celui d’une brute épaisse, comme si Karim savait déjà à l’époque de ce choix qu’il devrait un jour présenter les deux visages d’un Janus moderne. Le réalisateur insiste beaucoup sur la trajectoire géographique d’Arthur : un gosse des banlieues qui a franchi le périphérique et qui, un temps, est devenu la coqueluche du Tout-Paris littéraire. Il pensait peut-être que, finalement, ses écrits avaient été une façon de donner des gages à ses amis de banlieue. Sauf que, très vite, trop vite peut-être pour ce qui est de la crédibilité, de façon unanime, trop unanime peut-être, c’est avec colère qu’ils l’accueillent lorsqu’il revient vers eux, après la ressortie des tweets : « on ne peut pas passer notre vie à essayer de changer le regard qu’on porte sur nous et écrire des trucs comme ça » lui dit l’un d’eux. Pour autant, le mystère Mehdi Meklat n’est pas complètement percé et la construction du film, avec ces rencontres successives qui voient Arthur se justifier, aboutit à la répétition de séquences assez proches les unes des autres.

Un casting sans grand nom mais très solide

Pour interpréter le rôle de Karim D., Laurent Cantet a fait appel à Rabah Naït Oufella, un ancien rappeur qui avait fait ses premiers pas devant une caméra dans un rôle de collégien dans son film Entre les murs et qui, depuis, était apparu dans un grand nombre de films. A ses côtés, pas de grands noms du cinéma ce qui ne nuit en rien à la qualité de l’interprétation.  On note quand même la présence d’Antoine Reinartz dans le rôle de Nicolas, l’agent de Karim D., un comédien que l’on retrouvera le 9 mars prochain, dans l’excellent Petite nature dans lequel il a un rôle beaucoup plus important, la présence de Sofian Khammes, qu’on voit de plus en plus dans le cinéma français et qui, ici, interprète Rachid, un ami de Karim, la présence de Sarah Henochsberg, qui joue Léa, la petite amie de Karim, sans oublier la présence d’une grande comédienne, Anna Alvaro, qu’on aimerait voir plus souvent sur les écrans et à qui on doit une des plus belles scènes du film quand Edith, cette écrivaine qu’elle interprète et à qui Karim demande ce qu’elle pense de sa situation, lui répond « je pense que tu apprends ».

Conclusion

En réalisant Arthur Rambo, Laurent Cantet avait pour objectif de percer le mystère de Mehdi Meklat, le mystère d’un jeune homme au double visage, une face brillante, une face odieuse. Dire qu’il y parvient totalement serait mentir, sauf à résumer le personnage à un gamin qui a écrit des tweets « trash » pour faire le buzz et qui se les prend en pleine figure lorsque, devenu adulte, il fait preuve de qualités d’écriture unanimement reconnues. Mais ces tweets dont il dit aujourd’hui que c’était de l’humour, que c’était du 3ème degré, qu’il attendait des réactions qui ne venaient jamais, ce qui le poussait à aller toujours plus loin dans la provocation, quelle part de lui-même y avait-il quand il les a écrit, quelle part de lui-même y a-t-il encore aujourd’hui ? Questions qui restent sans réponse. De plus, le fait de se concentrer sur une période très courte oblige les protagonistes à avoir très rapidement, trop rapidement, des comportements tranchés au sujet de Karim.

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