Critique : Anatomy of time

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Anatomy of time

Thaïlande : 2021
Titre original : Wela
Réalisation : Jakrawal Nilthamrong
Scénario : Jakrawal Nilthamrong
Interprètes : Thaveeratana Leelanuja, Prapamonton Eiamchan, Sorabodee Changsiri
Distribution : Damned Distribution
Durée : 1h58
Genre : Drame
Date de sortie : 4 mai 2022

4/5

Après Unreal forest, un premier long métrage documentaire tourné en Afrique en 2010, Jakrawal Nilthamrong a réalisé son premier long métrage de fiction en 2015 : Vanishing point, primé au festival de Rotterdam de 2015, est sorti directement en DVD dans notre pays. C’était il y a deux mois et vous trouverez ici le test DVD. C’est à Venise, dans la sélection Orizzonti, qu’a été présenté en septembre dernier Anatomy of time, son 2ème long métrage, qui lui, arrive bien dans nos salles.

Synopsis : Deux fragments de la vie d’une femme. Maem est une jeune femme dans la Thaïlande rurale des années 1960. Son père horloger transmet sa passion à sa fille, tandis que les tensions entre la dictature militaire et les rebelles communistes s’exacerbent. Elle est courtisée par deux jeunes hommes très différents – un faible conducteur de pousse-pousse qui est littéralement mis de côté par un chef d’armée ambitieux et impitoyable. Cinquante ans plus tard, le chef de l’armée est devenu un général en disgrâce. Maem soigne son mari violent pendant ses derniers jours et se remémore son passé rempli de pertes, de souffrances et de joies.

Un homme et une femme

Un vieil homme proche de la mort sur un lit d’hospitalisation, une femme âgée qui s’occupe de lui avec beaucoup de dévouement. Une jeune femme qui vit avec son père, un horloger capable de lui expliquer la façon de déterminer nos vies selon les différentes grandes religions de la planète, et qui est courtisée par deux hommes de son âge, Don, un jeune homme de son village qui va l’amener à la rencontre de Tee, un chasseur de miel, et un chef militaire qui va lui offrir un flacon très cher de parfum venu de France. Si vous ne le savez pas à l’avance, il faut un temps plus ou moins long pour comprendre que le vieil homme et le jeune officier sont un seul et même homme, que la femme âgée et la jeune femme sont une seule et même femme.

En fait, ce que raconte le film, ce sont les souvenirs de Maem, la jeune femme devenue femme âgée, souvenirs de sa propre existence mais aussi évocation de l’histoire agitée de la Thaïlande qui a connu plus de 20 coups d’état dans la 2ème moitié du 20ème siècle, le tout étant raconté de façon loin d’être chronologique. Le jeune officier était partie prenante dans un de ces coups d’état et sa théorie était alors que dans la gouvernance d’un état, il n’y a que deux options : un chef sans pitié dans un système équitable ou un système basé sur le mensonge et la corruption où les riches exploitent les pauvres. Un chef tellement sans pitié que, pour conquérir la belle Maem, il n’avait rien trouvé de mieux que de faire tabasser et blesser grièvement Don par deux de ses hommes. Malgré tout, Maem s’était résolue à vivre avec le jeune officier. Ce dernier était devenu général et son comportement tout en violence avait réussi à générer une forme de haine envers lui, un commerçant le traitant de fasciste et le mettant à la porte de son échoppe, une infirmière lui souhaitant une mort rapide et douloureuse.

Les mêmes histoires se reproduisent toujours

Il est bon de reconnaître que, en France, à part quelques spécialistes, nous n’avons qu’une connaissance très pauvre de l’histoire de la Thaïlande. Une histoire très compliquée, avec une royauté, le rôle important de l’armée et le peuple, le tout dans un contexte local où une solide tradition bouddhiste vient se heurter à la proximité de pays aux gouvernements communistes, une histoire qui arrive même à avoir des conséquences sur le volet économique de la production cinématographique locale. En effet, le gouvernement du pays a cessé en 2018 d’apporter sa contribution au financement de films, ce qui explique qu’un film comme Anatomy of time ait dû rechercher ailleurs, en France auprès de Damned, aux Pays-Bas, à Singapour, le complément  de financement qui lui manquait. N’évoquant pas la royauté, le film ne risquait pas d’être accusé de crime de lèse-majesté, cette infraction pénale créée en 1908 qui permet d’infliger des peines très dures à quiconque « diffame, insulte ou menace le roi ».

Par contre, au travers du jeune officier, le film nous rappelle l’existence de ces groupes de jeunes officiers qui ont tenté des coups d’état entre 1960 et 1980, certains de ces officiers ayant réussi plus tard à réintégrer l’administration gouvernementale, d’autres pas. Toutefois, le réalisateur avoue lui-même qu’il n’a pas cherché à entrer de manière trop précise dans l’histoire de son pays, car, dit-il, entrer dans les détails n’était pas nécessaire car « les mêmes histoires se reproduisent toujours, que ce soit en Thaïlande ou ailleurs ». Cela n’empêche pas qu’on puisse faire un parallèle entre le choix de Maem de passer le reste de sa vie auprès du jeune officier plutôt qu’avec Don et les choix d’un peuple vivant le plus souvent sous la contrainte des militaires et en permanence sous celle du bouddhisme.

Subjugués, souvent, irrités, de temps en temps 

Alors que Anatomy of time n’est que son 2ème long métrage de fiction, on est déjà en droit de voir chez Jakrawal Nilthamrong une « patte » très personnelle qui fait de lui, à 45 ans, un réalisateur très prometteur. En effet, dans les deux films, la notion du temps qui passe est très importante et, chaque fois, on suit, dans une construction de type puzzle, la vie de deux personnages sur plusieurs années : deux hommes dans Vanishing point, un homme et une femme dans Anatomy of time. Chez le spectateur, les deux films sont à même de laisser une impression ambivalente, un mélange de fascination face à une tension toujours présente et d’irritation lorsqu’on en arrive à se sentir perdu face à la complexité de la narration. Empressons nous de dire que, fort heureusement, on est beaucoup plus souvent subjugué qu’agacé ! On est d’autant plus subjugués que la photographie de Phuttiphong Aroonpheng, condisciple du réalisateur lorsqu’il étudiait les Beaux-Arts à l’université Silpakorn de Bangkok, est absolument splendide. Les comédiennes et les comédiens, nous ne les connaissons pas mais ils et elles assurent parfaitement leurs rôles.

Conclusion

On se félicite que le 2ème long métrage du réalisateur thaïlandais Jakrawal Nilthamrong ait, contrairement au premier, trouvé sa place sur les écrans français. Son goût pour les constructions alambiquées pourra dérouter certains spectateurs mais la tension qu’il arrive à maintenir en permanence fait de lui un réalisateur dont la suite de la carrière sera suivie avec la plus grande attention.

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