Critique : Contes italiens

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Contes italiens

Italie, France, 2015
Titre original : Maraviglioso Boccaccio
Réalisateurs : Paolo Taviani, Vittorio Taviani
Scénario : Paolo et Vittorio Taviani, librement inspiré du Décaméron de Boccace
Acteurs : Lello Arena, Paola Cortelesi, Carolina Crescentini
Distribution : Bellissima Films
Durée : 2h01
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 10 juin 2015

Note : 3,5/5

Le Décaméron n’est de loin pas le film le plus connu de Pier Paolo Pasolini. Il n’empêche que – aux côtés des deux autres adaptations frivoles de monuments de la littérature mondiale dans la Trilogie de la vie, Les Contes de Canterbury et Les Mille et une nuits – il a durablement façonné notre perception du récit-fleuve de Boccace. L’approche érotique de Pasolini tend en effet à le précipiter sur le terrain douteux de la pornographie mi-joyeuse, mi-graveleuse, avec ce regard fiévreux sur le corps dénudé qui allait déraper vers la torture malsaine dans Salo ou les 120 jours de Sodome. Le fait de découvrir une nouvelle version cinématographique de ces contes pour éloigner le cataclysme de la peste nous a par conséquent remplis d’une certaine appréhension, d’autant plus que les frères Taviani, désormais octogénaires, auraient facilement pu tomber dans le piège d’en faire une orgie des sens et des seins pour vieux pervers. Or, Contes italiens nous a subjugués moins par la pudeur de son contenu, que par celle de sa forme, épurée et pourtant poignante, à l’image d’une autre saynète médiévale, Les Amours d’Astrée et de Céladon, le dernier film de Eric Rohmer.

Synopsis : Au XIVe siècle, la peste sévit à Florence. Un groupe de jeunes, sept femmes et trois hommes, se réfugie à la campagne. Pour y échapper à la morosité et à l’oisiveté, ils se racontent des histoires : celle de la mourante Catalina qui est sauvée in extremis par son amant Gentile, celle de l’artiste simple d’esprit Calandrino qui se croit invisible grâce à une pierre magique noire, celle de la belle Ghismunda adulée par son père Tancredi, celle de la sœur Isabetta qui a osé introduire un homme dans son couvent et celle du fauconnier Federico qui aime de loin Giovanna.

La peste

Les habitants de Florence mourraient en masse et sans distinction de classe au milieu du XIVe siècle, lorsque Boccace avait entrepris de rédiger son « Décaméron ». Il s’agit à la fois d’une sorte d’échappatoire à une mort certaine par le biais de la fiction et d’une célébration ample et sophistiquée de l’imagination humaine face à l’adversité du corps éphémère. La première partie du film tient magistralement compte de cet état d’urgence, où les superstitions tentent en vain de résister à l’ambiance lugubre et où l’amour ne mène plus au septième ciel mais à la fosse commune. La force visuelle de la narration s’y manifeste sans fioriture, grâce à la photographie sublime de Simone Zampagni, mais aussi par l’économie des moyens avec lesquels les frères Taviani dressent un état des lieux désespérant. La menace diffuse de la maladie y naît principalement de l’intensité des couleurs en guise de vestige chancelant de la vie, opposée aux rites funéraires expéditifs, de rigueur quand le nombre des morts risque d’écraser celui des survivants.

Raconte-moi une histoire

Le séjour à la campagne, quant à lui, ne relève pas non plus de l’aventure bucolique et pittoresque. La mélancolie y guette constamment les personnages, en dépit de leur volonté manifeste de tourner la page et de profiter tant que possible de ces vacances passablement macabres. La mort y fait intrusion de façon larvée. Que ce soit la chasteté imposée aux convives, soi-disant par souci d’égalité entre les couples et les filles célibataires, ou l’option de la mort comme dénouement quasiment inévitable des différents contes, le refuge ne se montre à aucun moment imperméable au souvenir de la condition humaine forcément mortelle, encore exacerbé par l’hécatombe pas si lointaine de la ville. Les cinq contes renvoient indirectement à cette précarité proche de l’hystérie, avec philosophie, sagesse et une bonne dose de romantisme, certes, mais sur un fond de noirceur qui en dit long sur la nature conflictuelle de l’homme, en dehors de tout contexte historique clairement délimité. La beauté indéniable de la forme n’y est jamais employée pour illustrer platement un éventail d’histoires édifiantes. Elle fait partie intégrante d’une forme d’évocation romanesque tout à fait sublime, que nous préférons sans hésitation aux bassesses puériles que le même matériel littéraire avait inspiré à Pasolini quarante ans plus tôt.

Conclusion

Au croisement entre le témoignage vibrant de l’héritage culturel de notre civilisation et la relecture personnelle et percutante de ce même écrit incontournable, Contes italiens fait preuve d’une beauté et d’une intensité renversantes. Par la même occasion, il démontre avec adresse qu’il n’y a pas d’âge pour s’émerveiller devant les mystères de la vie et que les films de vieux réalisateurs émérites peuvent parfois s’avérer plus stimulants que ceux de leurs cadets.

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