Critique : Au nom de ma fille

2
1734

Au nom de ma fille

France, Allemagne, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Vincent Garenq
Scénario : Julien Rappeneau et Vincent Garenq
Acteurs : Daniel Auteuil, Sebastian Koch, Marie-Josée Croze
Distribution : Studiocanal
Durée : 1h26
Genre : Drame judiciaire
Date de sortie : 16 mars 2016

Note : 3/5

Est-ce que Vincent Garenq est la réincarnation de André Cayatte ? La question – pas entièrement sérieuse – doit être permise, au vu de la prédilection du réalisateur pour les sujets à polémique, qui visent divers dysfonctionnements de l’appareil institutionnel de la France. Après le mariage gay dans Comme les autres en 2008 et la haute finance dans L’Enquête sorti il y a un an, il s’attaque désormais à la justice, trop lente et trop lâche pour remplir pleinement son rôle. Contrairement au grand moralisateur Cayatte, Garenq adopte cependant une approche quasiment clinique, qui fait ressembler ses films à des dissections sans états d’âme de microcosmes au mode opératoire bien particulier. En cela, son nouveau film poursuit un but dramatique comparable à celui du récent Spotlight de Tom McCarthy : montrer des idéalistes incorrigibles au travail, qui se casseront certes les dents à force de rechercher la vérité, mais qui avancent néanmoins tête baissée, peu importe l’origine de leur indignation. Car mieux vaut considérer Au nom de ma fille comme une étude sobre et solide des manquements de la justice européenne, plutôt que d’y voir une histoire à scandale qui exploiterait sans vergogne un fait judiciaire ayant défrayé la chronique.

Synopsis : En juillet 1982, la vie tranquille du comptable André Bamberski s’arrête brutalement, lorsqu’il apprend la mort de sa fille adolescente Kalinka. Elle est décédée en pleine nuit dans la maison de son beau-père, le docteur Dieter Krombach, en Allemagne, où elle avait passé ses vacances d’été avec son frère cadet. Bamberski est inconsolable face à cette perte terrible, d’autant plus inquiétante que les circonstances de la disparition de Kalinka restent floues. Une fois qu’il a pris connaissance du rapport d’autopsie, le père meurtri met tout en œuvre, afin de faire condamner Krombach pour homicide et viol. Commence alors un très long périple à travers les instances juridiques à la fois en France et en Allemagne, puisque Bamberski avait juré sur la tombe de sa fille, qu’il dévoilera toute la vérité sur sa mort suspecte.

Que justice soit faite

André Bamberski n’est pas un saint. Pendant la première partie du film, ce personnage aux traits à peine fictifs nous est présenté comme un homme froid et calculateur, qui vient en compagnie d’un notaire constater l’adultère de sa femme sans dire un mot. C’est même lui qui tombe d’abord sous l’autorité de la justice, en raison de l’enlèvement de son adversaire de toujours, son ultime sursaut dans le récit cadre. Autant dire que la narration ne cherche point à établir d’emblée un manichéisme sommaire entre le père aux valeurs morales et humaines irréprochables et le beau-père, un pervers aux pratiques plus que douteuses. D’ailleurs, les deux hommes ne font pratiquement jamais l’objet d’une confrontation directe, une fois que l’infidélité de l’épouse de Bamberski a fait voler en éclats leurs rapports cordiaux. Non, le véritable ennemi du protagoniste – et du coup l’enjeu principal de l’intrigue – est la réticence de la part des juges et des magistrats de tout bord de traduire devant la justice le médecin malfaisant. Même la culpabilité intrinsèque de l’accusé y a moins d’importance que la bataille acharnée de l’accusateur pour se faire entendre.

Une procédure à (très) longue haleine

Cette guerre contre des moulins à vent, qui restent la plupart du temps invisibles, la mise en scène de Vincent Garenq la fait progresser à un rythme soutenu. Celui-ci inclut les étapes les plus importantes du combat titanesque du père têtu, tout en évoquant les nombreux revers dont la vie de André Bamberski a été parsemée. Le flux morcelé du récit instaure alors assez tôt une sensation d’épuisement, comme si cette histoire révoltante n’allait jamais se terminer et encore moins en faveur d’une vérité et d’une justice toutes relatives. La narration se garde en effet soigneusement de prendre parti pour l’un ou l’autre des deux camps, bien qu’elle adopte sciemment le point de vue subjectif du justicier forcené. L’interprétation remarquable de Daniel Auteuil et de Sebastian Koch dans les rôles principaux, ainsi que celle de Marie-Josée Croze dans celui de l’épouse usée par cette situation intenable, garantit heureusement une certaine ambiguïté. Sans eux et en dépit de la volonté manifeste de la part du scénario, cosigné par Juien Rappeneau, de mettre en cause les failles de la procédure au lieu de s’interroger sur ce qui s’est réellement passé cette nuit fatidique, Au nom de ma fille aurait été un film sensiblement moins engageant.

Conclusion

Dans son quatrième film, le réalisateur Vincent Garenq réussit à peu près le grand écart entre la reconstitution d’un fait divers aux répercussions durables et le drame intimiste d’un père isolé, qui croit dur comme fer en son combat. En dehors de l’intensité du jeu des principaux comédiens, c’est surtout l’impartialité presque distante du propos qui nous y a interpellés. Car après tout, ce ne sont guère les faits avérés – ou ce qu’il en reste après un premier examen bâclé – qui ont mis Dieter Krombach derrière les barreaux, mais sa personnalité méprisable de prédateur macho. Or, là aussi la narration fait preuve d’une retenue non négligeable, que l’on qualifierait presque de germanique.

2 Commentaires

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici