Se souvenir des tournesols
France, 2024
Titre original : –
Réalisateurs : Sandrine Mercier et Juan Gordillo Hidalgo
Scénario : Sandrine Mercier et Juan Gordillo Hidalgo
Distributeur : –
Genre : Documentaire
Durée : 1h27
Date de sortie : –
3/5
Venez vivre à la campagne, c’est merveilleux ! S’il disposait de moins de qualités cinématographiques indéniables, ce documentaire pourrait passer pour de la publicité à peine larvée en faveur d’un style de vie bucolique. Or, c’est au contraire la grande liberté de ton qui rend Se souvenir des tournesols si frais et désarmant. Présenté en avant-première mondiale au Festival d’Albi, le film de Sandrine Mercier et Juan Gordillo Hidalgo part très vite du postulat du retour aux sources – et tant mieux aurait-on envie de dire ! – pour inverser la direction et évoquer plutôt les jeunes qui désertent en masse le Gers. Ils ne le font pas par plaisir, mais par la nécessité de poursuivre des études, ne serait-ce qu’à quelques kilomètres de là, à Pau ou à Toulouse.
Au lieu de se positionner sur le filon du chant de cygne nostalgique, voire funeste, le documentaire privilégie une approche infiniment plus festive. En effet, la bonne humeur paraît être omniprésente parmi les jeunes filles de province et dans leur environnement apaisé. Ce qui relève bien sûr de la demi-vérité. En même temps, le cinéma d’hier et d’aujourd’hui a tellement tendance à dépeindre le monde dans des couleurs sombres et désespérantes que cela nous change en bien de pouvoir considérer pour une fois le verre à moitié plein.
Rares y sont ainsi les observations plus proches des dures réalités de la vie, à peine effleurées lors du constat que les agriculteurs avaient jadis davantage les coudées franches ou qu’un des piliers de la communauté musicale du village aurait éventuellement pu se faire soigner mieux, s’il avait vécu en ville. Or, ce sont là au mieux de vagues ombres passagères sur le tableau lumineux d’une vie campagnarde dépourvue de complexes.
Synopsis : Un été dans le Gers, la saison où les villages sont en fête. Alors que la réalisatrice Sandrine Mercier revient dans la région de son enfance, elle rencontre Anaïs, une jeune femme qui va passer bientôt son bac, qui rêve de faire des études d’espagnol et de travailler plus tard dans la mode. Pour l’instant, au cours des derniers mois avant son départ de chez ses parents, son quotidien de flûtiste amateur est rythmé par les répétitions de sa fanfare et ses participations aux fêtes locales. Si elle ne gagne pas un peu d’argent en faisant les vendanges.
Parfum de poule
Au cours des premières minutes de Se souvenir des tournesols, de belles images de la campagne gersoise entrent en contraste et d’une certaine manière en conflit avec la voix off, qui cherche à positionner le documentaire sur le terrain du récit autobiographique. Sur le thème de l’exode personnel, la réalisatrice Sandrine Mercier évoque alors ses propres souvenirs d’enfance, films de famille en super 8 à l’appui. Heureusement, ce cadre formel aussi restrictif que conventionnel est rapidement abandonné.
D’ailleurs, pourquoi l’avoir choisi pour commencer, puisque la narration n’y revient que très sporadiquement vers la fin ? Sans doute pour établir le lien avec le vécu au présent d’Anaïs, dont la présentation s’opère progressivement, sans jamais forcer le trait. La transmission des informations se fait dès lors en toute liberté, presqu’en passant, mais en s’assurant bel et bien que le propos du documentaire demeure intact.
Lequel est-il précisément ? De colporter avec une bienveillance sans borne l’innocence propre à la campagne. Attention, aucun manichéisme calculateur est à l’œuvre au cours de l’heure et demie que les réalisateurs nous font faire le tour des champs et des fêtes de village ! Avec certes un recours très légèrement abusif aux plans de drone, histoire de souligner la belle symétrie des exploitations agricoles. Sinon, tout n’y est que contemplation sereine et discours à peine inquiet sur l’opposition, plus redoutée que prouvée, entre la quiétude à la campagne et le stress de la grande ville. Cette dernière, on n’y pénètre qu’à la fin, quand Anaïs prend possession de son logement d’étudiant. Les bruits y sont différents, soit, mais le regard cinématographique permet de tirer un vestige de beauté de cette perspective urbaine largement bouchée.
La diagonale du vide
Un beau mélange de sons et d’images, Se souvenir des tournesols met en avant des éléments de la vie rurale qu’on ne voit que très rarement au cinéma. A l’individualisme forcené de la fiction, où les personnages sont contraints de résoudre souvent seuls leurs problèmes inventés de toutes pièces, répond ici une formidable harmonie, admettons-le plus sociale que musicale. La pratique d’un instrument sert à Nogaro surtout de force fédératrice entre les jeunes et les moins jeunes, le prof de musique y faisant en quelque sorte office de bonne conscience et de porte-parole du bien vivre ensemble à la campagne. Grâce à un positionnement entièrement valorisant à l’égard de leurs sujets de la part du duo de réalisateurs, il n’en émane qu’admiration face à un tissu social constamment entretenu, sans que l’on n’en aperçoive les ficelles.
La symbiose entre les hommes et la nature, on la retrouve de même du côté agricole, notamment chez le viticulteur, qui avait fait, lui aussi, marche arrière en termes de quête du bonheur en ville et qui est de même engagé dans les groupes musicaux du village. Beaucoup de choses pourraient être dites sur le mal-être des paysans en France, de nouveau en grève ces jours-ci et à juste titre ! Cependant, la visée de ce documentaire-ci est de dresser un tableau sensiblement moins fataliste.
Sans idéaliser non plus outre mesure ce cadre de vie plus trop à la mode, Sandrine Mercier et Juan Gordillo Hidalgo se mettent adroitement à la hauteur et au service des habitants somme toute très ordinaires de ce village, qui ne l’est pas moins. Avec une absence totale fort appréciable d’une quelconque prise de position politique, tout comme celle d’un représentant faussement branché de cette tendance plus ou moins à la mode de l’exode des villes au profit des campagnes.
Non, tout ce qui compte ici – et c’est déjà considérable –, c’est de transmettre, de préférence sans subterfuge filmique, le bonheur tout simple d’être bien là où l’on se trouve, seul ou à plusieurs !
Conclusion
Moins de deux-cents kilomètres séparent, à vol d’oiseau, les villes d’Albi dans le Tarn de Nogaro dans le Gers. Loin de nous l’idée de vouloir faire l’amalgame des régions de la part d’un petit parisien d’adoption qui ne s’y connaît finalement pas tant que ça en régions françaises ! Toujours est-il qu’au Festival d’Albi et dans Se souvenir des tournesols règne le même type de savoir-vivre détendu et fier du terroir que l’on chercherait en vain dans la capitale. La qualité majeure du documentaire de Sandrine Mercier et Juan Gordillo Hidalgo consiste alors à en bannir toute considération idéologique, en dehors du fait, simple comme bonjour, de montrer qu’il ne faut pas grand-chose pour respirer la liberté et le bonheur au grand air …