La Roche-sur-Yon 2025 : Ghost Elephants

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Ghost Elephants

États-Unis, 2025
Titre original : Ghost Elephants
Réalisateur : Werner Herzog
Scénario : Werner Herzog
Distributeur : –
Genre : Documentaire
Durée : 1h39
Date de sortie : –

On avait failli se résoudre au triste constat que les meilleurs jours créatifs de Werner Herzog étaient derrière lui. Son dernier documentaire Au cœur des volcans était essentiellement une œuvre de montage d’images pas prises par le réalisateur allemand, sur fond d’une musique quelque peu pompeuse. Et le fait qu’il s’intéressait à des objets aussi inanimés – ou en tout cas sans âme – que des volcans ne convenait guère à ce cinéaste au regard si singulier et compatissant sur l’humanité dans toute son imperfection. Heureusement, l’honneur artistique de Herzog est sauf, comme le démontre avec une immense subtilité Ghost Elephants, son documentaire présenté au dernier Festival de Venise et présenté en avant-première française ce matin au Festival de La Roche-sur-Yon ! Avec toujours le même regret ambigu que la suite de son exposition publique se fera certainement en ligne, sur la plateforme Disney +.

Pourtant, l’impact visuel et la force brute des images de Ghost Elephants dépasse largement l’esthétique ordinaire d’un quelconque reportage à consommer sur la chaîne de National Geographic ! Sans oublier le propos toujours aussi nuancé de Werner Herzog, l’éternel conteur d’aventures qui auraient pu être les siennes quand il était encore le cinéaste téméraire aux prises avec la folie de Klaus Kinski et autres projets démesurés. A présent, il adopte sans prétention le poste d’observateur fréquemment émerveillé et jamais condescendant à l’égard des quêtes de l’impossible qu’il filme. Celle de l’explorateur sud-africain Steve Boyes s’inscrit aisément dans l’univers du réalisateur, à travers sa recherche d’une race fantôme d’éléphants, avec en arrière-pensée la certitude qu’il vaudrait peut-être mieux ne jamais la trouver.

Synopsis : Depuis une dizaine d’années, l’explorateur Steve Boyes parcourt les hauts plateaux de l’Angola, à la recherche d’éléphants fantômes, plus grands que la moyenne et les descendants supposés du plus imposant spécimen jamais localisé. La reproduction de cet éléphant hors normes, surnommé Henry et abattu en 1955 par le chasseur hongrois Fénykövi, est exposée au musée Smithsonian à Washington. Le projet de Boyes consiste à comparer son code génétique avec les échantillons à ramener d’une expédition, sous la supervision des célèbres traceurs Bushman de Namibie.

© 2025 Sobey Road Entertainment / Skelling Rock / The Roots Production Service / National Geographic Documentary Films / Disney +
Tous droits réservés

Difficile à dire ce qui nous impressionne le plus chez Werner Herzog. L’endurance vigoureuse avec laquelle il poursuit sa carrière cinématographique à 80 ans largement passés ou bien sa faculté hors normes à déconstruire les discours dominants pour mieux leur opposer sa propre vision pacifiste des choses ? Dans Ghost Elephants, il met ces deux composantes essentielles de son immense talent en œuvre. En accompagnant l’expédition africaine avec un œil alerte sur tout ce qui se passe en marge d’elle. Ainsi qu’en plaçant ses motivations dans le contexte d’un pillage colonial qui avait défiguré la flore et la faune du continent africain jusqu’à très récemment. Tandis que des images d’un film des années 1960 montrent sans gêne les exploits cruels de chasseurs de gros gibier, le réalisateur, qui est aussi à peu de choses près de cette génération-là, se démarque clairement de l’état d’esprit néfaste de cette époque.

Sans doute la phrase la plus représentative de l’amour et du respect que le commentateur Herzog éprouve à l’égard de ses sujets est celle introduisant l’imitation par l’un des traceurs des circonstances dans lesquelles une antilope chassée par lui est morte. En prenant en compte la fierté avec laquelle il se livre à ce spectacle en honneur de la bête et en ayant un esprit ouvert face à des us et coutumes très éloignés de notre conception européenne, le réalisateur fait preuve d’une sollicitude que l’on cherchera hélas en vain parmi l’immense majorité de ses confrères dans le genre documentaire. Sa capacité de se mettre à la place de l’autre, de chercher à comprendre des cultures autrefois considérées comme inférieures ou ridicules ne se démentit nullement tout au long d’un film qui nous inspire, nous aussi, à abandonner nos œillères occidentales.

© 2025 Sobey Road Entertainment / Skelling Rock / The Roots Production Service / National Geographic Documentary Films / Disney +
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En parallèle de cette célébration toujours aussi sobre de la différence et plus spécifiquement d’une symbiose entre l’homme et la nature qui fait douloureusement défaut en Europe, Ghost Elephants persévère dans l’observation sans complaisance du volet scientifique de l’aventure. Steve Boyes et ses hommes ont beau se conformer avec un sérieux remarquable aux traditions des peuples africains qu’ils côtoient, ils restent toujours un peu des étrangers faisant tache dans ce microcosme original, sur le point de disparaître à son tour. Ils restent en marge des nuits passées à danser jusqu’à tomber en transe et ce n’est pas non plus eux que l’on voit porter laborieusement les motos de l’expédition à travers la rivière. Tout comme leur matériel hautement sophistiqué s’avérera plutôt inutile face à ces éléphants mythiques qui ont tendance à ne pas se laisser approcher.

Enfin, Werner Herzog dresse l’explorateur en un formidable alter ego, entièrement conscient de l’écart entre ce qu’il rêve de trouver et la réalité de ce qui paraît envisageable. La récurrence de certaines de ses explications, sur le déroulé de l’expédition et sur ses motivations, reflète alors l’engrenage philosophique dans lequel il se trouve. Car ce n’est pas à force de les répéter que les choses deviennent plus tangibles ou probables. Un dilemme dont et Boyes, et Herzog sont conscients. L’exploit consiste alors à essayer d’y parvenir malgré tout. Quitte à se sentir plus intéressé, dans les laboratoires américains, par des cadavres d’oiseaux posés en file que par des gadgets informatiques susceptibles de produire rien que des chiffres à l’infini. En dernier humaniste sans complexe d’infériorité de l’Histoire du cinéma, Werner Herzog sait avec une limpidité désarmante vers qui et vers quoi vont ses préférences.

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Conclusion

Les merveilles du monde qui nous entoure sont innombrables, quoique plus que jamais en danger de destruction par l’inconscience de l’homme. Personne n’en tient mieux compte avec une poésie filmique à la beauté épurée que Werner Herzog ! Ghost Elephants nous rassure donc sur les ultimes réserves de sa force créatrice que l’on espère encore pouvoir admirer pendant longtemps. Que ce soit bientôt en ligne pour ce documentaire-ci n’enlève rien à sa douce maestria, à hauteur d’homme et surtout à hauteur d’une nature qui ne nous a toujours pas dévoilé tous ses secrets. Ce qui serait un moindre mal, à en croire ce réalisateur rempli de sagesse qu’est et que restera Werner Herzog.

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