Critique : Le Boucher

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Le Boucher

France, Italie, 1970
Titre original : –
Réalisateur : Claude Chabrol
Scénario : Claude Chabrol
Acteurs : Stéphane Audran, Jean Yanne, Roger Rudel et Antonio Passalia
Distributeur : Tamasa Distribution
Genre : Thriller
Durée : 1h33
Date de sortie : 9 juillet 2025 (Reprise)

3/5

Derrière la façade des convenances et des conventions bourgeoises grondent des instincts sauvages. Aucun réalisateur en France, voire dans le monde, n’a su mieux faire sienne cette thématique subtilement iconoclaste que Claude Chabrol. Certes, elle a connu quelques adaptations au fil du temps, puisqu’il va de soi que les mœurs d’un pays évoluent au cours d’un demi-siècle. Mais contrairement aux farces morales de Luis Buñuel – aussi pointu et impitoyable dans l’analyse que son confrère français – qui avait opté pour l’issue de l’absurdité, chez Chabrol, toute la laideur des âmes et notre impuissance face à elle se fait jour sans le moindre ménagement.

Ainsi, Le Boucher est le conte particulièrement saisissant et cruel d’un amour impossible. Et même si son impact nous paraît légèrement moindre que lors de notre découverte il y a plus de trente ans, ce film demeure l’exemple parfait de la maestria en termes de dissection sociale selon Chabrol !

Avant tout, il s’agit de la rencontre au sommet entre Stéphane Audran et Jean Yanne, tous deux en état de grâce dans ce jeu du chat et de la souris dans lequel les rôles sont continuellement inversés. A moins que le dindon de la farce ne soit en fin de compte le public ? Pris au piège de la séduction émanant de la fragilité touchante de l’un et de l’autre, il devient le complice de leurs cachotteries meurtrières, en guise d’épée de Damoclès qui plane au dessus du récit.

Tout ceci sur fond de la description très sobre du quotidien provincial dans le Périgord, au rythme des mariages et des enterrements et où l’on allait déjà au cinéma à Sarlat. Un environnement en apparence bucolique, qui n’est pourtant d’aucun secours, lorsqu’il s’agit de résoudre le dilemme criminel dans lequel les deux protagonistes plongent d’une façon magistralement tortueuse.

© 1970 Les Films de la Boëtie / Euro International Film / Artedis / Parafrance Films / Tamasa Distribution
Tous droits réservés

Synopsis : Revenu dans le village de son enfance après quinze ans de service militaire, en Algérie et en Indochine, Paul y a repris la boucherie familiale. Lors d’un mariage, il fait la connaissance de la directrice de l’école locale Mademoiselle Hélène. Le courant passe entre ces deux célibataires endurcis. Ils se voient de plus en plus régulièrement, même si Hélène repousse délicatement les avances de Paul. Leur relation amicale risque de s’assombrir, lorsque de jeunes femmes sont retrouvées sauvagement assassinées dans les alentours du village.

© 1970 Les Films de la Boëtie / Euro International Film / Artedis / Parafrance Films / Tamasa Distribution
Tous droits réservés

Y a-t-il un coin plus pittoresque et reculé en France que le Périgord ? Ce qui n’est peut-être plus tout à fait vrai de nos jours l’a été plus certainement au début des années 1970. Cette tranquillité paysanne à l’ancienne sert pendant longtemps d’arrière-plan faussement rassurant dans Le Boucher. D’emblée, l’église fournit un repère visuel et un ancre moral, pendant que les premiers signes de dérèglement remontent discrètement à la surface. A l’image des gendarmes, qui passent rapidement au fond d’un plan dédié principalement à la paix enfantine qui règne encore dans la cour de récré de l’école sur laquelle Mademoiselle Hélène veille avec une bienveillance maternelle. De même pour les meurtres et leurs victimes, extrêmement peu présents à l’image, voire traités par la population comme des faits divers tout juste bons à épicer la routine provinciale.

Au détail près que cet environnement, presque caricatural dans sa promotion du bien-être à la campagne, a au mieux une influence secondaire sur le déroulement de l’intrigue. En effet, aucun personnage n’est en mesure de dévier le couple platonique de sa trajectoire fatidique. Tout comme sa complicité passablement sordide n’est réellement perturbée par l’intervention ni des forces de l’ordre, venues essentiellement en tant que touristes qui n’y comprennent rien aux rapports de force dans la bourgade, ni des autres hommes qui gravitent autour de Mademoiselle Hélène d’une manière purement professionnelle. Non, l’un des constats les plus cinglants du dix-huitième long-métrage de Claude Chabrol consiste sans doute à signifier, sans jamais forcer le trait, que même dans un décor en apparence si paisible, les pires choses peuvent se produire.

© 1970 Les Films de la Boëtie / Euro International Film / Artedis / Parafrance Films / Tamasa Distribution
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Et si la pire chose à arriver à ce couple d’amis était réellement la méfiance qui finit par gangréner le lien qui s’était établi entre eux, un jour et un cadeau apparemment innocent à la fois ? Dans toute sa splendeur de grande dame du cinéma français, majestueuse et glaciale, Stéphane Audran n’occulte point le défaut principal de son personnage, à savoir son refus de voir la triste réalité en face. Cet aveuglement volontaire prendra plus tard une tournure proprement tragique. Mais dès que l’on sait un peu plus sur son passé, il devient évident que son existence de directrice d’école appréciée par toutes et tous fait avant tout figure de tour d’ivoire choisie en toute connaissance de cause, pour mieux se préserver de la cruauté des hommes.

Cette dernière se manifeste pas si franchement chez le boucher Popaul. Fiévreux et sanguin, il l’est indéniablement. Toutefois, grâce au jeu tout en finesse de Jean Yanne, très longtemps avant qu’il ne soit devenu à partir des années ’90 le vieux ronchon du cinéma français, il se présente à nous tel un homme aux multiples facettes. Traumatisé par son expérience sur les théâtres de guerre malheureux de la France au milieu du siècle dernier, bien sûr. Nullement sûr quant à la meilleure façon d’aborder cette femme qui lui fait visiblement envie, mais à qui il aura au mieux des services subalternes à offrir, tout à fait. Or, dans le regard et la gestuelle immanquablement hantés de Yanne, quelque chose de plus fourbe, de moins avouable se laisse deviner. Au-delà de ses activités criminelles supposées, qui remplissent ici à peine plus que la fonction besogneuse du MacGuffin à la Hitchcock.

© 1970 Les Films de la Boëtie / Euro International Film / Artedis / Parafrance Films / Tamasa Distribution
Tous droits réservés

Conclusion

Plus d’un demi-siècle après sa sortie initiale, Le Boucher ne fait certes plus l’effet d’une bombe, susceptible de dynamiter la bienséance de façade qui règne dans la plupart des microcosmes campagnards. Néanmoins, grâce à la mise en scène pointue de Claude Chabrol et à l’interprétation magnifiquement complémentaire de Stéphane Audran et de Jean Yanne, on a toujours tendance à retenir notre souffle pendant une heure et demie. Pas tant à cause de la conclusion un peu trop bancale, mais parce qu’il y est question avec beaucoup d’habilité d’un dilemme essentiel de l’humanité : jusqu’où ose-t-on aller par amour ou par amitié ? En observateur malicieux de la société française, le réalisateur se garde soigneusement d’y apporter une réponse claire et définitive.

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