Depuis des années, le cinéphile français amateur de wu xia pian –ou film de sabre chinois– se désolait secrètement de la faible représentation sur support DVD / Blu-ray du cinéma de King Hu. Que dire en effet de l’édition DVD de A touch of zen éditée par Films sans Frontières en 2004, si ce n’est qu’elle ne rendait pas vraiment hommage à la qualité visuelle du film ? Carlotta Films entreprend ce mois-ci de réparer les outrages du passé en sortant un inattendu coffret Blu-ray consacré à King Hu, contenant A touch of zen et Dragon inn – deux chefs d’œuvre qui constituent, à n’en point douter, non seulement deux des plus vertigineux sommets de la filmographie de King Hu, mais également du wu xia pian en général…
Dragon inn
Taïwan : 1967
Titre original : Long men kezhan
Réalisateur : King Hu
Scénario : King Hu
Acteurs : Lingfeng Shangguan, Chun Shih, Pai Ying
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h51
Genre : Aventures, Action
Date de sortie cinéma : 12 août 2015
Date de sortie DVD/BR : 21 septembre 2016
Le tyrannique eunuque Cao Shaoqin ordonne l’assassinat du ministre de la Défense Yu Qian, accusé à tort d’avoir aidé des étrangers. Ses trois enfants sont, eux, condamnés à l’exil hors du pays. Mais Cao Shaoqin prévoit en réalité de les exterminer en chemin : il ordonne à ses deux fidèles commandants de préparer une embuscade à l’Auberge du Dragon, située près de la frontière…
A touch of Zen
Taïwan : 1971
Titre original : Hsia nu
Réalisateur : King Hu
Scénario : King Hu
Acteurs : Hsu Feng, Shih Chun, Pai Ying
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 2h59
Genre : Aventures, Action
Date de sortie cinéma : 30 juillet 1986
Date de sortie DVD/BR : 21 septembre 2016
Gu Shengzai, vieux garçon exerçant la profession de peintre et d’écrivain public, mène une vie tranquille avec sa mère, laquelle cherche à tout prix à marier son fils. Lorsqu’une nouvelle voisine vient s’installer à côté de chez eux, l’occasion est inespérée. Mais cette jeune fille mystérieuse n’est autre que Yang Huizhen, dont le père a été assassiné par la police politique du grand eunuque Wei et qui est depuis, recherché pour trahison…
Si la popularité du film de sabre en provenance d’Hong Kong a véritablement explosé en France avec le « boom » du marché DVD au tournant des années 2000 (bien aidé par les efforts de Christophe Gans avec HK Vidéo), qui coïncidait d’ailleurs avec la sortie en salles de Tigre et dragon (Ang Lee, 2000), le cinéma de King Hu est probablement le plus représentatif de la classe et de l’ambition formelle et narrative du genre dans les années 70.
Grace aux budgets confortables mis à sa disposition par la Shaw Brothers, les films de King Hu mêleront, dès les années 60, sabre et arts martiaux dans des chorégraphies très influencées par l’Opéra de Pékin, ses scènes de combat développant une grâce incroyable qui fera beaucoup d’émules à travers le monde. Après son départ de la Shaw Brothers, il réalisera en 1967 Dragon inn à Taïwan, qui sera le premier de ses films à proposer des histoires mêlant espionnage, complots et faux-semblants qui deviendront quasiment sa « marque de fabrique ».
King Hu fait donc avec Dragon inn dans le récit d’aventures agrémenté d’arts martiaux. Les combats ne bénéficient certes pas de chorégraphies extrêmement spectaculaires, mais ce minimalisme est également une des réussites du film de King Hu, chaque personnage cachant son jeu vis-à-vis des autres et ne dévoilant ses réels talents martiaux que s’il y est contraint. L’énorme succès du film en Asie a par ailleurs donné naissance à un remake, L’auberge du dragon (Raymond Lee / Tsui Hark / Ching Siu-Tung, 1992), ayant connu l’insigne honneur de se voir distribué en France en DVD… 12 ans avant le film original.
Avec A touch of zen, on rentre dans le « mythique », le sublime, puisqu’il s’agit probablement, avec l’époustouflant Raining in the mountain (1979), du meilleur film de King Hu. On y retrouve en effet toutes les qualités de ses films précédents, mais poussées à l’extrême, le cinéaste accouchant d’une œuvre frôlant la perfection narrative et formelle – aventure, amour et combats se mêlent donc au cœur d’un film mémorable pour son personnage de héros atypique (Chun Shih, héros lettré s’opposant à la force brute) autant que pour ses « méchants » cruels et hauts en couleurs. Développant un souffle épique emportant tout sur son passage, King Hu ajoute à sa trame romanesque traditionnelle une dimension presque mystique à travers le personnage du moine (Roy Chiao) qui « complète » littéralement notre héros à l’occasion d’un final tenant presque du trip psychédélique. Les scènes de combat sont nerveuses et littéralement extraordinaires, dénotant d’un sens du cadre et du mouvement proprement hallucinants, touchant presque à l’abstraction pure et simple lors de certains passages, privilégiant le ressenti, la sensation du spectateur, à un découpage plus classique – les amateurs de Tsui Hark découvrant le film aujourd’hui comprendront où le cinéaste a pu aller puiser son inspiration concernant la « déconstruction » de son style visuel.
Chef d’œuvre absolu, dont le tournage se serait, selon la légende, étalé sur trois ans en raison des différences de lumière d’une saison à une autre (!!!), A touch of zen constitue encore aujourd’hui « LA » référence en termes de wu xia pian autant que de fresque cinématographique. Une œuvre indispensable – et le mot est faible !
Le coffret Blu-ray
[5/5]
S’arrangeant depuis quelques années à faire de chacune de ses nouvelles sorties Haute-Définition un véritable évènement, Carlotta Films nous propose donc de (re)découvrir A touch of zen et Dragon inn soit à l’unité, soit au sein d’un coffret contenant, en plus des deux films, un DVD inédit contenant le documentaire King Hu : 1932-1997 de Hubert Niogret. D’une durée d’environ 50 minutes, ce très riche documentaire revient sur la vie et la carrière du cinéaste à travers de nombreuses interviews.
Côté Blu-ray, l’éditeur reprend les masters déjà utilisés par Masters of Cinema au Royaume-Uni, dont l’encodage avait été confié à la « star » des encodeurs David MacKenzie (si on nous avait dit un jour qu’un technicien obtiendrait une telle notoriété dans le petit monde des cinéphiles, on n’y aurait pas cru – et pourtant !). Les deux films ont été restaurés en 4K par L’immagine Ritrovata (Italie) en 2013, dont l’étalonnage colorimétrique pourtant supervisé par le directeur photo Hui-ying Hua avait soulevé quelques débats auprès d’une petite communauté de « HDphiles » très pointilleux à l’époque, les séquences lumineuses tirant un peu vers le jaune, tandis que les séquences plus sombres affichent des noirs « bouchés », surtout sur les arrière-plans. Mais si l’on excepte ces deux soucis (très) mineurs, la restauration a fait des merveilles : l’image est propre et d’une stabilité exemplaire, le grain d’origine a été préservé avec un soin maniaque, tandis que le piqué et le niveau de détails atteignent des sommets inédits. Niveau son, VF et VO sont proposées en DTS-HD Master Audio 2.0, en mono d’origine, relativement claires et assez punchy sur les séquences de combat, mais peinant un peu à restituer la musique du film de façon 100% convaincante.
Dans la section suppléments, outre le documentaire consacré à King Hu disponible sur un DVD séparé et uniquement disponible dans le coffret, Carlotta Films reprend les bonus déjà présents sur les Blu-ray britanniques (bandes-annonces, analyses des deux films par David Cairns). L’éditeur ajoute cependant sur chaque galette une présentation par Pierre Rissient, qui a fait beaucoup pour le rayonnement de King Hu en Occident en amenant notamment A touch of zen à Cannes en 1975. C’est littéralement passionnant, et on aurait envie de prolonger le plaisir au-delà des 6, 7 minutes réglementaires. Voici donc un nouveau coffret répondant à une équation simple : « Films extraordinaires » + « Soin éditorial indéniable » = « Achat indispensable ».