Berlinale 2016 : Tempestad

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Tempestad

Mexique, 2016
Titre original : Tempestad
Réalisateur : Tatiana Huezo
Scénario : Tatiana Huezo
Distribution : –
Durée : 1h45
Genre : Documentaire
Date de sortie : –

Note : 3/5

En route pour l’aventure avec ce documentaire, présenté au 66ème Festival de Berlin (Découvrez un guide des films tournés à Berlin) dans le cadre du Forum, que nous avons découvert par hasard, grâce à un changement à la dernière minute de notre emploi du temps personnel. Tempestad est un film qui demande beaucoup au spectateur, à commencer par l’abandon de certaines règles immuables du cinéma comme une relation au moins approximative entre le son et l’image. En échange, la réalisatrice Tatiana Huezo plonge avec une hardiesse formelle tout simplement impressionnante dans un pays en état de guerre. L’échec du Mexique se reflète en effet dans la tragédie des femmes enlevées, qui deviennent soit le bouc émissaire d’un système corrompu jusqu’à l’os, soit les fantômes qui hantent leurs familles anéanties par l’incertitude. La beauté visuelle de ce documentaire exceptionnel tire donc sa noblesse du désespoir du récit déchirant en deux volets, en apparence sans rapport bien qu’ils soient les symptômes du même mal qui ronge la société mexicaine.

Synopsis : Soupçonnés de participer au trafic humain, une femme et ses collègues ont été arrêtés par la police. Alors qu’aucune preuve ne l’inculpe réellement, elle est incarcérée dans une prison autogérée par un cartel. Pour qu’elle ait la vie sauve semaine après semaine, sa famille devra payer pendant des mois une rançon. La fille d’une autre femme, qui travaille comme clown dans un cirque, a été enlevée sans laisser de trace. Malgré les efforts de l’unité spéciale de la police, le crime ne peut être élucidé et la mère devra faire le deuil de sa fille.

Fenêtre sur le monde

Des bâtiments abandonnés aux fenêtres éventrées dans un paysage sombre et menaçant : la réalisatrice Tatiana Huezo ne rend guère aisé notre premier contact avec le paysage mexicain que sa caméra parcourra ensuite pendant une centaine de minutes. Dès les premiers plans de Tempestad, son talent pictural indéniable se manifeste pourtant. Grâce à son regard saisissant, des motifs aussi banals que les passagers d’un car et la nature qu’ils peuvent voir à travers la vitre se coordonnent dans un flux plastique qui invite au voyage. Malgré son caractère a priori très arbitraire, la mise en scène possède ce don rare et précieux de transformer des prises ordinaires en des poèmes cinématographiques, plus expressifs et vigoureux les uns que les autres. A notre grand soulagement, elle garde cette même tenue esthétique épurée, lorsqu’il s’agit d’alterner entre l’illustration des souvenirs de l’ancienne prisonnière et l’histoire parallèle sur une victime dont seuls les proches survivants peuvent encore évoquer le sort sinistre.

Un bateau au milieu d’un champ

A notre humble avis, le dispositif de la voix off est rarement employé à bon escient au cinéma. Ici, son usage relève de l’expérience formelle accrue, tout à fait passionnante, quoique peut-être pas entièrement concluante. Tandis que la rescapée nous conte son périple, de l’arrestation à la libération, toutes les deux hautement improbables, aucune des images qui se succèdent à l’écran pendant ce temps n’a un rapport direct avec ce qu’elle dit. Plutôt que de nous faire décrocher du fil narratif, cette dissociation radicale ouvre de nombreuses voies de réflexion supplémentaires. Entre autres, elle entretient le mystère autour de ce que l’on voit et entend, comme si la réalisatrice cherchait à abolir nos modes de perception habituels pour mieux éveiller nos sens. La très grande liberté qu’elle prend reste aussi de mise, lorsqu’elle filme la mère artiste. Cette dernière est plus présente en termes visuels, mais elle n’a droit à l’image et au son synchronisés que lors d’une parenthèse atypique d’hilarité généralisée entre femmes du milieu du cirque. L’impact n’en est alors que plus important, alors que le reste du documentaire procède à une approche plus abstraite et par conséquent plus stimulante.

Conclusion

La situation actuelle au Mexique est tout sauf rassurante. Prise au piège entre le crime organisé et les forces de l’ordre qui ne pensent qu’à se graisser la patte, la population civile est une cible facile pour toutes sortes d’abus. Ce documentaire vaguement engagé tient compte de cet état de fait préoccupant à travers un parti pris narratif, qui aurait certainement été déconcertant entre les mains d’une réalisatrice moins sûre de ses choix esthétiques que Tatiana Huezo !

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