Critique : La Maison au toit rouge

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La Maison au toit rouge

Japon, 2014
Titre original : Chiisai ouchi
Réalisateur : Yoji Yamada
Scénario : Yoji Yamada et Emiko Hiramatsu , d’après le roman de Kyoko Nakajima
Acteurs : Takako Matsu, Haru Kuroki, Satoshi Tsumabuki
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 2h16
Genre : Drame
Date de sortie : 1er avril 2015

Note : 3,5/5

D’un point de vue européen, les maîtres du cinéma japonais s’appellent Akira Kurosawa, Yasujiro Ozu, Kenji Mizoguchi, Hayao Miyazaki, ainsi que – pourquoi pas – Takeshi Kitano et Nagisa Oshima. Trouver sur de telles listes officielles, établies à travers le prisme d’un regard étranger guère rompu aux particularités de la culture nippone, le nom de Yoji Yamada constituerait une (bonne) surprise. Pourtant, ce réalisateur désormais octogénaire peut s’enorgueillir d’une filmographie extrêmement prolifique et tout aussi exceptionnelle en termes de qualité, à en juger par le nombre très restreint de ses films qui a trouvé son chemin jusque sur les écrans de cinéma français. Car après notre premier coup de cœur en sa faveur, il y a presque dix ans, pour La Servante et le samouraï, voici une autre œuvre d’une finesse incroyable, qui prend un mélodrame romantique comme prétexte pour une très belle réflexion sur les notions de subjectivité et d’objectivité au fil d’une vie.

Synopsis : Après avoir assisté à l’enterrement de sa grande-tante Taki, l’étudiant Takeshi débarrasse l’appartement de cette vieille dame sans enfants. Il y trouve une boîte contenant le manuscrit de l’autobiographie que Taki avait commencé à écrire suite aux incitations de son petit-neveu. Arrivée à Tokyo au milieu des années 1930, elle avait travaillé comme bonne chez le fabricant de jouets Masaki et sa femme Tokiko. Malgré la guerre qui rythmait l’actualité japonaise à cette époque-là, Taki a gardé de très bon souvenirs de son temps passé avec cette famille dans leur maison au toit rouge. Le bonheur petit-bourgeois n’était hélas que de courte durée, puisque l’arrivée de Ikatura, le nouveau collègue de Masaki, allait faire chavirer les cœurs et chambouler les conventions.

Souvenirs, souvenirs

La Maison au toit rouge n’a nullement vocation d’être un film moderne. Son sujet et son style se distinguent au contraire par leur universalité et leur classicisme respectifs. En même temps, ce film doucement sublime se dérobe également au registre de l’œuvre de vieillesse, qui aurait tendance à être trop sage et mélancolique pour respirer encore pleinement la vie. Les trois niveaux temporels de la narration lui permettent plutôt de procéder à une mise en abîme des sentiments, par voie d’interrogation de la mémoire collective et individuelle. Le récit cadre autour de la jeune génération, à travers lequel le spectateur est plongé dans une double lecture du passé, crée un lien précieux entre l’évocation des années de guerre et un présent, qui relève surtout du travail de deuil. Si Takeshi relit avec autant d’attention et de plaisir les écrits de sa grande-tante, c’est aussi parce qu’il est pleinement conscient de son rôle d’instigateur de cette quête historique. Il appartient alors à la mise en scène subtile de Yoji Yamada de ne jamais forcer le trait pour souligner à quel point ce retour en arrière abolit les certitudes, au lieu de renforcer la sensation rassurante que provoquerait le recours trop facile à une nostalgie douceâtre.

La Vie est un long fleuve tranquille

Au sens strict et caricatural du terme, il n’existe aucun personnage fort dans ce film. Le choix de la domestique comme point central de l’intrigue prédestinait en quelque sorte cette dernière à être à peine plus qu’un conte sur la soumission et l’effacement sociaux. En dépit des différents prix obtenus par Haru Kuroki dans le rôle de Taki jeune, dont l’Ours d’argent de la Meilleure interprétation féminine au festival de Berlin l’année dernière, la structure dramatique du film s’agence principalement comme une prestation d’ensemble. Le thème majeur qui réunit tous les personnages, d’ailleurs moins médiocres que profondément ordinaires, est à nos yeux le rapport intime qu’ils entretiennent avec leur statut social et les modifications plus ou moins violentes et volontaires qu’il subit. Le contexte historique belliqueux finira par avoir raison du but presque honteusement modeste de Taki de demeurer toute sa vie auprès de sa famille modèle. Sauf que l’inconsistance même de cet idéal se manifeste sensiblement plus tôt, dès que l’intrusion de Ikatura en dénonce les fondations hypocrites. La touche magistrale de l’un des réalisateurs japonais les plus criminellement méconnus intervient alors par le biais de la pureté du ton et du propos, qui prive la tragédie épique de son emphase héréditaire, tout en lui restituant une humanité sans fard des plus touchantes !

Conclusion

Vue l’irrégularité consternante avec laquelle les films de Yoji Yamada sont distribués en France, il y a hélas de fortes chances que cette perle cinématographique soit la dernière qu’on y verra du maître des tourments intériorisés. Raison de plus de se montrer réceptif envers cette histoire typiquement japonaise, qui réussit discrètement, mais fermement, à cerner les différents dilemmes existentiels de ses personnages. Ces difficultés sont certes restées les mêmes au fil du temps et des pays, mais nous sommes ravis de les retrouver conjuguées si souverainement dans un film aussi beau que La Maison au toit rouge !

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