Critique : Silence

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Silence

Etats-Unis, Italie, Mexique, Japon, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Martin Scorsese
Scénario : Martin Scorsese, Jay Cocks
Acteurs : Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Nesson
Distribution : Metropolitan Film Export
Durée : 2h41
Genre : Drame
Date de sortie : 8 février 2016

5/5

Il y a 30 ans sortait La Dernière Tentation du Christ. Martin Scorsese y présentait un Jésus tiraillé entre ses deux natures, parfois proche de la folie, toujours dans le doute. Un film que non seulement le réalisateur avait mis des années à monter mais qui, surtout, avait déclenché de vives protestations chez certaines communautés chrétiennes. Au delà des polémiques ayant donc entouré la sortie du film, force est d’avouer que le film a fait figure d’une petite déception. Au delà  d’une magnifique bande-son de Peter Gabriel et d’un Willem Dafoe habité par le rôle, et des scènes marquantes, la fougue de la caméra scorsesienne ne paraissait pas toujours convenir au sujet. Qu’importe, Scorsese n’a jamais eu besoin de mettre en scène le Christ pour exprimer ses obsessions bibliques : toute la filmographie du mettre en est imbibée. Rappelons qu’avant de s’affirmer derrière la caméra, il a tendance à dire qu’il ne voyait son avenir qu’en tant que prêtre ou gangster … Et cette fois encore, il aborde directement sa religion en portant à l’écran un livre qu’il projetait d’adapter depuis des années.

Synopsis officiel : XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.

Vivre dans la peur


Cette semaine est donc sorti le 24eme film de Marty : Silence, adaptation du roman éponyme de Shūsaku Endō. Trois ans après Le Loup de Wall Street, un an après le pilote (de deux heures tout de même) de la série Vinyl, Scorsese s’éloigne de l’Amérique et surtout du New-York dont il a tant narré les déboires, les grandes figures et les origines pendant pratiquement toute sa carrière pour nous raconter l’histoire de deux jésuites cherchant leur maître dans le Japon du XVIIe siècle. Une fresque de près de trois heures, aux antipodes de son long-métrage précédent, avec laquelle Scorsese montre qu’il n’a plus rien à prouver : il est le pape des cinéphiles tout comme celui des cinéastes contemporains.

Dans un Japon où le christianisme est fortement réprimé – doux euphémisme, c’est un véritable chemin de croix que va traverser le père Sebastiao (Andrew Garfield), confronté non seulement à la douleur qu’est la sienne (le Doute), mais aussi à celle des autres, japonais chrétiens refusant d’apostasier. Et si la cruauté de ces japonais est soulignée tout au long du film, il serait idiot de parler de la part de Scorsese d’une apologie d’un colonialisme chrétien. Pour le citer : « La cruauté des Japonais dans le film est d’ailleurs une réponse à l’arrogance tout aussi violente des Occidentaux, qui voulaient leur imposer leur vérité et nier ainsi tout ce qu’ils étaient, dans leur âme et leur culture » (dans Le Figaro). Si Scorsese s’intéresse aux victimes, c’est par compassion (voire par humanisme ?) et surtout car on l’imagine bien s’identifier à un personnage doutant de sa foi.

Entre le ciel et l’enfer

Rien de mieux que les premiers plans du film pour en comprendre la substance. Dans un océan de brume, des kiristian (« chrétiens », phonétiquement transposé en japonais) sont lentement torturés par d’autres nippons, au moyen de sources d’eau chaude. Comme si la nature même de l’archipel était contre cette foi minoritaire, une hypothèse filée tout au long du long-métrage : que ce soit l’eau, le feu ou même l’attraction terrestre, tous les éléments semblent s’opposer à cette croyance venue d’ailleurs. Au loin, un visage sur lequel on distingue une barbe broussailleuse semble impuissant face à ces tourments : le prêtre Ferreira (Liam Nesson) semble destiné aux mêmes sévices. Pourtant, l’on va brièvement quitter les décors somptueux de ce Japon  de l’ère d’Edo pour retrouver deux visages plus jeunes : au Portugal, les pères Rodrigues (Andrew Garfield) et Garupe (Adam Driver), sans nouvelles de leur maître depuis des années, décident de partir à sa recherche.

C’est sur ce postulat simple que démarre le film : deux élèves à la recherche de leur père spirituel, qui devront affronter un environnement hostile pour suivre ses traces. Un chemin fait de doute, de douleurs et d’épreuves qu’arpentent nos deux protagonistes : l’occasion pour Scorsese de réfléchir sur la Foi, mais aussi sur l’être humain. Toutes les personnes rencontrées sont humaines, trop humaines – et en premier lieu les jésuites eux-mêmes. Certains personnages secondaires, même ceux qu’on ne fait que croiser, sont parfois aussi passionnants que les « héros » eux-mêmes – et leur mort n’en est que plus déchirante.

Merry Christmas, Mr. Scorsese

Il nous faut saluer le talent des trois acteurs principaux. Liam Nesson a beau s’être perdu dans des « Bessoneries » depuis des années, il nous rappelle le grand acteur qu’il fut – et demeure. Adam Driver lui aussi est impeccable, mais c’est sur Andrew Garfield que j’aimerais m’attarder. Je dois avouer que le souvenir de Amazing Spider-Man m’avait un peu fait peur en le voyant à l’affiche de Silence. Cependant, il livre ici une prestation remarquable en tout point. Capable de nous faire ressentir le doute de son personnage, traversant une immense palette d’émotions, il est tout simplement parfait dans le rôle et désormais le souvenir de l’homme araignée semble bien loin.

Mais bien sûr, tout cela ne serait rien sans le talent de « Marty ». Dans Le Loup de Wall Street, il poussait à son paroxysme son style maintes fois imité (mais jamais égalé ?), nous emportant dans un tourbillon d’images et de sons. Ici pourtant Scorsese fait le choix de se poser. La mise en scène apparaît souvent très sobre, et se défoule à des moments clés : ralentis, plans séquences et explosions de violence ne font irruption qu’au bon moment. Une réalisation tout en sobriété donc, mais toujours aussi chiadée – mais ça, ce n’est pas une surprise. A souligner aussi, l’usage fait du son (et son absence), qui nous plonge dans les réflexion de ces jésuites. On murmure, on entend le bruit de la nature et le cri des suppliciés. Mais surtout, comme il le fait dans tout ses films, le Silence finit par se faire – ici totalement – lors d’une scène clé, une des plus belles du film. Il n’y a d’ailleurs pas  de musique pendant tout le long-métrage (ou alors une très lointaine, faite de bruits plus que de notes), ce qui est là aussi surprenant pour celui qui nous avait habitué à être presque autant mélomane que cinéphile. Et le tout est sublimé par la photo de Rodrigo Prieto, tourné en 35mm à Taïwan et en lumière naturelle, derrière pierre à ce magnifique édifice, dont je manque de superlatif pour en parler plus longtemps …

Conclusion

 Il ne serait pas usurpé de qualifier Silence de chef-d’oeuvre. Le film fait  directement office d’une pièce maîtresse à l’intérieur d’une filmographie bien fournie ; si Les Affranchis était le pinacle du film de gangster, Silence est celui du film sur la foi (un thème certes beaucoup moins sur-exploité !). Dire que Scorsese est au sommet de son art serait exagéré : il l’était déjà avant ma naissance (depuis quand au fait ? Casino Raging Bull ? Ou encore avant ?).  Il n’en est ainsi que plus plaisant d’être encore surpris par un réalisateur de 75 ans : Martin Scorsese arrive encore à se renouveler, et ici ne ralentit que pour mieux contempler. 

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