Critique : A Ciambra

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A Ciambra

Italie, États-Unis, France, Suède : 2017
Titre original : A Ciambra
Réalisation : Jonas Carpignano
Scénario : Jonas Carpignano
Acteurs : Pio Amato, Koudous Seihon, Iolanda Amato
Distribution : Haut et Court
Durée : 1h58
Genre : Drame d’adolescents
Date de sortie : 20 septembre 2017

Note : 3/5

Une cible facile de toutes sortes de préjugés, dès que l’occasion se présente par le détour d’un fait divers, la communauté des gens du voyage a longtemps dû compter sur les seuls efforts valeureux du réalisateur Tony Gatlif pour laisser une trace cinématographique tant soit peu valorisante. Le champ de réflexion et de représentation filmique de ce microcosme poussé de gré ou de force en marge de la société est pourtant en train de s’élargir et de se diversifier, comme le montrent deux films passés cette année par la case cannoise : Ava de Léa Mysius et A Ciambra de Jonas Carpignano. Dans ce dernier, l’éternel rite de passage de l’enfance à l’âge adulte a pour arrière-plan une bourgade peuplée de quelques familles de gitans, condamnées à une existence faite du mélange explosif entre une oisiveté précaire et la petite délinquance, commençant par le branchement illégal sur le réseau électrique et aboutissant à des vols de voitures à grande échelle. Très loin de toute complaisance folklorique – un reproche que l’on peut faire parfois au maître français en la matière évoqué plus haut –, ce film plutôt poignant est le témoin impassible d’un destin tout tracé, jusqu’à ce que des choix scénaristiques en décident autrement.

Synopsis : Pio est le plus jeune fils d’une famille nombreuse de gitans, basée dans la petite ville de Ciambra. A peine plus âgé que ses nièces et neveux, il cherche pourtant à s’affranchir de son statut d’enfant pour participer aux combines de son frère Cosimo et de son père. Quand ceux-ci sont arrêtés par la police à la suite d’un cambriolage, Pio devient volontairement le principal responsable pour subvenir aux besoins des siens. Il commet des vols de bagages dans les trains et se lie d’amitié avec Ayiva, un immigré africain, qui l’aide à écouler la marchandise volée.

Était-ce mieux avant ?

A Ciambra a beau être largement un film sans concession, il est empreint d’une mélancolie notable, même lorsque l’intrigue montre une tendance préoccupante d’égarement. Pour cela, il a suffi d’une seule séquence pré-générique au réalisateur, qui montre un homme prendre soin de son cheval au crépuscule, avant de consommer chichement son petit-déjeuner au bord du campement. Comme nous l’apprenons sans tarder, ce premier point d’identification quasiment idyllique est le grand-père du protagoniste, désormais un vieillard gâteux plus bon à rien, qui semble avoir perdu toute forme d’autorité dans un cercle familial en panne sèche de repères. Le contrat des générations, sur lequel se basent avant tout ces familles n’ayant que cela pour définir leur solidarité affective et sociale, n’y tient plus du tout. En tant que preuve assez probante, citons le comportement des plus jeunes, qui fument déjà abondamment tout en insultant à longueur de journée leurs aînés avec un vocabulaire particulièrement vulgaire. Or, le but de Jonas Carpignano ne paraît guère être de choquer gratuitement un public bien-pensant avec de telles observations sur un univers à première vue malsain. Et encore moins de s’adonner à une apologie sans réserve du crime, aussi anémique et cruellement hiérarchisé soit-il. Non, il procède par petites touches à dégager ce qui fait l’humanité de ces gens, qui savent prendre soin l’un de l’autre, tout en se pliant avec une certaine résignation à un code d’honneur et de vie quelque peu archaïque. Sans surprise, c’est la mère qui se trouve au cœur de cette agitation incessante : une femme impuissante face au rôle privilégié que les hommes jouent dans ce contexte particulier, soit, et pas vraiment traitée avec une prévenance inouïe en termes dramatiques non plus. Néanmoins, elle est la seule chez qui l’on peut ressentir une forme de chaleur affective traditionnelle, née au moins en partie d’une souffrance sourde qu’elle pourrait bien avoir intériorisée depuis qu’elle a dû accepter la marginalité consanguine de sa tribu.

Un pas en avant, deux pas en arrière

Le poids principal d’avancement dramatique du récit repose par contre du côté de Pio, un gamin qui rêve d’être un caïd comme son frère. Rien de mal à cela, en tout cas pas pendant un certain temps, la caméra suivant sur un rythme nerveux ses nombreuses virées nocturnes pour se faire un peu de thunes. Contrairement aux autres membres de sa fratrie, qui sont d’ores et déjà pris au piège d’une passivité soumise aux ordres des chefs du grand banditisme, il fait encore preuve d’une ingéniosité troublante, improvisant sans cesse, quitte à enfreindre les règles de l’exclusion de tout élément étranger à la communauté. De cette ouverture vers le monde résulte même une forme toute relative d’optimisme, grâce à cet adolescent qui voudrait devenir un homme avant l’heure, au point d’aller chercher des alliés, voire des figures exemplaires, ailleurs que dans les routes poussiéreuses et ouvertes aux quatre vents de la police et des règlements de comptes divers qu’il appelle par défaut son chez soi. De ce point de vue-là, sa relation de substitution avec l’immigré clandestin du Burkina Faso – un rescapé plus que symbolique du film précédent du réalisateur Mediterranea, puisque c’est le protagoniste de ce dernier qui remplit ici un rôle secondaire – aurait raisonnablement pu déboucher sur un métissage des cultures des plus passionnants. Il n’en est hélas rien, à cause d’un revirement assez incompréhensible, après les étapes que Pio a prudemment franchies pour s’imposer comme chef de famille par intérim. L’erreur d’appréciation est certainement humaine. Le défi que le petit parvenu lance sans précaution aucune au cerveau de la mafia gitane locale constitue toutefois un faux pas à la fois pour lui et pour le récit, qui nous paraissait jusque là plutôt sûr de la direction à prendre. Dès lors, il n’y a malheureusement plus grand-chose à tirer de A Ciambra, si ce n’est la confirmation pesante de la volonté de Pio de rejoindre le cercle des grands, ainsi que quelques motifs relevant d’un symbolisme peu ingénieux, notamment à travers la deuxième apparition du cheval, clairement moins poétique et réussie que la première au début de ce film donc presque bancal.

Conclusion

La communauté des gens du voyage traîne derrière elle un bagage si lourd de préjugés que toute occasion est bonne pour œuvrer à une plus grande ouverture d’esprit à son égard ! Cette tâche ardue et difficilement enviable, A Ciambra s’en acquitte avec les honneurs, très peu partial dans sa description d’un microcosme qui ne répond point aux mêmes impératifs sociaux que le nôtre, quoique avec une fâcheuse tendance finale à chercher un sursaut tragique à ce mode de vie sous le signe des besognes criminelles effectuées au jour le jour.

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