Test Blu-ray : Le monocle rit jaune

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Le monocle rit jaune

France, Italie : 1964
Titre original : –
Réalisation : Georges Lautner
Scénario : Albert Kantof, Jacques Robert, Georges Lautner
Acteurs : Paul Meurisse, Marcel Dalio, Robert Dalban
Editeur : Coin de mire Cinéma
Durée : 1h42
Genre : Comédie, Espionnage
Date de sortie cinéma : 16 septembre 1964
Date de sortie DVD/BR : 6 mars 2020

Le monde entier subit une vague de meurtres de savants atomistes et d’attentats contre des installations nucléaires. Lorsqu’un commando est surpris en plein acte, on charge le commandant Dromard, dit « Le Monocle » de mener l’enquête qui le conduit à Hong-Kong…

Le film

[4/5]

Troisième épisode de la saga du Monocle, adaptation « pour de rire » des très sérieux romans du Colonel Rémy, Le monocle rit jaune joue ouvertement la carte de l’exotisme, puisqu’il se déroule en quasi-totalité à Hong Kong. Il n’est pas le seul film d’espionnage de l’époque à se dérouler en Asie d’ailleurs : dans les années 50/60, à la faveur de quelques productions franco-italiennes, on se laissait volontiers aller à flirter avec le « bis » ou le cinéma de genre à tendance populaire. Ainsi, sous l’influence couplée des premiers James Bond et des « fumetti » (bandes dessinées populaires italiennes) qui inondaient le marché du divertissement à l’époque, on a vu fleurir sur grand écran des aventures de Coplan, OSS 117 ou autres espions ou aventuriers au sourire « Ultra Brite »… Bref, on sauvait le monde, en quête de trésors enfouis ou d’armes secrètes dans des films qui proposaient péripéties à gogo, ambiance pop, méchants de pacotille et décors baroques. La dimension doucement rigolarde de ces bandes d’exploitation n’est d’ailleurs pas à écarter. A l’image du commissaire San-Antonio imaginé par Frédéric Dard, qui ne tarderait d’ailleurs pas à vivre lui aussi ses rocambolesques aventures sur grand écran, le genre n’était pas dénué d’un certain humour. Les titres notamment annonçaient la couleur, en développant volontiers un impact catchy et second degré. Ici, bien sûr, si Le monocle rit jaune, c’est bien parce que ses aventures se déroulent en Asie. Ils auraient pu appeler ça Le monocle rit cantonais sinon.

Parce que bien entendu, comme tous les films d’espionnage en vogue à l’époque, le film de Georges Lautner est extrêmement chauvin et franchouillard. C’est une des caractéristiques outrancières du genre dont se moquera gentiment Michel Hazanavicius dans ses deux épisodes « modernes » des aventures d’OSS 117. Ainsi, ni « Le monocle » (Paul Meurisse) ni son partenaire le sergent Poussin (Robert Dalban) ne prendront de gants afin d’affirmer avec condescendance la supériorité de la France dans tous les domaines. Dans le monde du renseignement et de l’espionnage, les anglais et les américains sont des nuls – malgré leur présence sur place, ils ne comprennent rien ni aux femmes, ni aux chinois. « Il est toujours bon, jeune homme, d’être en guerre avec les anglais » affirmera le Monocle à la jeune recrue qui l’accompagne. Mais la condescendance est également dans l’assiette. On n’arrive pas à manger avec des baguettes, on se plaint de ne voir ni vin rouge ni « bifteck / frites » à la carte des restaurants, et on pleure à chaudes larmes à la disparition d’un plat de coq au vin. A l’inverse, tous les clichés sur l’Asie sont de la partie : quand Paul Meurisse entend parler d’opium (ou d’« opioum » comme il dit), il soupire, soulagé : « Enfin ! ça va sentir la Chine… ». Une Chine héritée de Tintin et du Lotus Bleu, une Chine étrange et pénétrante. « Sentez-vous le parfum des alizés qui vous apportent les douces senteurs de l’Empire du Milieu ? Entendez-vous le tintinnabulement des porcelaines Ming dans des palais verdoyants où des mandarins laissent s’écouler le temps paisible en compagnie de concubines lascives ? » demande le Monocle à Poussin en arrivant au port. Quelques minutes plus tard à peine, alors que le spectateur n’a pas encore quitté la première bobine, et alors que les deux compères viennent d’assister à un meurtre, c’est Dalban qui déclarera « Allez savoir qui a tiré, ils se ressemblent tous… ». Vous l’aurez compris : on joue ici sciemment sur le cliché de l’espion français 100% patriote à la Superdupont !

Si d’aucuns n’hésiteraient pas à parler de racisme ou de racisme « ordinaire » (voilà un film qui, assurément, ne plairait pas à Frédéric Chau), on soulignera juste que l’époque était très différente, de même que les mœurs et les conventions sociales. S’en offusquer des années plus tard ne rime à rien, de Guitry à Céline en passant par Hergé ou de très nombreux grands succès du cinéma occidental, beaucoup d’œuvres issues de la culture populaire d’hier seraient aujourd’hui taxées de racisme, de sexisme, de propagation des stéréotypes, d’appropriation culturelle, d’antisémitisme, d’homophobie, de misogynie, d’apologie du tabac ou de l’alcool, etc, etc.

Le monocle rit jaune appartient donc à un genre dont il détourne gentiment les codes : il s’agit clairement d’une comédie utilisant l’espionnage comme toile de fond. C’est d’ailleurs à la fois la qualité et le défaut du film qui, si drôle soit-il, peine un peu à maintenir la tension nécessaire afin que le spectateur s’attache réellement aux personnages qui s’agitent en tous sens à l’écran. Ainsi, et malgré l’exotisme du décor de Hong-Kong parfaitement et très joliment exploité par Lautner, la première moitié du film tend malheureusement à traîner un peu en longueur. A mi-métrage cependant, et à l’occasion d’une inattendue chorégraphie orchestrée par une bande de truands chinois (qui rappelle le West Side Story de Robert Wise, sorti en France en 1962), sans qu’on sache très bien pourquoi, le tout s’emballe, le film s’accélère, renouant avec la réussite et la folie des deux opus précédents.

La mise en scène de Georges Lautner est, comme toujours, dynamique, instinctive, déstabilisante parfois, ne laissant pas au spectateur le temps de se reposer. Les mouvements de caméra sont nombreux et élégants. Les compositions de plans, remarquables, affichent souvent un côté ouvertement géométrique collant parfaitement avec la rigidité du personnage du « Monocle », qui ne s’agite réellement que lorsqu’il se met à tirer, reproduisant des gestes d’automate comme s’il était monté sur ressorts. L’effet est incongru, le ton délibérément tourné du côté du burlesque. Néanmoins, et à l’exception de la séquence de la « danse » des truands chinois évoquée un peu plus haut, la mise en scène de Lautner conserve un pied dans le réel. De fait, le rythme du film sera durant toute sa première partie essentiellement assuré par la musique jazzy et omniprésente de Michel Magne – ce qui ne fonctionnera qu’à moitié. Par conséquent, les effets comiques seront également essentiellement verbaux, amenés par la parole, et portés par des dialogues soignés qui s’efforcent un peu trop ostensiblement de faire « du Audiard ». Dans l’absolu, on peut affirmer que la confusion fonctionne plutôt… Si l’on considère le nombre de sites Internet et de critiques du film au cœur desquels les dialogues du Monocle rit jaune sont faussement attribués à Michel Audiard. Cependant, on ne pourra s’empêcher de remarquer que les dialogues du film ne « claquent » pas tout à fait comme du Audiard, même si certaines répliques font indéniablement mouche. On pense par exemple au discours funèbre prononcé par Paul Meurisse devant le cercueil bourré d’explosifs…

Bref, si Le monocle rit jaune n’est ni le meilleur film de la trilogie du « Monocle », ni le plus abouti de la carrière de Georges Lautner, il n’en demeure pas moins une excellente comédie. Les bons mots sont nombreux, les acteurs sont excellents, et les idées de mise en scène fusent. Comme à son habitude, Georges Lautner parvient à capter l’air du temps de son époque, et s’avère en parfaite connexion avec son public – on le comprend notamment avec cette apparition-éclair de Lino Ventura, conçue comme un clin d’œil en mode « plaisir » et en parfaite connivence avec le spectateur. Du côté des apparitions trop rapides et peu exploitées, on notera bien sûr la présence à l’écran de Barbara Steele, révélée par Le masque du démon de Mario Bava en 1960, et qui incarne ici une espionne anglaise qui deviendra l’objet de l’affection de ce grand séducteur de Paul Meurisse. Contrarié par le fait que l’actrice, assez grande (1m68), se retrouve avec ses talons légèrement plus haute que lui (1m73), il prétextera ne pas avoir apprécié que la partie italienne de la production l’oblige à partager l’affiche avec une comédienne spécialisée dans le cinéma d’épouvante, genre qu’il méprisait ouvertement. Le réalisateur Georges Lautner déclarerait par la suite avoir été particulièrement choqué par l’attitude méprisante que Paul Meurisse affichait à l’égard de sa partenaire. Pour cette raison, Lautner se jura de ne jamais plus retravailler avec l’acteur. Cette décision mit un terme prématuré à la saga cinématographique du « Monocle », malgré le beau succès rencontré par Le monocle rit jaune dans les salles obscures (1,4 millions d’entrées).

La collection « La séance »

Cela fait un an et demi maintenant que Coin de mire Cinéma propose avec régularité de véritables classiques français oubliés au cœur de sa riche collection « La séance ». En l’espace de ces quelques mois, le soin maniaque apporté par l’éditeur à sa sélection de films du patrimoine français semble avoir porté ses fruits, et Coin de mire est parvenu à se faire une place de tout premier ordre dans le cœur des cinéphiles français. L’éditeur s’impose en effet comme une véritable référence en termes de qualité de transfert et de suppléments, les titres de la collection se suivent et ne se ressemblent pas, prouvant à ceux qui en douteraient encore la richesse infinie du catalogue hexagonal en matière de cinéma populaire. Comme on regrette d’avoir « loupé » les sorties précédentes – une telle initiative est forcément à soutenir, surtout à une époque où le marché de la vidéo « physique » se réduit comme peau de chagrin d’année en année.

Chaque titre de la collection « La séance » édité par Coin de mire s’affiche donc dans une superbe édition Combo Blu-ray + DVD + Livret prenant la forme d’un Mediabook au design soigné et à la finition maniaque. Chaque coffret Digibook prestige est numéroté et limité à 3.000 exemplaires. Un livret inédit comportant de nombreux documents d’archive est cousu au boîtier. Les coffrets comprennent également la reproduction de 10 photos d’exploitation sur papier glacé (format 12x15cm), glissés dans deux étuis cartonnés aux côtés de la reproduction de l’affiche originale (format 21×29 cm). Chaque nouveau titre de la collection « La séance » s’intègre de plus dans la charte graphique de la collection depuis ses débuts à l’automne 2018 : fond noir, composition d’une nouvelle affiche à partir des photos Noir et Blanc, lettres dorées. Le packaging et le soin apporté aux finitions de ces éditions en font de véritables références en termes de qualité. Chaque coffret Digibook prestige estampillé « La séance » est donc un très bel objet de collection que vous serez fier de voir trôner sur vos étagères.

L’autre originalité de cette collection est de proposer au cinéphile une « séance » de cinéma complète, avec les actualités Pathé de l’époque de la sortie, les publicités d’époque (qu’on appelait encore « réclames ») qui seront bien sûr suivies du film, restauré en Haute-Définition, 2K ou 4K selon les cas. Dans le cas du Monocle rit jaune, il s’agit d’une restauration 4K réalisée en 2018 par TF1 Studio avec la participation du CNC.

La quatrième vague de la collection « La séance », qui contient déjà 25 titres au total, est disponible depuis le 6 mars, soit quelques jours à peine avant le confinement. Les titres annoncés sur cette vague auront de quoi mettre l’eau à la bouche des cinéphiles, puisqu’on y trouve Les espions (Henri-Georges Clouzot, 1957), La vérité (Henri-Georges Clouzot, 1960), Des pissenlits par la racine (Georges Lautner, 1964), Le monocle rit jaune (Georges Lautner, 1964), La chasse à l’homme (Edouard Molinaro, 1964) et Les jeunes loups (Marcel Carné, 1968). Pour connaître et commander les joyaux issus de cette magnifique collection, on vous invite à vous rendre au plus vite sur le site de l’éditeur.

Le coffret Digibook prestige

[5/5]

Revoir Le monocle rit jaune dans de telles conditions d’excellence tient de la redécouverte pure et simple : l’image restaurée 4K est vraiment de toute beauté. Le master semble débarrassé de tous les dégâts infligés par le temps (jaunissement, taches ou autres griffes…). L’éditeur français nous propose une copie noir et blanc littéralement de toute beauté, respectueuse du grain d’origine, mais sachant également imposer un beau piqué et des contrastes solides. Les contrastes sont fins et affirmés (une volonté du directeur photo Maurice Fellous). Le résultat s’avère même au-delà de nos espérances. Côté son, le film nous est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 (mono d’origine), et le rendu acoustique est parfaitement satisfaisant, net et sans bavures. Les dialogues sont clairs et bien découpés, et la musique jazzy de Michel Magne est bien mise en avant. Des sous-titres à destination du public sourd ou malentendant sont également disponibles.

Dans la section suppléments, on sera littéralement ravi de pouvoir « reconstituer » chez soi une séance de cinéma de 1964. Le meilleur moyen de faire monter les larmes aux yeux des séniors nostalgiques des séances de ciné de leur enfance. On commencera donc avec les Actualités Pathé de la 38ème semaine de l’année 1964 (9 minutes). Le marché de l’acier dans le monde, les scientifiques qui planchent sur le tunnel sous la Manche, la préparation des athlètes français pour les Jeux Olympiques de Tokyo ou encore l’avènement du train grande vitesse (Paris-Bruxelles en 2h30), qui modifie les habitudes des touristes de passage à Paris. Étonnamment critique vis-à-vis des professionnels du tourisme, ce sujet met également le doigt sur l’explosion des prix dans la restauration, devenus exorbitants, notamment sur les Champs-Élysées (21 francs le menu – soit environ 3 euros). Une vraie curiosité. Plus formidable encore, on pourra se plonger dans les publicités – ou plutôt les « réclames » – de cette année 1964 (6 minutes). On commencera avec Robert Hossein qui fait un appel aux dons pour la lutte contre le cancer (55 ans plus tard, il fait toujours de la publicité, mais pour les appareils auditifs…), on continuera avec les caramels, les glaces, la bière, les cigarettes, la laque (indispensable pour la femme moderne amatrice de chiens !) et les stations Total. Autant de pubs désuètes absolument charmantes qui vous donneront assurément le sourire.

On continuera ensuite avec une présentation du film par Julien Comelli, notre biochimiste / cinéphile suisse préféré, toujours au cœur d’un sujet réalisé par son éternel compagnon Erwan le Gac pour le compte d’Argentic Films. Sa présentation, d’une durée de presque 41 minutes, est plus longue que celles que le duo signe habituellement pour le compte d’Elephant Films. Et pour cause : elle comporte, en plus de l’intervention de Julien Comelli, quelques extraits d’entretiens avec Georges Lautner, enregistrés alors que ce dernier était en vacances en Suisse. Pour le reste, et comme à son habitude, il replace le film d’un point de vue historique et culturel le contexte de tournage du film, avant d’en proposant une analyse, courte mais pertinente. Comme d’habitude avec les sujets de Julien Comelli, le tout est rondement mené, avec humour, un peu de mise en scène et sans le moindre temps mort.

On terminera avec une sélection de bandes-annonces de films disponibles au sein de la collection « La séance ». On notera que la bande-annonce du Monocle rit jaune a la particularité de proposer, en voix off, un acteur célèbre, dont la particularité est de ne pas jouer dans le film. On vous laisse découvrir par vos soins de qui il s’agit !

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