Test Blu-ray : La Strada

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La Strada

Italie : 1954
Titre original : –
Réalisation : Federico Fellini
Scénario : Federico Fellini, Ennio Flaiano
Acteurs : Anthony Quinn, Giulietta Masina, Richard Basehart
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 1h49
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 11 mars 1955
Date de sortie DVD/BR : 6 mai 2025

Gelsomina, une jeune femme naïve et généreuse, a été vendue par sa mère à Zampano, un être frustre et brutal, qui présente un numéro de briseur de chaînes sur les places publiques. Le duo sillonne les routes d’Italie, menant la rude vie des forains…

Le film

[4,5/5]

La Strada de Federico Fellini évoque tout autant la relation amoureuse peu orthodoxe se créant, au fil du film, entre Zampano et Gelsomina (Anthony Quinn et Giulietta Masina) que l’histoire d’un pays qui se remet des blessures de la guerre et tente de retrouver son identité. En effet, l’une des grandes forces du film réside dans sa capacité à saisir et à décortiquer la réalité italienne d’après-guerre, et il le fait avec d’autant plus de facilité que les contrastes et les paradoxes dans la relation entre Zampano et Gelsomina définissent également la situation de l’Italie à l’époque. En abordant le quotidien des riverains du Tibre, en capturant leur quotidien insolite, Fellini nous montre qu’en dépit de la pauvreté et des tentatives de se débarrasser des derniers vestiges du fascisme, les Italiens étaient encore capables de développer de riches expériences émotionnelles.

De ce fait, La Strada est le film de tous les contrastes, opposant systématiquement le beau et le laid, la tendresse et la brutalité. Dans le même état d’esprit cinéaste nous montre l’Italie nimbée d’une lumière humble (et douloureusement honnête), et l’amour avec lequel il dépeint son pays s’oppose à l’absurdité mesquine des séquences de cirque, dépeintes avec froideur et dureté. Pour autant, cet univers de contrastes extrêmement abrupts constitue la réalité dans laquelle évoluent Zampano et Gelsomina, et le film ne verse jamais dans la caricature : le personnage incarné à l’écran par Anthony Quinn n’est pas « juste » une brute, mais également un homme qui peut se révéler sensible, et d’une grande richesse intérieure. Fellini souligne ainsi qu’en ces temps difficiles, les gens ordinaires comme Zampano, Gelsomina, sa mère (Anna Primula) ou encore le Fou (Richard Basehart) doivent parfois faire des choix difficiles afin de survivre.

C’est également pour cette raison que les personnages de La Strada, souvent en conflit les uns avec les autres, sont souvent amenés à se séparer au cours de leur voyage, mais au final, ils se retrouvent toujours, comme s’ils étaient reliés par un lien invisible. Derrière les masques colorés du cirque, ils cachent tous une solitude déchirante, et ne savent plus aimer correctement. Au début du film, Zampano « achète » Gelsomina pour 10.000 lires. Dans un premier temps, il la traite par conséquent comme un objet ; pour lui, qui est un symbole de masculinité et de force, frapper une femme n’est qu’un réflexe mécanique. Elle, sans défense, va néanmoins se mettre à l’aimer, d’un amour maternel, percevant sa maladresse, son inconfort, son besoin d’une compagne. Et si sa rencontre avec le Fou lui permet un temps d’envisager d’abandonner Zampano, Gelsomina commencera même à se demander si partir est réellement dans son intérêt.

Car dans cette Italie populaire de l’immédiat après-guerre, si pauvre que l’on pourrait croire qu’aucun espoir n’est plus permis, les artistes de cirque tirent une joie réelle de la pratique de leur discipline, qui devient comme une échappatoire à une vie ordinaire et ennuyeuse. Dans son numéro, Zampano fait la démonstration de sa force en se libérant de ses chaînes, ce qui s’impose clairement comme une métaphore de la libération de l’oppression. De son côté, Gelsomina est sauvée par son amour du chant, ainsi que par l’attachement qu’elle ressent vis à vis de son bourreau. De fait, l’univers dépeint par La Strada s’avère au final assez unique, Federico Fellini déroulant son intrigue à la façon d’un rêve, irrationnel, presque dérangeant, à la façon de la relation maître-esclave au centre du film. De ce fait, le voyage que nous propose Fellini pourra être ressenti par le spectateur soit comme fascinant de beauté, soit comme étouffant et sans retour.

Le coffret Blu-ray

[4,5/5]

Sorti en 2002 en DVD sous les couleurs de René Chateau, La Strada restait à ce jour inédit en France en Haute-Définition, et c’est donc avec un immense plaisir que l’on accueille aujourd’hui le Blu-ray du film, qui débarque sous la flamboyante bannière de Rimini Éditions. Côté transfert, le film a bénéficié d’une restauration 4K à partir d’une copie 35mm, alors on vous laisse imaginer le niveau de l’upgrade technique : le fossé qui sépare le master 4K que nous propose aujourd’hui Rimini et l’antique édition DVD René Chateau est aussi spectaculaire que vous pouvez l’imaginer – surtout si vous connaissez un peu les prestations techniques des DVD édités par René Chateau au tournant des années 2000. Et force est de constater que même s’il reste perfectible, le rendu Haute-Définition du film de Federico Fellini est tout simplement admirable. On ne peut s’empêcher d’être impressionné par ce master, qui rend vraiment un vibrant hommage à la photo du film, signée Otello Martelli. L’encodage est très soigné, le rendu HD est souvent bluffant, avec une belle précision générale et une profondeur de champ appréciable. On notera par ailleurs que le grain d’origine a heureusement été préservé. Côté son, le film est proposé dans un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 (mono), en VO comme en VF. Équilibrées et toujours parfaitement intelligibles, les deux versions audio sont extrêmement propres et s’avèrent tout à fait satisfaisantes.

Du côté des suppléments, on notera que cette édition Blu-ray de La Strada, présentée dans un luxueux Digipack trois volets surmonté d’un fourreau, comprend non seulement deux galettes Blu-ray mais également deux livrets, tous deux réalisés par le distributeur Les Acacias pour la ressortie du film dans les salles françaises. On commencera avec le dossier de presse (12 pages), qui comprend un texte de Martin Scorsese, un autre de Federico Fellini lui-même, des extraits d’entretiens avec Giuletta Masina, et un texte de Jean A. Gili évoquant le film et la place de Fellini dans le cinéma italien des années 50. On continuera ensuite avec un dossier pédagogique (20 pages) conçu par Philippe Leclercq, proposant plusieurs pistes d’analyse concernant le film de Fellini, basées sur les thématiques, les acteurs, la musique de Nino Rota et les liens entretenus par La Strada avec le néoréalisme. On y trouvera également une analyse de séquence.

Mais Rimini Éditions ne s’arrête pas là : cette riche édition Blu-ray de La Strada est en effet accompagnée de nombreux bonus vidéo, répartis sur les deux disques qui composent le coffret. On commencera par une conversation autour du film entre Frédéric Mercier et Marcos Uzal (39 minutes). Le critique de Positif et le rédac’ chef des Cahiers du Cinéma reviendront donc sur la place du film dans la carrière de Fellini, sur la rupture avec le néoréalisme, sur la construction narrative du film, marquée par les départs et les retours, sur le mélange de noirceur et d’onirisme ou encore sur les personnages du film, qui portent la narration de l’ensemble. On continuera ensuite avec un entretien avec Giulietta Masina (30 minutes), enregistré pour la radio (France Inter), et donc ne disposant que d’une piste audio. L’actrice s’y exprime en français, et évoque ses souvenirs de La Strada : les difficultés rencontrées par Federico Fellini pour imposer l’actrice à ses producteurs, la transformation physique nécessitée par le rôle, les autres acteurs, l’accueil du film, et les compliments qu’elle reçut de Charlie Chaplin pour son interprétation.

Le deuxième Blu-ray est également riche en suppléments, mais ne constituera pas une surprise pour les fans de Federico Fellini, dans le sens où ils reprennent un documentaire et des bonus déjà sortis en 2005 dans un coffret 8 DVD consacré au réalisateur et édité par Opening. On retrouvera donc avec grand plaisir le documentaire réalisé par Damian Petttigrew Fellini, je suis un grand menteur (1h46, VOSTF), qui a d’ailleurs été restauré pour l’occasion. Le film se base sur les derniers entretiens avec le cinéaste italien, filmés à Rome en 1991 et 1992, accompagnés d’autres interviews avec plusieurs de ses collaborateurs et/ou amis : Roberto Benigni, Luigi Benzi, Italo Calvino, Dante Ferretti, Rinaldo Geleng, Tullio Pinelli, Giuseppe Rotunno, Terence Stamp, Donald Sutherland et Daniel Toscan du Plantier. Les suppléments qui accompagnaient le film dans le coffret de 2005 ont également fait le voyage. On commencera avec le module séquence dessin (13 minutes), qui montre le cinéaste en train de dessiner tout en répondant aux questions qu’on lui pose. On continuera avec un retour sur les lieux importants dans la carrière de Fellini (20 minutes), que cela soit dans ses films ou dans sa vie personnelle, et on terminera avec « Huit entretiens et demi », une compilation d’entretiens réalisés pour le film de Damian Petttigrew, mais non utilisés dans le montage final (47 minutes). Passionnant et très complet !

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