Test DVD : Hell’s ground

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Hell’s ground

Pakistan, Royaume-Uni : 2007
Titre original : Zibahkhana
Réalisation : Omar Khan
Scénario : Omar Khan, Pete Tombs
Acteurs : Kunwar Ali Roshan, Rooshanie Ejaz, Rubya Chaudhry
Éditeur : Badlands
Durée : 1h17
Genre : Horreur, Comédie
Date de sortie DVD : 31 mai 2019

Prétextant un voyage scolaire, cinq jeunes citadins traversent la campagne pakistanaise pour se rendre à un concert de rock. Lors d’une halte, un personnage loufoque les invite à se préparer pour la prière du soir sous peine de voir leur périple virer au cauchemar… Aux alentours, l’eau polluée semble transformer les pauvres paysans en zombies tandis qu’un mystérieux assassin en burqa sévit dans la forêt…

Le film

[4/5]

Si l’on se fie à l’adage selon lequel tout ce qui est rare est précieux, la valeur d’un film tel que Hell’s ground est tout simplement inestimable. Film d’horreur aux accents loufoques, extrêmement gore, mettant en scène des zombies et un golmon cannibale en burqa poursuivant de jeunes cons en forêt en faisant tourner autour de lui son énorme fléau d’armes hérissé de pics, ce joyeux délire horrifique a en effet pour lui une particularité absolument unique : celle d’avoir été tourné au Pakistan. Ah, le Pakistan, plus de 200 millions d’habitants regroupés sur une superficie à peine 25% plus étendue que la France et surtout, deuxième pays islamique du monde. Sorti en 2007, le film a été tourné au cœur d’un pays qui s’apprêtait alors à connaître de grands bouleversements. Mais ce climat d’instabilité sociale et politique est peut-être également en partie à l’origine de la mise en boite de ce projet singulier, qui rencontrerait évidemment des soucis avec la censure de son pays d’origine… Mais remporterait un vif succès ailleurs dans le monde. Co-produit par Pete Tombs, créateur du label britannique « Mondo Macabro », le film était de toute façon destiné à faire le tour des festivals dédiés au fantastique autour du globe. Présenté dans des villes aussi diverses et variées que Toronto, New York, Londres, Neuchatel, Stockholm, Cape Town, Philadelphie, Cambridge, Puerto Rico, Sitges, Valencia, Oslo ou encore Helsinki, Hell’s ground remporterait finalement trois prix : un aux États-Unis, lors du Fantastic Film Festival (Austin) et deux au Brésil, au Riofan Film Festival (Rio de Janeiro) et au Fantaspoa Film Festival (Porto Alegre).

Le poids de Pete Tombs sur la mise en chantier du film d’Omar Khan n’est d’ailleurs probablement pas à négliger : si le cœur du réalisateur de Hell’s ground semble en effet en partie tourné vers les grands classiques de l’horreur américaine (de nombreuses références en attestent), Tombs, en grand amateur de cinéma bis « exotique », l’a probablement encouragé à développer les aspects les plus « locaux » de sa production, qui n’aurait définitivement pu être tournée ailleurs qu’au Pakistan, et qui fait explicitement référence non seulement à la culture et à la musique pakistanaises, mais également à deux films de genre tournés dans le pays : le clin d’œil le plus évident est bien sûr à destination de Dracula au Pakistan, dont certains extraits sont visibles au cœur même de Hell’s ground (on notera d’ailleurs qu’Omar Khan est à l’origine de la restauration du film de 1967), et dont l’acteur principal Rehan fait une apparition dans le film. Mais le film fait également référence de façon appuyée à Maula Jatt (Younis Malik, 1979), puisque l’affiche de ce film – considéré comme culte au Pakistan – est carrément reproduite sur le van des héros.

Rare et précieux, donc. Hell’s ground est donc non seulement le représentant d’un cinéma en provenance du Pakistan (ou « Lollywood » pour Lâhore + Hollywood), déjà quasiment inconnu hors de ses frontières, mais aussi et surtout le fier représentant d’un cinéma d’horreur made in Lollywood, genre dont les films peuvent littéralement se compter sur les doigts d’une main. Tourné en HDV et en 30 jours, le film d’Omar Khan a tiré les leçons du cinéma de Romero, dressant, derrière son intrigue horrifique de façade, un portrait pas forcément très reluisant de la société pakistanaise. Plongeant dès le début du film le spectateur au cœur d’Islamabad, dont les rues grouillantes de monde sont présentées dans un style très proche du documentaire, le film bifurquera ensuite sur la virée d’une poignée de jeunes indolents à travers la cambrousse locale. Ces derniers ne tarderont pas à être confrontés à des phénomènes étranges, zomblards et cannibales traînant dans les parages ; là où Khan se fait d’avantage critique en revanche, c’est dans la justification de ces manifestations paranormales : elles sont liées à la pollution des réserves d’eau du pays, et au fait que les gens se retrouvent à un tel point engoncés dans la misère qu’ils finissent par opter pour le cannibalisme tout simplement pour ne pas crever de faim. Ce bon gros tacle au pouvoir en place ne se souciant pas du petit peuple évoque naturellement la portée socio-politique du cinéma de George A. Romero, à qui Hell’s ground fait également une petite référence avec la scène du « festin de zombies » qui suit leur première apparition dans le film, et qui fait naturellement écho à la longue scène centrale du Retour des morts-vivants.

Mais Romero n’est pas le seul à qui Omar Khan rendra hommage ici : avec sa caméra extrêmement mobile traversant les bois en caméra subjective, sa cabane au beau milieu de la forêt et un de ses personnages prénommé « Ash », le film adresse également un clin d’œil appuyé à Evil dead. Dans le même état d’esprit, le groupe de jeunes gens se déplace en mini-van et finit par se retrouver avec un psychopathe à l’arrière de leur véhicule, on y croisera une maison abandonnée décorée d’os et de bestioles crevées, ainsi qu’une bonne vieille famille de déglingués complètement azimutés du bulbe. Ça ne vous rappelle rien ? Hé oui, bien sûr, un bon point pour ceux qui suivent, Hell’s ground évoquera également forcément Massacre à la tronçonneuse. Ajoutez à cela une série de clins d’yeux discrets à William Lustig (Maniac), David Fincher (Zodiac) et Paul Verhoeven (Showgirls) dans le décor de la chambre du personnage d’O.J, et c’est carrément à quarante ans de cinéma de genre américain qu’Omar Khan rend hommage.

Mais si Hell’s ground s’amuse volontiers de certains clichés du genre horrifique, il ne se laisse au final jamais réellement déborder par l’accumulation de références, et développe un ton et une personnalité véritablement uniques. Si bien sûr il pourra évoquer, par certains aspects, notamment formels (le budget restreint, l’aspect un peu bricolé sur les bords), le néo-zélandais Bad taste (1987) ou l’argentin Plaga zombie zona mutante (2001), Omar Khan s’amuse régulièrement à emmener le spectateur en terrain familier pour mieux le surprendre par la suite, notamment par l’utilisation abrupte et parfois déstabilisante d’éléments purement locaux, tels que la musique par exemple, typique et contrastant clairement avec l’aspect visuel du métrage, ou encore avec ce tueur en burqa, absolument inédit dans son genre, à la fois iconique et effrayant, surtout quand il fait tourner son fléau d’armes au-dessus de sa tête en poussant des hurlements de bête. De la même façon, le cinéaste et coscénariste intègre une très forte dimension traditionnelle, religieuse et spirituelle – presque shamanique – dans la dernière bobine, au moment de dévoiler sa famille de dégénérés. De fait, il dépasse le statut de simple famille de tarés psychopathes (parfois appelée « famille tronçonneuse ») héritée du cinéma de Tobe Hooper pour emmener le spectateur un peu plus loin, sur des terrains un peu moins connus, un peu plus obscurs et plus surprenants, teintés de magie noire, de mort et de résurrection.

Le fait que le film soit à la croisée des chemins entre Orient et Occident se retrouve par ailleurs dans les dialogues du film, tantôt en anglais, tantôt en urdu. Le tiraillement entre les deux cultures – que tout semble opposer – est donc au centre du film, mais pas seulement : Omar Khan élargit le débat en transposant cette dichotomie formelle à sa narration en elle-même. De ses propres influences, il fait le choix d’élargir à ses personnages, de son cas à celui de toute la jeunesse pakistanaise, tellement « perdue » qu’elle semble même ne plus savoir dans quelle langue s’exprimer. Entre le lourd poids des traditions et la tentation de la modernité, Hell’s ground représente à lui-seul une espèce de choc des cultures, doublé d’un spectacle tonique, revigorant d’enthousiasme et de passion pour le genre, formellement barré et extrêmement jouissif. Solide, bien torché, généreux et assez fendard, ce film [RARE ET PRECIEUX qu’on vous dit !] s’avère donc une découverte incontournable. Et puis merde, c’est pas comme si des films d’horreur en provenance du Pakistan tombaient du ciel tous les jours ! Alors voyez-le et revoyez-le. Il s’agit du seul et unique film d’Omar Khan à ce jour.

Le DVD

[5/5]

Et dans le genre rare et précieux, l’éditeur Badlands se pose là également : seulement trois titres sortis en France entre 2013 et 2019, mais quels titres ! Après le moyen-métrage La bouche de Jean-Pierre en 2013, c’était le film russe L’aiguille (1988) qui avait eu les honneurs d’une sortie Blu-ray / DVD. Et courant 2019, on avait vu débarquer sur les linéaires de vos meilleurs revendeurs ce Hell’s ground, preuve s’il en fallait encore une de l’éclectisme des petits gars de chez Badlands.

Mais les choix éditoriaux audacieux de Badlands seraient un peu vains si chaque nouvelle livraison ne nous confirmait pas leur amour du support, leur volonté de partager avec le monde leurs découvertes filmiques, en plus d’apporter leur lot de suppléments passionnants. On soulignera déjà d’entrée de jeu que si Hell’s ground n’est certes proposé « que » dans un classique boîtier plastique, la jaquette en revanche s’avère ornée d’une illustration inédite absolument démente de Guillaume Griffon, auteur des bandes dessinées Billy Wild et Apocalypse sur Carson City, disponibles chez Akileos. Graphiquement folle, iconique en diable, aussi rock que destroy, elle s’impose comme une belle déclaration d’amour au film, et a une telle gueule qu’on en viendrait même à se dire que Badlands devrait la décliner sous forme de poster. Le DVD est par ailleurs pressé dans une édition limitée à 1000 exemplaires.

Côté DVD, on ne pourra que s’incliner : malgré sa relative « fraîcheur » sur le marché de la vidéo, l’éditeur semble connaître le support sur le bout des doigts, et maîtrise l’encodage de façon vraiment remarquable. Qu’il s’agisse de la définition, des couleurs ou de la gestion bruit vidéo, tous les écueils auxquels on pourrait s’attendre sont brillamment et soigneusement évités. Niveau image, c’est donc vraiment un sans faute. Si son format de tournage et son côté « fabriqué avec des bouts de ficelle » ne lui permettra très logiquement pas de passer par la case Blu-ray, Hell’s ground s’offre donc en revanche une édition DVD extrêmement recommandable : le master s’en tire avec les honneurs, le film est proposé au format, en 16/9 bien-sûr, et affiche une belle pêche, dans les limites évidentes d’un encodage au format DVD. Côté son, le film est encodé en Dolby Digital 5.1 et disponible en VO uniquement (avec des sous-titres français non-amovibles). Direct et dynamique, le mixage se révèle très rapidement ample et efficace, faisant le boulot de façon très immersive et par moments assez spectaculaire.

Du côté de la section suppléments, on commencera avec une passionnante présentation de Hell’s ground par Bastian Meiresonne et Logan Boubady (13 minutes). La parole est quasiment monopolisée par Meiresonne, et pour cause : ce spécialiste du cinéma asiatique, accessoirement programmateur pour plusieurs festivals de cinéma (dont le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul), est littéralement intarissable sur le sujet. Il nous apprendra donc que Hell’s ground n’est, contre toute attente, pas le premier film gore de l’histoire du cinéma pakistanais, reviendra sur la carrière d’Omar Khan en la mettant en parallèle avec la baisse de la fréquentation des salles de ciné au Pakistan, dans un climat particulier et très tendu. Il n’élude pas non plus les défauts du film, et en cite certains avec malice. Les propos des deux intervenants sont entrecoupés d’extraits de films, qui pour certains ont vraiment l’air de valoir leur pesant de cacahuètes. On retrouvera avec plaisir Bastian Meiresonne et Logan Boubady dans le documentaire intitulé « Aux racines du cinéma fantastique pakistanais » (37 minutes). Très riche en informations, ce sujet remonte aux origines du cinéma pakistanais pour dresser un panorama de cent ans de productions Lollywood. Les différentes influences sont abordées, de Bollywood à Hollywood, une poignée de films-phares sont survolés, et les extraits sont bien choisis, même si la qualité des transferts est souvent mauvaise – la préservation des trésors cinématographiques du Pakistan semble en effet laisser à désirer…

On ne change pas une équipe qui gagne : on retrouvera une troisième fois Bastian Meiresonne et Logan Boubady qui assureront alternativement la présentation du film Dracula au Pakistan (11 minutes). A nouveau, Meiresonne parlera beaucoup plus que son collègue. Comme dans le cas de Hell’s ground, il aura un peu tendance à dénigrer un peu le film en préambule, commençant son intervention en s’attardant sur ses défauts, pour finalement resituer le contexte de sa production et en souligner les grandes et belles qualités. Car il s’agit en effet là d’un supplément de choix que nous offre Badlands : le film Dracula au Pakistan (Khwaja Sarfraz, 1967), proposé en VOSTF et disposant de nouveaux sous-titres, différents de ceux disponibles sur l’édition de chez Bach Films, et plus respectueux de leur sens d’origine. A la croisée des chemins entre les films gothiques de la Hammer et les expériences italiennes type Le masque du démon (Mario Bava, 1960), le film s’avère un véritable petit joyau de l’étrange, riche d’une superbe photo noir et blanc et dont l’intrigue est naturellement entrecoupée de passages chantés et dansés. Avouez qu’on imagine difficilement Christopher Lee danser un cha-cha-cha avant de planter ses canines dans le cou de ses victimes, mais en l’occurrence, ce Dracula au Pakistan finit par en développer un charme indéfinissable et assez unique.

On terminera le tour des bonus avec les bandes-annonces des trois titres édités par Badlands à ce jour : La bouche de Jean-Pierre, L’aiguille et bien sûr Hell’s ground. Soutenez Badlands en commandant directement votre exemplaire dans la boutique en ligne de leur partenaire Le chat qui fume !

Hell’s Ground (2007) // Bande-annonce (VOSTF) from Badlands on Vimeo.

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