Revu sur MUBI : Paragraphe 175

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© 2000 Telling Pictures / Zero Film GmbH / ASC Distribution Tous droits réservés

Apprendre du passé pour mieux apprécier le présent et appréhender l’avenir. C’est ainsi que l’on pourrait résumer la fonction principale du documentaire historique. Elle consiste à rendre accessibles au spectateur d’aujourd’hui des faits d’hier risquant de tomber dans l’oubli, voire de se reproduire tôt ou tard. Au delà de son travail de mémoire pour une communauté spécifique, Paragraphe 175 met la lumière sur des événements historiques, largement éclipsés par la persécution atroce des juifs par les Allemands nazis. Or, avec leur documentaire disponible en ce moment dans la vidéothèque de la plateforme MUBI, les réalisateurs Rob Epstein et Jeffrey Friedman ne s’engagent nullement dans une vaine compétition de la souffrance. Ils accomplissent une tâche infiniment plus noble : donner enfin la parole à des hommes et des femmes persécutés à cause de leur homosexualité, avant qu’il ne soit trop tard.

Près de dix-neuf ans après la sortie de Paragraphe 175 au cinéma en France en novembre 2001, la première observation à nous frapper avec une intensité accablante en le revoyant, c’est que tous les témoins directs de l’époque nazie ont dû décéder depuis. C’est en quelque sorte la répétition du phénomène des poilus de la Première Guerre mondiale, dont les rangs devenaient chaque année de plus en plus clairsemés lors des commémorations du 11 novembre 1918, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul. Sauf que dans le cas des jeunes gays persécutés dans les années ’30 et ’40, aucun travail de mémoire similaire n’a été entrepris jusque là. Pire encore, la parole de ces victimes de la barbarie nazie a du mal à se libérer, au bout de tant d’années de honte et d’ostracisme social avalées sans broncher.

Rien que le fait d’avoir entrepris cet enregistrement précieux de témoignages distingue donc la démarche des réalisateurs. Comment ne pas regretter, en effet, que ces chroniqueurs américains hors pair de la cause gaie n’aient guère trouvé de dignes successeurs depuis qu’ils se sont essayés sans trop de succès à la fiction avec Howl et Lovelace au début des années 2010 ? En France, ce rôle est plutôt convenablement rempli par Sébastien Lifshitz. Son documentaire Les Invisibles, sorti en novembre 2012, avait en quelque sorte pris le relais tardif de Paragraphe 175, à travers le mouvement infiniment plus optimiste de la libération des mœurs et de la revendication des droits à partir de la fin des années 1960. On referme la parenthèse …

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Car le propos est quand même d’une gravité presque sinistre ici. Ni les petits écarts esthétiques, qui datent le documentaire bel et bien à l’époque des premières expérimentations numériques, ni la narration sobre de Rupert Everett, alors l’ambassadeur par défaut de la communauté gaie internationale, ne peuvent ainsi atténuer l’impact de ces confessions au seuil de la mort, ou presque. Toute cette souffrance subie en silence, elle a encore été démultipliée par l’absence totale de reconnaissance. Celle-ci a par ailleurs mis une éternité avant de se matérialiser en Allemagne, où des dédommagements pour les hommes et les femmes poursuivis sous le coup de ce paragraphe archaïque, plus ou moins en vigueur jusqu’à la réunification, n’ont été votés par le parlement qu’il y a trois ou quatre ans.

Ce fut décidément trop tard pour cette vieille garde d’une orientation sexuelle minoritaire, qui a été forcée de basculer dans le cauchemar après un bref répit de liberté au cours des années folles à Berlin. Que ce documentaire serve donc de rappel utile quant à l’immense fragilité des droits civiques, quels qu’ils soient, et qu’il éveille la conscience hélas largement inexistante chez la jeune génération de la communauté LGBTQ+ qu’il ne faut jamais tolérer un retour de bâton historique de tant de haine homophobe !

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