El cuarto pasajero

Espagne, 2022
Titre original : El cuarto pasajero
Réalisateur : Alex de la Iglesia
Scénario : Jorge Guerricaechevarria et Alex de la Iglesia
Acteurs : Blanca Suárez, Alberto San Juan, Ernesto Alterio et Rubén Cortada
Distributeur : –
Genre : Comédie
Durée : 1h40
Date de sortie : –
3,5/5
Être invité si généreusement en festival représente de nombreux avantages. D’abord, le fait de voir des films un peu avant tout le monde et donc sans les idées qui peuvent s’établir à leur sujet, une fois qu’ils auront eu leur sortie commerciale. Puis, l’exclusivité de découvrir des titres en quête d’un distributeur français et qui n’en trouvent parfois jamais. Nos déplacements en Vendée dans le cadre du Festival de La Roche-sur-Yon s’avèrent régulièrement concluants à cet égard. Ainsi, nous entamons avec El cuarto pasajero toute une séquence douce-amère de couverture de festival avec des œuvres signées par des réalisateurs de renom et qui ne sont pourtant pas du tout certaines de voir un jour la lumière des projecteurs nationaux. Un constat hélas d’autant plus probable que cette comédie jubilatoire de Alex de la Iglesia était sortie en Espagne il y a quasiment trois ans, jour pour jour.
Le réalisateur espagnol, si prisé dans les années ‘90 et 2000 et étrangement boudé par le public français depuis, y orchestre de main de maître une course folle à travers le nord de son pays. Toutefois, vous ne trouverez aucun folklore caricatural dans cette histoire hautement divertissante, mais plutôt une image moderne ou en tout cas dans l’air du temps de l’Espagne. S’y agitent follement, tels des animaux sauvages pris en cage, quatre personnages hauts en couleur pour qui un simple trajet de covoiturage se transforme en périple foncièrement périlleux. Les comédiens de ce quatuor improbable excellent chacun dans leur registre, que ce soit Alberto San Juan en conducteur coincé, Blanca Suárez en objet de tous les désirs, Ernesto Alterio en électron libre ou bien Rubén Cortada en beau gosse aux pieds d’argile.

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Synopsis : Cette fois sera la bonne : Julian un employé quinquagénaire ennuyeusement respectable déclarera enfin son amour à Lorena, une jeune femme qu’il prend régulièrement en covoiturage pour leur trajet hebdomadaire entre Bilbao et Madrid. Sauf que les deux autres passagers s’avèrent ne pas être aussi inoffensifs qu’ils paraissaient sur l’application d’inscription. Il y a Rodrigo, un beau parleur excentrique et fan de Electric Light Orchestra, et surtout Sergio, beau et séduisant sous le charme duquel Lorena ne tarde pas à tomber. Or, cette situation de départ peu confortable sera appelée à se dégrader encore au cours d’un trajet riche en rebondissements.

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Le fromage était délicieux
Un réalisateur de films de genre avisé, Alex de la Iglesia raconte rarement des histoires au cadre plus terre-à-terre. En ce sens, El cuarto pasajero fait presque figure d’exception dans une filmographie fièrement extravagante. Sa prémisse est en fait des plus accessibles, dès les premières minutes et la répétition tout à fait pathétique de la déclaration d’amour de Julian à sa passagère préférée. En même temps, une véritable sympathie s’installe d’emblée pour ce protagoniste frustré qui tente désespérément de bien faire, mais qui s’y prend invariablement très mal. Si Steve Martin était plus jeune et si jamais il y avait un jour un remake américain de ce dispositif riche en débouchées comiques, ce serait un rôle taillé sur mesure pour lui. Ce qui ne veut pas dire qu’Alberto San Juan n’est pas parfaitement à l’aise dans cet emploi de l’éternel perdant, trop précautionneux pour vivre pleinement sa propre vie.
Car au fond, le dix-septième long-métrage de Alex de la Iglesia est le récit ébouriffant d’une libération. Tout d’abord celle du personnage principal, accablé par toutes sortes de complexes et un sens des responsabilités qui lui portera bientôt préjudice. Mais aussi celle du public, prêt à se prendre au jeu de la surenchère à la fois maîtrisée et imprévisible. La narration survoltée ne nous laisse ainsi aucun moment de répit, tout en dosant l’humour au rythme de fausses pistes reprises soudainement et d’un mouvement qui va crescendo, sans pour autant s’égarer du côté du délire pur, simple et bête. Si l’on peut prendre les multiples moments de franche rigolade du public festivalier comme indicateur – tout en sachant que les Yonnais sont très cinéphiles et respectueux, quoique guère marrants –, le pari est gagné haut la main !

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Du Resnais pour les bouchons
Ceci dit, l’aspect qui élève El cuarto pasajero au niveau d’une pépite comique est la facilité avec laquelle Alex de la Iglesia inscrit son histoire dans un contexte contemporain. Cela commence, bien sûr, par le dispositif de base, quatre inconnus ou presque qui font un long trajet de voiture ensemble, à tel point que le titre initialement prévu pour le film faisait référence au leader européen en la matière. Mais dans son maniement habile de nos attentes, maintes fois déjouées pour aboutir sur des retournements hilarants quoique pas non plus excessifs, il épouse étroitement l’état d’esprit de l’absurdité nihiliste qui a tendance à prévaloir ces dernières années, dans le monde du cinéma et également un peu partout ailleurs. Après une première partie de voyage et de film, d’ores et déjà magistralement rocambolesque, le délire monte encore d’un cran lors d’une longue séquence en plein embouteillage.
Plutôt que d’y clarifier platement toutes les pistes contradictoires qui avaient jusque là fait tourner en rond Julian et sa folle équipée, la narration y renchérit dans le délire sous toutes ses formes. En jouant à un cache-cache invraisemblable avec la police entre les voitures mises en arrêt sur les hauteurs de la capitale espagnole, les quatre personnages principaux font simultanément voler en éclats la vitesse sur laquelle s’emballait jusque là leur course commune et les liens fragiles qui avaient pu s’établir tant soit peu entre eux. Désormais, c’est chacun pour soi. Sauf que les chemins s’y croisent et se recroisent. Que la violence y devient plus exacerbée, sans jamais rien résoudre au demeurant. Et que le fin mot de l’histoire, en parfaite harmonie avec la sagesse ironique qui sous-tend le film dans son ensemble, serait qu’il vaut mieux rire de cette farce à l’hystérie jouissive qu’en pleurer.
Un conseil largement suivi par le public de la salle de cinéma bondée.

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Conclusion
Les chemins des politiques de distribution cinématographique sont impénétrables. Certes, le cinéma espagnol fait rarement recette en France. Mais de là à ignorer complètement El cuarto pasajero, une comédie grand public des plus amusantes, nous paraît quand même exagéré. Espérons que l’accueil enthousiaste qui a été réservé au film de Alex de la Iglesia au Festival de La Roche-sur-Yon finira par convaincre en toute logique la branche française de Sony Pictures de lui donner au moins une petite chance en salles. En attendant ce jour incertain, nous ne pouvons que nous réjouir de l’avoir découvert dans les meilleures conditions en festival !
Et pourtant, le cinéma espagnol est en ce moment un grand pourvoyeur de pépites cinématographiques !