Interview de Lucky McKee

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Interview Lucky McKee, The Woman, Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg 2011

C’est dans la salle à manger de son hôtel que nous avons pu rencontrer Lucky McKee, deux jours avant la remise des prix du Festival européen du film fantastique de Strasbourg 2011, où son dernier film, The Woman, a remporté l’Octopus d’or et le prix du public. C’est avec un grand sourire, un tee shirt Star Wars et une allure décontractée que le réalisateur américain nous a accueillis, et a eu la gentillesse de répondre à toutes nos questions…

Interview Lucky McKee, The Woman, Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg 2011

 

Critique-film.fr : Combien de temps a duré le tournage de The Woman et où a-t-il eu lieu ?

Lucky McKee : Le tournage a pris 4 semaines de 6 jours, soit 24 jours au total. Ce qui est plutôt court si l’on considère l’ampleur du projet et certains aspects du film. On a vraiment dû repousser nos limites, mais on le fait quelque soit le temps dont on dispose… Le tournage s’est fait dans la campagne du Massachusetts.

 

Critique-film.fr : Les acteurs du film sont tous très bons et Pollyanna McInstosh et Sean Bridges sont particulièrement brillants. Comment s’est passé votre collaboration avec ces acteurs ?

Lucky McKee : Pollyanna avait déjà défini le rôle dans un film précédent (ndlr : The Offspring). Elle s’était déjà beaucoup préparée pour le rôle. Pour The Woman, elle a regardé les films que je lui avais conseillés, comme L’Enfant sauvage de Truffaut, le premier Rambo… Elle a aussi beaucoup étudié les animaux, leurs déplacements et la façon dont ils suivent leurs proies du regard… Elle est partie quelques jours dans les bois, seule avec un couteau… Elle a également fait beaucoup d’exercice physique… Nous avons aussi beaucoup collaboré sur le tournage et je l’ai encouragé à me faire part de toutes ses remarques, de son avis. Nous avons beaucoup échangé.

 

Critique-film.fr : Un vrai rôle taillé sur mesure en somme ?

Lucky McKee : Exactement. Je m’efforce de suivre cette procédure avec tous les acteurs et toute l’équipe technique. Mon travail n’est pas d’avoir des idées, mon travail est celui de choisir les meilleures idées. Je suis un filtre à bonnes idées. En revanche, une fois que la caméra tourne, on se tient à ce que je dis, même si on peut improviser de temps à autres.
En ce qui concerne Sean, son rôle est très différent de celui qu’il tient dans Deadwood par exemple. Le résultat est impressionnant. Sean et moi avons surtout travaillé pour développer le côté flegmatique du personnage. Je ne voulais pas d’un méchant qui se caresse la moustache, ni un personnage ouvertement diabolique. Je le voulais charmeur, manipulateur, presque maladroit. Je lui ai dit de regarder L’Ombre d’un doute avec Joseph Cotten, de s’inspirer des méchants dans les films de Hitchcock en général. Toujours bien élévés, polis, bien habillés, sophistiqués. On a beaucoup travaillé sur le regard également. Je ne suis pas du tout dans la politique, mais Sean m’a dit qu’il s’inspirait de l’ancien vice-président Dick Cheney (rires), qui ne laisse aucun sentiments, ni aucune empathie paraître.

 

Critique-film.fr : Certaines scènes du film laissent perplexe et on ne comprend pas toujours exactement ce qu’il se passe ni pourquoi…

Lucky McKee : Je lisais tout à l’heure une critique qui me reprochait de ne pas assez apporter d’explications à mon film. J’ai répondu sur Twitter que je n’étais pas Spielberg. Il y a suffisamment d’indices dans le film, pas toujours dans les dialogues d’ailleurs. Je laisse volontairement le spectateur avec des questions, des doutes… Désorienter le spectateur est l’un des principaux outils des films de suspens. Si l’on explique tout, tout le temps, au spectateur, le film devient jetable. Une fois regardé, plus aucun intérêt de le revoir ou d’en discuter. C’est trop souvent ce qu’imposent les studios aujourd’hui. Je crois sincèrement que Steven Spielberg et Oliver Stone sont en partie responsables. Une heure trente d’excellent cinéma, ruinée par une dernière demi heure d’explications… Ce n’est pas une bonne chose. Il faut sauver le soldat Ryan est un excellent film si l’on en retire 45 minutes. La guerre c’est mal, c’est dur, c’est violent, je le sais déjà, pas besoin d’insister. Full Metal Jacket, voilà un film sur la guerre ! On en ressort avec tant de questions…

 

Critique-film.fr : De nombreuses scènes du film ressemblent à des clips vidéo, comment s’est passé le choix des chansons pour ces scènes qui ont leur importance scénaristique mais qui tranchent aussi avec la tension du film ?

Lucky McKee : Ce sont les clips vidéos qui se sont d’abord inspirés du cinéma ! (rires) J’ai choisi personnellement les principales chansons du film. Elles sont toutes écrites par un seul homme, Sean Spillane. On se connait depuis l’université. On s’était perdu de vue, mais j’ai fait appel à lui pour avoir quelques démo. J’ai directement su que je voulais ses chansons pour le film. Il est ensuite venu sur le tournage pour composer d’autres morceaux en s’imprégnant du film. Sean est très talentueux, je suis très fier de lui et la chanson phare du film, ‘Distracted’ est désormais disponible sur iTunes. C’est seulement 1 dollar ! (rires)

 

Critique-film.fr : C’est votre première visite en France. La réaction du public face à The Woman est-elle la même qu’aux États-Unis ?

Lucky McKee : En fait j’ai plutôt été surpris du calme qui régnait dans la salle. Certains riaient, mais je crois que c’est par gêne… (j’espère ! -rires) J’ai déjà assisté à des séances où le public riait aux éclats durant tout le film. Je ne pense pas que je rirais lors de ma première vision du film. Ensuite on réalise certainement l’absurdité de cette violence et on réagit plutôt à l’humour noir…

Interview Lucky McKee, The Woman, Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg 2011
Sur le tournage de son dernier film, The Woman

 

Critique-film.fr : The Woman est la suite de The Offspring, qui n’avait pas eu de très bonnes critiques… N’était-ce pas risqué de réaliser la suite d’un film si mal accueilli ?

Lucky McKee : The Offspring avait reçu des critiques catastrophiques. Ce qui est amusant, c’est qu’après avoir vu The Woman, les gens vont revoir The Offspring et les critiques en deviennent meilleures… Beaucoup de gens s’inquiétaient pour moi au départ. « Pauvre Lucky qui réalise la suite d’un pauvre film… », mais moi je voyais ça comme une chance. Une chance de travailler sans pression, sans attente. Le film a fini par se retrouver à Sundance, le plus grand festival de cinéma américain ! Le film était diffusé le même soir que Red State de Kevin Smith, alors qu’on n’avait ni bande-annonce, ni même une affiche. Et entre le type qui nous a insulté pendant la scéance et la fille qui s’est évanouie et blessée à la tête, on a généré pas mal de bouche à oreille… Ce qui est sûrement le meilleur moyen pour faire parler d’un film…

 

Critique-film.fr : Ce n’est pas la 1re fois que vous travaillez avec Jack Ketchum. Comment s’est passée votre rencontre, qu’est-ce qui vous a amenés à travailler ensemble ?

Lucky McKee : En fait, il s’agit de ma première véritable collaboration complète avec Jack Ketchum. C’est un ami, grand fan de Stephen King, qui m’en a parlé. Stephen King disait de lui qu’il était l’auteur le plus effrayant des États-Unis. J’ai donc commencé à le lire et j’ai été impressionné. Cet auteur n’a pas peur d’aller explorer les zones les plus sombres de la nature humaine. Je n’irai jamais aussi loin en tant que réalisateur. Après avoir vu May, il a voulu me féliciter et nous avons fini par nous rapprocher au fil des années.

 

Critique-film.fr : Vous mettez très souvent les femmes en avant dans vos films. C’est encore le cas dans The Woman. Est-ce déjà le cas dans le roman, ou est-ce un choix ?

Lucky McKee : Pour May, c’est une histoire très personnelle. Il y a tellement de moi dans le personnage de May. À l’époque, je me suis vraiment caché derrière un personnage féminin. Cela m’a guéri de mes problèmes de l’époque j’imagine. Aujourd’hui, je suis plus relaxé, et j’ai plus confiance en moi. Retravailler avec Angela Bettis a été très tentant, de plus, l’accueil du public incitait à reproduire cette expérience. Paradoxalement, c’est dans The Woman que j’ai développé les meilleurs personnages masculins. Le personnage de Sean est formidable et Zach Rand, pour son premier rôle au cinéma est fantastique. Je crois qu’on entendra parler de lui longtemps et je suis fier de l’avoir dirigé pour son premier film, il est très talentueux.

 

Critique-film.fr : Quels sont vos modèles de réalisateurs ?

Lucky McKee : En entrant en école de cinéma, je voulais être George Lucas et en en sortant je voulais être Martin Scorsese. Au départ je voulais raconter des histoires basées sur les mondes fantastiques, folkloriques et mythologiques. J’ai vite découvert que j’étais bien meilleur pour raconter des histoires où l’on peut ressentir la nature humaine. Sinon des maîtres comme Tobe Hooper, Hitchcock et Romero sont parmi mes favoris. Dès qu’un bouquin sort sur Alfred Hitchcock, je l’achète. Il est un peu le Shakespeare du cinéma, il a créé tellement d’outils qu’on continue tous d’utiliser dans chacun de nos films…

 

Critique-film.fr : Si vous deviez citer un ou deux noms d’acteurs avec lesquels vous souhaiteriez travailler ?

Lucky McKee : Mmm… Difficile ! J’ai toujours voulu travailler avec Gena Rowlands qui a toujours été l’une de mes actrices préférées. Il y a aussi, Larenz Tate, qu’on voit dans plusieurs films des frères Hughes, je ne sais pas pourquoi il n’est pas une immense star, c’est incompréhensible pour moi tant il est talentueux. Et Ryan Gosling m’a vraiment impressionné dans Drive, il parvient à exprimer tellement de choses sans dire un mot… Mais il y en a d’autres, John Goodman, John Turtorro… Il y en a trop !

The Woman de Lucky McKee

Critique-film.fr : Votre avis sur le festival ?

Lucky McKee : Je m’amuse vraiment beaucoup ! Les salles sont intimistes, la ville est superbe… C’est ma 1re fois en France et on y mange très bien ! Que demander de plus ? En plus j’ai rencontré des gens formidables…

 

Critique-film.fr : Que pensez-vous du cinéma d’horreur européen ?

Lucky McKee : C’est fantastique. En faisant The Woman j’ai vraiment cherché à prendre le même genre de risques que prennent les réalisateurs européens. Les films américains sont trop souvent stupides, ils enchainent les morts à l’écran sans de réels effets de peur. Il s’agit trop souvent de films spectaculaires, façon grand huit… C’est pas mal, mais il faut oser la peur, c’est aussi ça le film d’horreur.

 

Critique-film.fr : Quel film vous a vraiment plu ces dernières années, si vous ne deviez en retenir qu’un seul ?

Lucky McKee : Le Labyrynthe de Pan, de Guillermo Del Toro. Tout est dans ce film, les éléments de contes, les horreurs de la guerre, la condition de l’enfant et ses tourments…

 

Critique-film.fr : Aimeriez-vous sortir du registre de l’horreur pour un prochain projet ?

Lucky McKee : Tout à fait. J’aimerais bien un jour réaliser un film d’action, ou même une comédie romantique. Mon prochain film sortira un peu du genre, on sentira toujours que je suis derrière la caméra, mais j’espère qu’il ne sera pas classé comme film d’horreur… plutôt comme un film « Lucky » !

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