Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 3, la sélection officielle

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Pierre-Henri Deleau, dans L'été de Marcel Hanoun

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L’occasion d’une promenade à son image – en toute liberté, et forcément subjective – dans une histoire chargée de découvertes, d’audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Maître d’oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l’âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu’il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilerons sur plusieurs journées.

Pierre-Henri Deleau, dans L’été de Marcel Hanoun

L’arrivée de la quinzaine a permis de faire rapidement évoluer la programmation de la sélection officielle ?

Non, ça a bien pris trois ou quatre ans pour voir les premiers effets. J’ai montré quatre films de Werner Herzog avant le triomphe de Aguirre. On savait alors que le prochain serait en compétition s’il y en avait un ! J’ai montré cinq films de Nagisa Oshima jusqu’à ce que L’Empire des sens soit un tel succès que l’année d’après, il s’est retrouvé en compétition avec L’empire de la passion.

Avec le temps, ça a évolué et d’un seul coup le festival a pris conscience qu’il aurait dû accepter les réformes qu’on demandait ! Car aujourd’hui, il les a acceptées ! On leur disait de ne pas se laisser imposer les films par les pays ! Forcément il y a toujours des vétos des gouvernements ! On avait bien vu qu’il avait fallu retirer Viridiana sur protestation de l’Espagne. Choisissez vous-même, prenez votre liberté ! Et puis assumez ! À l’époque on disait l’URSS présente… Aujourd’hui, c’est c’est «le festival présente». C’est toute la différence, elle est énorme. Parce qu’on PEUT refuser. Et puis le festival était affolé parce que quand ils ne prenaient pas un film brésilien pendant deux ou trois ans par exemple, ils se disaient que les brésiliens n’achèteraient plus de films français. Les producteurs français leur disaient «débrouillez-vous mais prenez-en un» ! Les sections parallèles ont été créées aussi pour changer ça.

Maurice Bessy a été nommé par Robert Favre Le Bret qui, de délégué est devenu président parce qu’il était fatigué et que sa santé n’était plus très bonne. Bessy avait dirigé la revue Cinémonde et s’est dit, ce n’est pas possible, il y a trop de papiers sur la quinzaine, genre c’est lui qui invitait les journalistes et moi qui les détournais pour couvrir la quinzaine. Ça les foutait dans des rages absolument épouvantables ! La Quinzaine, c’est un coucou qui a fait ses nids dans les branches d’un arbre qui existait avant. Bessy a eu l’idée non pas de créer une section mais trois sections pour couler la quinzaine. Il a créé Les Yeux Fertiles (consacré à des œuvres dites théâtrales), Le Passé Composé (des œuvres d’histoire) et Un Certain Regard, mais moi je n’ai jamais compris les distinctions. Le résultat des courses c’est qu’il a absorbé trente ou quarante films sur les trois sections, tout ça pour m’assécher. Puis, il a été viré, Gilles Jacob est arrivé et il a tout regroupé en une seule section, Un Certain Regard que j’appelais au début, en me marrant, «Incertain Regard», c’est facile ! Ça ne lui faisait pas vraiment plaisir, je crois ! Et puis il a eu l’idée de rajouter la mention sélection officielle, c’est l’antichambre de la compétition, soi-disant. En vérité, ça servait de capsule de décompression diplomatique. Quand Bessy ne prenait pas en compétition un film soviétique, il en mettait un dans une des trois sections, en leur disant qu’ils étaient quand même à Cannes. Quand Gilles Jacob est arrivé, les choses ont changé. Lui avait du goût quand même. Je savais que dès qu’un premier film aurait du succès, le deuxième du même réalisateur serait en compétition. C’est ce qui est arrivé avec Spike Lee ou Jim Jarmusch, par exemple.

J’ai toujours dit premier servi, la compétition. Je vois en Allemagne Au fil du temps de Wim Wenders, je suis tellement bouleversé que je lui envoie une belle lettre pour lui dire que je le prends à la Quinzaine. Trois semaines après, il me dit qu’il est pris en compétition. Je trouve ça bien. Tant mieux, le film a marché. Mais par contre, dès que c’était pour Un Certain Regard ou une autre section parallèle, là, pour moi, chacun est à égalité. Évidemment ça ne plaisait pas à Jacob donc il faisait des pressions. Moi je considérais que c’était des sections marginales, même UCR. Qu’on l’ait baptisée officielle ne veut rien dire pour moi. Et donc là c’était coup pour coup, au plus malin. Des fois je prenais l’avion, je passais deux heures à convaincre de me donner le film que je visais. Des fois ça marchait, des fois ça ne marchait pas. Très vite aussi, les producteurs et les distributeurs faisaient du chantage. Paulo Branco qui faisait trois, quatre films par an, avait un Manoel de Oliveira et disait si tu prends un deuxième film (Monteiro par exemple) à la Quinzaine, je ne mettrai pas le Oliveira en compétition. Le Val Abraham a fait un triomphe chez nous et ensuite Oliveira était pris automatiquement à l’officielle.

J’ai montré deux films des frères Taviani : Saint Michel avait un coq et Allonsanfan. Je vais les voir pour un troisième, j’étais devenu très ami avec eux, et ils me montrent leur nouveau film mais me disent «écoute on te le montre, mais on ne te le donnera pas». Je leur demande pourquoi et me disent qu’il sera en compétition à Cannes. Le festival ne l’a pas vu encore, je suis le premier à le voir (c’est eux qui me l’ont dit). Ils me disent «oui, mais on est sur qu’il le prendra». Maurice Bessy a donc pris Padre, Padrone. Il aurait pu être ridicule s’il ne l’avait pas pris ! Il faut comprendre quelque chose. Au fur et à mesure que la critique a commencé à suivre la Quinzaine, d’un seul coup elle disait « ah j’ai vu un truc formidable à la Quinzaine, pourquoi il n’était pas en compétition, alors qu’hier j’ai vu en compétition un truc qui n’était pas bien». C’était insupportable pour le festival, du poil à gratter et ils pouvaient avoir l’air ridicules.

Imaginons un film refusé par la compétition puis par moi, par exemple. Il se retrouve ensuite à Venise. Personne ne saura qu’il a été refusé à Cannes, ils ne vont pas le dire. Moi, on n’a jamais su quand j’étais ridicule. Je savais ce qu’ils avaient loupé mais eux n’ont jamais su ce que j’ai loupé. Moi je le sais par contre ce que j’ai loupé ! Quand on a voulu me faire un hommage pour les trente ans de la quinzaine, j’ai dit « oui, d’accord, mais je prends tous les films que j’ai voulu avoir et que je n’ai pas pu avoir, et puis ceux que j’ai ratés. Comme ça, je complète mes trente ans.» Ils n’ont pas voulu. Ce qu’ils voulaient c’était montrer les succès de la Quinzaine. Du coup, je ne l’ai pas fait, l’hommage je n’en ai rien à foutre. Ce qui m’intéresse, c’est de combler et de comprendre pourquoi j’ai raté tel film à ce moment là alors que je l’avais vu mais pas pris. Je ne parle pas de ceux que j’ai pris et que je n’aurais pas du prendre. Ça, il faut les assumer une fois que vous les avez pris. Mais j’aurais trouvé rigolo de compléter, quoi.

Qu’avez-vous raté par exemple ?

Le film de Wim Wenders, Alice dans les villes, je l’ai vu mais je ne l’ai pas pris. Et je m’en suis beaucoup voulu. Après coup. Mais trop tard. Ce n’est pas une science, vous savez, donc il faut un réseau de correspondants et essayer d’avoir un peu de goût. Le goût, ce n’est pas un truc qui se mesure, il n’y a pas de règles. Vous l’avez ou vous ne l’avez pas. Moi j’étais un fou de cinéma et dès que j’aimais quelque chose, je le prenais. Je disais toujours aux réalisateurs – je ne m’adressais qu’à eux, pas aux producteurs ou à peine – donnez-moi votre film, puisque je veux en parler, le faire partager à mes amis. Je n’ai jamais pris des films que je n’aimais pas.

Jamais vous ne vous êtes dit «je n’aime pas vraiment ce film, mais je lui trouve de l’intérêt et donc je le programme ?»

Non, jamais. Je ne suis pas critique. Quand je refusais un film, je ne faisais aucun retour critique, ni négatif ni positif. Je disais «je n’aime pas assez, donc je ne prends pas. Il y a d’autres festivals, essayez avec eux». Mais quand j’aimais beaucoup, je téléphonais dix fois s’il fallait. Les réalisateurs étaient sensibles au fait que je leur parle de leurs films. Des producteurs de la race des Pierre Braunberger ou Anatole Dauman produisaient des films pas uniquement en espérant ne pas perdre d’argent mais aussi par amour du cinéma. Ils me faisaient une confiance absolue car je défendais leurs films.

Avec le temps, le processus de sélection a évolué ? Vous restiez sur l’idée de ne prendre que des films que vous aimiez ou vous faisiez attention à l’équilibre des origines géographiques ?

On ne décide pas d’une ligne éditoriale. Elle s’impose à vous. Les films, les sujets, c’est l’air du temps. Le dosage, du genre il faut que j’ai tant d’asiatiques ou d’africains, ça ne m’intéressait pas. Je n’ai jamais fait attention à ça. Je n’ai toujours pris que des films que j’aimais et que je pouvais défendre. De ce point de vue là, je n’ai jamais été diplomate. J’allais dans un pays, je me tapais vingt, trente films, je les regroupais à Munich, à Vienne, à Rome et je ne prenais que ce que j’aimais. À partir du moment où vous essayez d’être prudent, ce n’est pas bien. Ce n’est pas comme ça que ça doit se faire.

Entretien réalisé par Pascal Le Duff.

Première partie : les débuts

Deuxième partie : retour sur la première année

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