Festival du Cinéma de Brive 2017 : Jour 2

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Serait-ce le magret de canard de la veille qui a réveillé la compétition ? Une chose est sûre, elle était de meilleur niveau aujourd’hui. On s’est également demandé si un haut de degré de fatigue n’avait pas fait déprécier les premiers films en sélection mais après quelques secondes de réflexion, tout en déambulant dans les étroites rues de la ville, entre les vendeurs de madeleines et les multiples restaurants faisant la promotion des viandes locales, on s’est aperçu que non. La fatigue aurait simplement aidé le sommeil à arriver d’autant plus que les fauteuils rouges de la salle 1 sont confortables, et on était malheureusement réveillé. Mais bienheureux celui qui survit aux turpitudes de la veille car les choses changent ! C’est donc le soleil toujours battant, les bénévoles sur le qui-vive et les poches pleines de tickets repas qu’on est allé affronter ce second jour.

Même la cote de cochon de la Truffe Noire avec ses pâtes aux champignons ne valait pas certains des moyen-métrages du jour. C’est dire s’ils étaient bons. Au programme six films et un bonus. Parmi les six, trois valaient vraiment le coup d’œil.

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D’abord Madame Saïdi de Bijan Anquetil et Paul Costes. Les deux réalisateurs, persanophones et auteurs d’un film sur les affiches de martyrs dans les rues de Téhéran en 2007, ont réussi un documentaire comique autour d’une des femmes les plus pénibles de l’univers. Totalement inconnue chez nous Halimé Saïdi l’était également du public iranien en 2007 lorsqu’elle a alpagué les deux hommes dans la rue en se prétendant actrice. Mais en quelques années les choses ont bien changé, la faute à un programme TV qui a l’air aussi débile que les nôtres : Khosh Neshin Ha – par conséquent vecteur d’une starification maladive et superficielle. Preuve que dans toutes les cultures la télévision affaiblit les esprits. En revenant en Iran en 2014, pour en faire le portrait, sans même connaître le nouveau statut de la vieille dame, les deux cinéastes se sont retrouvés face à une personnalité forte qui leur a permis à la fois de produire un moyen-métrage dans lequel le pacte documentaire est bien affiché, ce qui leur permet d’articuler sans langue de bois les liens entre spectacle (les lecteurs de Debord peuvent reprendre ici le concept à leur sauce), religion et gouvernement. Car madame Saïdi est certes actrice mais documentaire ou fiction, pour elle, tout est similaire puisqu’elle incarne toujours son propre rôle en y adjoignant une pointe d’humour. Du coup, elle veut être payée. Elle n’en démord pas même si le documentaire, lui permettant de faire à manger et le ménage tout en étant filmée, l’arrange bien. Ni elle, ni nous ne savons vraiment quand elle joue. Elle reproduit d’ailleurs sa vie quotidienne – avec monnaie à la clé pour produire des discours en l’honneur des familles de martyrs, elle-même étant mère d’un enfant mort pendant la guerre, dans des lieux de culte du pays – pour la rendre intéressante devant la caméra. Et surtout, les réalisateurs s’amusent de ce personnage aussi loufoque que tragique en la mettant aux prise dans une dernière séquence magistrale avec un véritable acteur iranien, devenu chauffeur de taxi pour l’occasion.

A l’opposé de ce film, A discrétion de Cédric Venail. Il s’agit d’un dialogue en champ-contrechamp dans une pièce close pendant 50 minutes entre deux personnages autour d’un lieu abstrait. A la fois réel car il nous appartient à tous, mais dont on ne saura jamais s’il existe ni ce qu’il est. Un lieu invisible. Et le lieu pour celui qui y passe sans y entrer est une chose, et une autre pour celui qui s’y trouve pris et n’en sort pas ; une chose est le lieu où l’on arrive pour la première fois, une autre celui qu’on quitte pour n’y pas retourner. Et puis, les lieux invisibles sont un rêve qui naît au cœur des villes invivables1. Difficile de savoir si Cédric Venail est calviniste mais son film, plus irréel encore que l’auteur italien, semble le dire, au moins en partie. Pour faire court, dans cet univers moyen, le réalisateur produit du vide sur du vide. Dis comme ça, beaucoup auront envie de fuir et pourtant son film est une vraie réussite. Il avait peur qu’on trouve son film trop théorique. C’est effectivement le cas mais toute théorie n’est pas mauvaise à prendre et surtout, elle est largement équilibrée par un texte sensitif, personnel et universel – le vide, chacun peut se l’approprier – autant que par le jeu envoûtant des deux acteurs (Jacques Nolot prouve encore qu’il est un excellent comédien, dommage qu’il se prenne aussi parfois pour un réalisateur… et Sharif Andoura). Chacun de leur silence, sourire, mouvement fait mouche comme s’ils étaient habités par le texte, ce que capte précieusement la caméra. Si le film ne pourra jamais échapper au théorique, c’est qu’il se pose une question simple de cinéma, qu’il va au bout de ses possibilités quitte à risquer la lassitude du spectateur : comment filmer un dialogue ? Un tel texte serait facilement publiable en l’état et il est aisé de l’imaginer au théâtre. Mais ce que possède le cinéma et que la littérature ou le théâtre n’auront toujours, au mieux, qu’artificiellement, c’est le gros plan, le montage, la perception intime des visages, le changement d’échelle. C’est ceci qui rythme en contrepoint ou en continu cet élan imposé par la voix et le texte.

Et puis, il y a cette ouverture et cette fermeture…

Dernier film intéressant, l’un des plus attendus : Hunchback de Gabriel Abrantes et Ben Rivers. Quand deux des plus importants artistes ciné-vidéastes actuels se rencontrent, cela donne une boutade absurde et grotesque à la narration morcelée. Un film qui refuse le présent pour ne se concentrer que sur le passé et le futur. Le bossu, c’est un homme dans un futur proche qui ne se plait pas à son travail et qui est envoyé dans un univers médiéval « fake » via une machine afin de retrouver un peu de cette humanité primitive. Pour se lâcher un peu en gros. Mais un léger bug se produit : il meurt ! Outre les univers mélangés, autant que le récit non linéaire, l’intérêt réside dans l’utilisation des effets visuels, pris en contre-pied. La réalité n’est pas augmentée par ces effets, mais au contraire, alors qu’ils sont censés, dans la logique narrative, recréer un univers proche du notre, dans les faits ils disparaissent afin de faire apparaître ce monde brut et sans artifice marqué par le Grand-Guignol, la saleté, le sang et les vices. Le moyen-âge est devenu le jeu vidéo réaliste du futur pour les adultes frustrés !

A côté de ces films, on a eu droit à un épisode de Confessions intimes – sans la psy, petit budget oblige – réalisé par un ancien fémisard, Du rouge au front. On a là le film le plus inutile de la compétition pour le moment, d’autant qu’aucun diffuseur de TF1 n’était présent pour l’embaucher ! On a aussi vu le dernier film de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, Mata Atlantica : quelques jolis plans dans un truc ridicule, bancal, sans queue ni tête – contrairement au faune au cœur du film.

Preuve que quand un réalisateur déjà connu veut proposer quelque chose, il est souvent accepté. La prochaine fois, qu’il essaye de filmer à l’envers des éléphants nains peints en vert tentant d’entrer dans des boites de St-Môret avec en surimpression des vidéos youtube de chatons se prenant pour superman et sautant du toit d’un gratte-ciel. On serait curieux de voir dans combien de festivals il sera sélectionné… Sûrement autant. Et puis, un film guyanais sur un récit en forme de conte : de belles images. On a déjà oublié le reste. Son titre était long…

Le bonus c’est le beau ciné-concert donné en plein air dans le centre-ville avec la projection de Claire de Milford Thomas. Le film était assez simple : pastiche de cinéma muet – mais jamais trop démonstratif –, influencé principalement par Méliès, il reprend, en la simplifiant grandement, l’histoire du Conte du coupeur de Bambou (Kaguya-Hime) pour en faire quelque chose de féerique et naïf. Le tout était projeté en 35mm et accompagné des bruits du projecteur qui ajoutaient un côté désuet à la projection, et d’ondes Martenot, magnifique et trop rare instrument. Le plus triste, finalement, est de se dire que s’il a voulu le réalisé comme une œuvre muette, c’est peut-être que le cinéma actuel de prise de vues directes a perdu quelque chose de cette poésie simple des premiers temps qu’il peine désormais à atteindre. Sauf peut-être dans le cinéma d’animation !

1 Toute impression de déjà-lu n’est peut-être pas fortuite.

Nicolas Thys

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