Critique : Eric Clapton : Life in 12 bars

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Eric Clapton : Life in 12 bars

Grande-Bretagne : 2017
Titre original : –
Réalisation : Lili Fini Zanuck
Interprètes : Eric Clapton, B.B. King, George Harrison, Muddy Waters
Distribution : Orsans Distribution
Durée : 2h14
Genre : Documentaire
Date de sortie : 23 janvier 2019

4.5/5

Il s’en est fallu de peu qu’il fasse partie du Club des 27, cet ensemble d’artistes importants appartenant au monde du blues et du rock qui sont morts à l’âge de 27 ans : en 1972, à cet âge fatidique, Eric Clapton était au fond du trou, retiré dans sa résidence du Surrey, totalement accro à l’héroïne. Aujourd’hui, cette figure majeure du blues et du rock est toujours vivante et, ne souhaitant pas qu’on attende sa mort pour réaliser un film sur sa vie, il a pris les devants et a demandé à la productrice et réalisatrice Lili Fini Zanuck de mettre en œuvre ce projet.

Synopsis : Eric Clapton est pour des millions de gens une légende vivante du Blues et du Rock. Véritable icône, il a traversé les décennies, connaissant gloire et successions d’épreuves. Malgré sa pudeur, il nous livre pour la première fois l’ensemble de sa vie y compris ses drames les plus intimes. Mêlant archives personnelles, performances rares et témoignages inédits (B.B. King, George Harrison, Pattie Boyd, Bob Dylan, Steve Winwood…), ce documentaire retrace la destinée emblématique de celui que l’on appelle «GOD»…

Une existence chahutée

A la fin de la première demi-heure de Eric Clapton : Life in 12 bars, on entend Muddy Waters déclarer au cours d’une interview qu’il ne sera jamais possible à de jeunes chanteurs blancs de chanter le blues comme peuvent le faire les chanteurs noirs. La raison ? « Ils n’ont pas assez d’âme, ils n’en ont pas assez bavé ». Cette remarque peut-elle s’appliquer à Eric Clapton, lui pour qui la vie n’a en rien ressemblé à un long fleuve tranquille, même si, aujourd’hui, il vit paisiblement avec femme, enfants et un très coquet compte en banque ? La vie d’un homme qui a été abandonné par sa mère à l’âge de 2 ans, qui, par désespoir amoureux, a sombré dans les drogues et dans l’alcool, un homme dont Conor, son fils adoré, s’est tué à l’âge de 4 ans en tombant du 53ème étage d’un gratte-ciel de New-York.

Cette vie, Lili Fani Zanuck la déroule pour nous avec moult détails, tous plus intéressants les uns que les autres, et aussi quelques oublis mineurs. Une vie qui a donc commencé par un trauma qui a marqué le jeune Eric pour toujours : lorsque, à l’âge, de 9 ans, il a appris que ceux qu’ils croyaient être ses parents ne l’étaient pas, que Rose, qu’il croyait être sa mère était en fait sa grand-mère, que Patricia, qu’on lui présentait comme étant sa grande sœur et qui vivait au Canada, était en fait sa mère. Un choc qui explique la difficulté qu’il a toujours eu à faire confiance aux adultes et qui n’est sans doute pas étranger au chaos qu’a été sa vie sentimentale, tout particulièrement marquée par la passion amoureuse qu’il vouait à Pattie Boyd, alors qu’elle était l’épouse de George Harrison, son meilleur ami.

Un homme excessif

L’impression principale qui ressort de Eric Clapton : Life in 12 bars, c’est que le héros du film ne fait jamais les choses à moitié. Excessif dans sa vie sentimentale, excessif dans son addiction aux drogues les plus dures, excessif dans l’alcoolisme qui a pris la suite, au point d’affirmer que la seule raison pour laquelle il ne s’est pas suicidé durant cette période, c’était qu’il savait que, une fois mort, il ne pourrait plus boire ! Petite remarque perfide : Life in 12 bars, est-ce un sous-titre judicieux pour ce film, même si, bien sûr, il s’agit là de mesures … musicales ?

Heureusement, il y avait un autre domaine dans lequel Eric s’est toujours montré excessif, et, prétend-il, c’est ce qui, finalement, l’a sauvé : son amour pour la musique. Le film nous apprend une anecdote savoureuse : c’est en écoutant, tout petit, une émission de la BBC destinée aux enfants, qu’il a entendu du blues pour la première fois. Le blues, un genre musical qui, à l’époque, n’avait jamais droit de cité sur les ondes britanniques et qui l’a aussitôt accroché.

C’est un tour d’horizon passionnant d’une bonne partie de la musique anglo-saxonne des années 60 et 70 que nous propose Eric Clapton : Life in 12 bars. En commençant, bien sûr, par un petit tour chez (presque) toutes les structures musicales auxquelles Eric a participé : les Yardbirds, qui reprenaient le blues I wish you would de Billy Boy Arnold avec talent mais que Eric a quitté juste après l’enregistrement de For your love, leur futur premier succès, ne supportant pas que le groupe fasse un grand pas vers la pop commerciale ; les Bluesbrakers de John Mayall, avec une excellente reprise de All your love de Otis Rush ; The Cream, groupe formé avec le batteur Ginger Baker et le bassiste Jack Bruce ; Blind Faith, avec Stevie Winwood ; Derek and the Dominos, avec Duane Allman ; et, pour finir, son travail sous son propre nom. Un seul oubli, mineur, car l’expérience a été de courte durée : sa collaboration avec le groupe Delaney & Bonnie, entre Blind Faith et Derek and the Dominos.

Et puis, il y a tout le reste, ses prestations à la guitare lors d’enregistrements d’Aretha Franklin et de George Harrison, les séquences avec Little Walter, Muddy Waters, B.B. King, Bob Dylan, Chuck Berry et Keith Richards, etc.

Un documentaire qui ne cache rien

C’est une amie, une personne qu’il connaissait bien, une réalisatrice pour qui, en 1991, il avait écrit la musique de son seul long métrage de fiction, Rush, que Eric Clapton a choisie pour raconter ce qu’a été sa vie : Lili Fini Zanuck, veuve du célèbre producteur Richard D. Zanuck et productrice elle-même. Malgré les liens entre Eric et la réalisatrice (ou grâce à ses liens, qui sait ?), le film n’élude pas, et c’est heureux, les éléments les plus troubles du personnage. Les drogues et l’alcool, bien sûr, mais aussi les propos ouvertement racistes qu’il a tenus le 5 août 1976, lors d’un concert à Birmingham, apportant son soutien au très controversé Enoch Powell, affirmant que l’Angleterre était en train de devenir une colonie noire et reprenant le slogan du National Front britannique : « Keep Britain white ! ». Curieux discours, comme Eric Clapton le reconnait lui-même, de la part d’un homme qui n’a jamais cessé de défendre les musiques noires et dont la moitié des amis étaient noirs. Une excuse ? L’alcool, dont il était très imbibé ce soir là, comme tous les autres jours à cette époque.

Parmi toutes les façons de réaliser un documentaire / biopic, le choix s’est porté, assez naturellement sur un mélange d’interviews et d’images d’archive, dont beaucoup jamais vues sur grand écran. C’est pourquoi, il est important de mentionner à côté de la réalisatrice, à côté du Producteur exécutif John Battsek, déjà producteur de Sugar Man, l’excellent documentaire consacré à Sixto Rodriguez, le travail effectué par Chris King, le monteur.

Conclusion

Sugar Man, documentaire consacré à un chanteur qui était alors pratiquement inconnu dans notre pays, avait réussi en 2012 a attiré un public conséquent dans les salles. On peut donc penser (et espérer !) que Eric Clapton : Life in 12 bars, excellent documentaire consacré à un artiste renommé, et même adulé par beaucoup, va sans problème rencontrer son public. Un public qui comprend bien sûr tous les amateurs de rock et de blues, mais qui devrait inclure aussi toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à la face sociologique de la musique populaire.

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