Critique : Ziyara

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Ziyara

France : 2020
Titre original : –
Réalisation : Simone Bitton
Scénario : Simone Bitton
Distribution : JHR Films
Durée : 1h39
Genre : Documentaire
Date de sortie : 1er décembre 2021

3.5/5

Simone Bitton est une réalisatrice de documentaires qui possède la double nationalité franco-marocaine. Sa famille ayant émigré en Israël alors qu’elle avait 11 ans, elle faisait partie de l’armée israélienne lors de la guerre du Kippour en 1973. C’est à Paris qu’elle a ensuite fait ses études de cinéma, à Paris qu’elle a obtenu son diplôme de l’IDHEC. Elle a consacré de nombreux films à la cause palestinienne à laquelle elle est très sensible. En 2018, elle a été, avec près de 100 personnalités du monde la culture, une des signataires d’une pétition appelant à boycotter la saison culturelle « France-Israël » considérée comme une vitrine de l’Etat d’Israël au détriment du peuple palestinien.

Synopsis : Au Maroc, la ZIYARA (visite des saints) est une pratique populaire que juifs et musulmans ont toujours eu en partage. Le film est un road movie au pays natal, un pèlerinage cinématographique où la réalisatrice va à la rencontre des gardiens musulmans de sa mémoire juive.

D’un sanctuaire à l’autre

Dans les années 50, la communauté juive marocaine comptait environ 250 000 personnes. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques centaines de familles tout au plus. Que s’est-il passé entre temps ? Les causes sont nombreuses, la guerre des 6 jours de juin 1967 ayant contribuer à accélérer un mouvement de départ qui avait déjà commencé plusieurs années auparavant. Parmi ces nombreuses causes, il est important de noter qu’on ne trouve aucune trace d’un antagonisme entre la population juive et la population musulmane, bien au contraire. Simone Bitton, dont la famille faisait partie de cette communauté et a quitté le Maroc en 1966, a voulu retourner sur les lieux de son enfance et s’est intéressée dans Ziyara à la façon dont sont dorénavant entretenus dans ce pays les lieux de culte et les cimetières israélites.

Ce « road movie » dans lequel la réalisatrice roule en voiture d’un sanctuaire à l’autre lui a permis de rencontrer des hommes et des femmes qui prennent soin, qui d’une synagogue, qui du mausolée d’un saint, qui d’un cimetière juif. Pour ces musulmans et ces musulmanes, « c’est la foi qui compte » et, quelle qu’elle soit « La parole de Dieu, on n’y touche pas, on doit en prendre soin ». De toute façon, nombre des saints vénérés par les juifs le sont également par les musulmans. Quant aux liens qui, auparavant, existaient au Maroc entre les juifs et les musulmans, ils étaient particulièrement cordiaux : ils grandissaient ensemble, ils fréquentaient les mêmes écoles, ils pratiquaient ensemble les mêmes jeux. Et, comme l’avoue très sérieusement un vieux marocain sur un point très particulier qui pourrait prêter à rire mais qui, à sa façon, prouve ce qu’il avance : « les gens se complétaient ». « Quand tu avais des grenades trop mures, tu allais au mellah (quartier juif au Maroc) et on te les achetait. Tu ne peux pas faire de l’eau-de-vie, mais tu l’amènes chez un juif, lui il peut distiller la mahia (eau-de-vie en arabe). Ça ne se perd pas et tu as ton argent. Cet argent est autorisé par la religion. Les gens se complétaient, c’est ce qui manque depuis que les juifs sont partis ». « C’est dommage », « c’est triste », tels sont les mots qu’on entend s’agissant du départ des juifs. On entend même « J’espère qu’ils reviendront avec leurs valises. On a perdu beaucoup. C’est la politique ». En attendant, les juifs de la diaspora sont toujours bien accueillis quand ils viennent pour quelques jours, que ce soit pour visiter les tombes de leurs ancêtres ou à l’occasion d’une « hiloula », une de ces manifestations qui voit des pèlerins se rendre sur le lieu de la sépulture d’un saint et y festoyer en chantant, dansant, en déposant des aliments ou des boissons sur les pierres tombales et en déclamant des psaumes.

Un récit d’espoir

Ziyara, le titre du film de Simone Bitton, est un mot arabe qui signifie pèlerinage, visite, voyage. Au Maroc, il est utilisé surtout dans le cadre de la visite des saints, une pratique très populaire tout autant chez les juifs que chez les musulmans. Une visite que la réalisatrice a réalisée, elle qui se définit comme étant mécréante, et qui lui a permis de constater l’excellent état dans lequel se trouvaient les synagogues et les cimetières juifs, grâce à des hommes et à des femmes d’une autre religion. Comme le dit un des protagonistes : « c’est un récit d’espoir dans un monde rempli de haine, de xénophobie, d’islamophobie et d’antisémitisme ». Un protagoniste vivant dorénavant aux Etats-Unis et d’autant mieux placé pour dire ces mots que, étant originaire du sud du Maroc, il a connu dans sa jeunesse une forme de stigmatisation en tant que noir et que le fait d’avoir professionnellement travaillé sur le sujet juif lui a permis d’approfondir sa connaissance de la différence, du fait d’être minoritaire et ce fut pour lui une libération. 

Ce retour au Maroc a permis à Simone Bitton de retrouver, enfouie dans sa mémoire, la pratique du darija, le dialecte arabe marocain qu’elle utilisait dans sa jeunesse et qu’elle pensait avoir complètement oublié. Aucun commentaire dans ce documentaire, seulement des dialogues en darija, en français ou en anglais, entre Simone Bitton et les personnes qu’elles rencontrent. Des personnes que l’on voit alors qu’on ne voit jamais la réalisatrice. Un film remarquablement photographié par Jacques Bouquin avec beaucoup de plans fixes aux cadrages magnifiques et la mise en valeur très réussie de la beauté des couleurs du Maroc, tant en milieu naturel que dans les portes et les fenêtres des maisons, même les plus humbles. 

Conclusion :

Il arrive que, dans des temps bien trop troublés par l’intolérance et les appels à la haine, un film arrive à vous redonner de l’espoir. C’est le cas de Ziyara, cette visite du passé juif du Maroc effectuée par Simone Bitton. Une visite que cette mécréante revendiquée termine par « Merci aux gardiens musulmans de ma mémoire juive ».

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