Critique : Yalda, la nuit du pardon

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Yalda, la nuit du pardon

Iran : 2019
Titre original : Yalda
Réalisation : Massoud Bakhshi
Scénario : Massoud Bakhshi
Interprètes : Sadaf Asgari, Behnaz Jafari, Babak Karimi
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 1h29
Genre : Drame
Date de sortie : 7 octobre 2020

4/5

Il y a 8 ans, le réalisateur iranien Massoud Bakhshi, jusque là spécialisé dans les documentaires, avait proposé son premier long métrage de fiction, Une famille respectable. Bien que ce film ne soit jamais sorti en Iran, sa description d’un pays kafkaïen gangréné par la corruption  lui avait valu de nombreux problèmes, certains allant jusqu’à réclamer sa pendaison dans la presse. La peine de mort, il en est justement question dans Yalda, la nuit du pardon, un film qui, cette fois-ci, a été projeté en Iran, dans le cadre d’un Festival, et qui s’est vu attribuer le Grand Prix du Jury lors du Festival de Sundance en janvier dernier.

Synopsis : Iran, de nos jours. Maryam, 22 ans, tue accidentellement son mari Nasser, 65 ans. Elle est condamnée à mort. La seule personne qui puisse la sauver est Mona, la fille de Nasser. Il suffirait que Mona accepte de pardonner Maryam en direct devant des millions de spectateurs, lors d’une émission de téléréalité. En Iran cette émission existe, elle a inspiré cette fiction.

Une émission incroyable mais qui existe vraiment

Confortablement installé.e dans votre canapé, vous êtes en train de regarder les actualités à la télévision. On est un 1er avril et voici un journaliste qui parle d’un pays qui pratique encore la peine de mort mais dans lequel une condamnée vient d’échapper à ce châtiment suprême en étant pardonnée en direct par la famille de sa victime au cours d’un show télévisé regardé par tout le pays. Ils ne savent plus quoi inventer en matière de poisson d’avril, vous dites vous ! Eh bien, ce très gros poisson d’avril n’en est pas un. En effet, ce pays existe, c’est l’Iran, et de telles émissions y ont trouvé leur place. Pour ce 2ème film de fiction, Massoud Bakhshi s’est emparé du sujet et il l’a traité en mettant à profit ses qualités de documentariste. Très ironiquement, le réalisateur a baptisé « Le plaisir du pardon » l’émission qu’on voit se dérouler pratiquement en temps réel dans Yalda, la nuit du pardon, une émission qui, cette fois ci, se déroule la nuit du Yalda, une fête persane qui marque à la fois la plus longue nuit de l’année et le début de l’hiver.

La condamnée s’appelle Maryam, elle a 22 ans et elle a tué accidentellement Nasser, âgé lui de 65 ans, l’homme qu’elle a épousé dans le cadre d’un mariage temporaire. Qui plus est, affolée et croyant son mari mort sur le coup, elle s’est enfuie sans prévenir les secours alors que Nasser aurait pu être sauvé si les secours étaient arrivés rapidement. Face à elle, celle qui pourrait lui laisser la vie sauve en lui pardonnant, c’est Mona, la fille de Nasser, une femme que Maryam connait depuis sa plus tendre enfance et qu’elle considère comme sa grande sœur, même si il existe entre elles une importante différence quant au milieu d’origine, le père de Maryam ayant été le chauffeur du père de Mona.

Une fiction tournée comme un documentaire

Ce n’est pas parce que Yalda, la nuit du pardon est une fiction que Massoud Bakhshi allait oublier de mettre à profit ses qualités de documentariste. Par exemple, pour lui, il était de première importance de tourner son film dans un véritable studio de télévision et, n’en trouvant pas de disponible, il a décidé d’en faire construire un, plateau et régie. Trois lieux réunissent la très grande majorité des scènes : le plateau, la régie et le local d’accueil du studio. Une caméra d’une grande agilité nous conduit sans temps mort d’un lieu à l’autre, d’un personnage à l’autre. On vit auprès de Maryam son attente pleine de nervosité, ses discussions avec sa mère, ses requêtes auprès de Ayat, le producteur de l’émission. On assiste aux divergences entre Ayat et la responsable de la chaîne. On assiste aux décisions extrêmement rapides concernant le déroulement de l’émission qui doivent être prises en régie, suite aux rebondissements qui émaillent le cours de l’histoire. Ces rebondissements qui, parfois, peuvent apparaitre comme étant peu crédibles et mélodramatiques, le réalisateur insiste sur le fait qu’ils sont tous issus d’évènements réels de la société iranienne.

Si on a déjà une certaine connaissance de la réalité iranienne, on n’est pas franchement étonné d’apprendre que le mariage de Maryam avec Nasser était un mariage temporaire. On n’est pas étonné non plus que Mona puisse penser que Maryam recherchait un avantage financier dans ce mariage. Par contre, on s’étonne que, dans une émission où se joue la vie d’une femme, la variété chantée trouve quand même sa place. Par contre, on s’offusque qu’il soit demandé aux spectateurs d’exprimer par SMS leur choix pour ou contre le pardon, le résultat de ce vote ayant une incidence sur la somme appelée « Prix du sang » que recevra Mona si elle accorde son pardon. Par contre, on tombe de sa chaise quand on constate que la justice, en la personne d’un procureur présent sur le plateau, cette justice qui a prononcé la condamnation à mort de Maryam, est la première à chercher à convaincre Mona d’accorder son pardon. Un épisode, toutefois, n’est pas fondé sur des faits réels : l’intervention d’une étudiante de l’Université d’amélioration et de pratique de la morale. Cette Université n’existe pas, mais l’évoquer permet de nous questionner sur la place de la morale dans toute cette histoire.

Une excellente distribution

Sadaf Asgari, l’interprète de Maryam, fait partie de la nouvelle génération de comédiennes iraniennes et, avant ce premier rôle dans Yalda, elle n’avait tourné que dans un nombre limité de courts et de longs métrages. Son énergie et sa motivation pour avoir le rôle, le fait que plusieurs détails concernant son existence faisaient qu’elle était très proche du personnage, tous ces éléments ont convaincu Massoud Bakhshi de lui donner ce rôle. Un choix particulièrement heureux, la jeune comédienne étant tout aussi convaincante dans la première partie du film, celle où elle attend dans les coulisses, nerveuse, à fleur de peau, n’arrêtant pas de se gratter, que dans la deuxième partie, celle du show télévisée, où elle doit passer du ressentiment au remerciement en passant par la supplication. L’habileté suprême du réalisateur et de la comédienne est d’arriver à ce que nous, spectateurs, restons jusqu’au bout dans l’impossibilité de trancher de façon certaine quant à la sincérité de Maryam. Beaucoup plus connus sont les interprètes de Mona et de Ayat, le producteur de l’émission. En effet, Behnaz Jafari, l’interprète de Mona, avait déjà des rôles importants dans Tableau noir de Samira Makhmalbaf ainsi que dans Une famille respectable, le film précédent de Massoud Bakhshi, mais c’est dans Trois visages de Jafar Panahi qu’elle tenait son rôle le plus important : celui d’une célèbre actrice ayant pour nom … Behnaz Jafari ! Son rôle dans Yalda est particulièrement délicat, devant montrer un visage impassible et d’une grande sévérité tout en laissant deviner une once d’empathie pour Maryam.  Babak Karimi, l’interprète de Ayat, a tourné à 3 reprises dans des films de Asghar Farhadi, et il était un père de famille d’origine pakistanaise dans Noces, l’excellent film  de Stephan Streker. Jouer un homme plein d’autorité, il sait faire, et sans avoir à surjouer ! Quant au rôle de la mère de Maryam, une femme particulièrement manipulatrice, il est parfaitement tenu par Fereshteh Sadre Orafaiy.

Conclusion

Petit à petit, grâce au cinéma et malgré les interdictions faites à certains cinéastes de réaliser des films (mais ils en réalisent quand même !), la réalité iranienne nous est de plus en plus accessible : un pays qui apparait très moderne en ce qui concerne la plupart des évènements qui jalonnent la vie quotidienne et très rétrograde quant au statut de la femme et aux droits humains en général. Par contre, si l’on savait que la peine de mort continuait d’être pratiquée dans ce pays, si l’on savait que, en cas de meurtre, la sentence n’était pas exécutée si la famille de la victime pardonnait à l’accusé.e, la plupart d’entre nous ignorait que ce pardon pouvait être obtenu au cours d’un show télévisé diffusé en direct, avec vote des téléspectateurs pour appuyer ou non ce pardon. Grâce à Yalda, la nuit du pardon, film passionnant et sans temps mort, voici un nouveau pan de la réalité iranienne qui ne nous est plus inconnu !

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