Critique : Une vie démente

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Une vie démente

Belgique : 2020
Titre original : –
Réalisation : Ann Sirot, Raphaël Balboni
Scénario : Ann Sirot, Raphaël Balboni
Interprètes : Jo Deseure, Jean Le Peltier, Lucie Debay, Gilles Remiche
Distribution : Arizona Distribution
Durée : 1h27
Genre : Comédie, Drame
Date de sortie : 10 novembre 2021

3.5/5

Après avoir réalisé 4 court-métrages en commun, le couple vivant en Belgique et formé par Ann Sirot, aux origines américaines, et Raphaël Balboni, aux origines italiennes, a pensé que le temps était venu de réaliser son premier long métrage. Une vie démente a été présenté dans de nombreux festivals et la réception qui lui a été faite a toujours été excellente.

Synopsis : Alex et Noémie voudraient avoir un enfant. Leurs plans sont chamboulés quand la mère d’Alex, Suzanne, adopte un comportement de plus en plus farfelu. Entre l’enfant désiré et l’enfant que Suzanne redevient, tout s’emmêle. C’est l’histoire d’un rodéo, la traversée agitée d’un couple qui découvre la parentalité à l’envers !

Démence sémantique

Il n’y a aucune exagération à affirmer que la première scène de Une vie démente est absolument désopilante, avec ce couple de trentenaires, Alex et Noémie, qui aimerait bien qu’on lui fournisse le mode d’emploi précis de la mise en route d’une grossesse. On pense être parti pour une comédie très drôle, mais on va vite s’apercevoir que ce n’est pas vraiment le cas. Non pas que le film cesse tout d’un coup d’être drôle, il l’est toujours, même s’il l’est moins que dans cette scène d’ouverture. Non, ce qui ne convient pas dans « comédie très drôle », c’est le mot comédie. On connaissait les comédies, les drames, les comédies dramatiques et les tragi-comédies, mais on avait moins souvent rencontré au cinéma le genre dans lequel peut être « rangé » Une vie démente, le drame comique. En effet, dans la foulée de cette scène d’introduction, on rencontre Suzanne, la mère d’Alex, qui, dans un premier temps, tient à offrir au couple la meilleure literie possible, une femme qui apparait comme étant très fantasque et dont on va s’apercevoir petit à petit qu’elle est bien plus que fantasque, qu’elle est malade, qu’elle souffre de démence sémantique.

Cette maladie dégénérative cérébrale, qui se traduit pour Suzanne par une grandes difficultés pour nommer, comprendre et reconnaître les objets  ainsi que pour reconnaître certaines personnes, a ceci de particulier qu’elle provient d’une atrophie de la partie antérieure des lobes temporaux et, qu’à ce titre, Suzanne n’a pas conscience qu’elle est malade. Pire : elle est persuadée que ce sont les autres qui sont malades lorsqu’ils sont en opposition avec elle. Le comportement à la fois dramatique et drôle de Suzanne, Ann Sirot et Raphaël Balboni le connaissent bien, la mère de ce dernier souffrant de cette maladie. Toutefois, plutôt que de limiter leur film à un apitoiement sur les difficultés rencontrées quand on doit prendre un charge un parent atteint de démence sémantique, ils ont décidé de montrer que le versant dramatique et triste que représentaient ces difficultés était accompagné d’un versant riche en réflexion et joyeux, avec, comme résultat, un film qu’on peut qualifier de drame comique. En tout cas, on remarquera que la Belgique nous a offert en l’espace de quelques semaines un film, Les intranquilles, de Joachim Lafosse,  sur les difficultés rencontrées par une famille dont l’un des membres est bipolaire, et ce film, Une vie démente, sur les difficultés rencontrées par un jeune couple dont un des membres a un parent qui souffre de démence sémantique.

Une façon de travailler très particulière … mais efficace !

La façon de travailler de Ann Sirot et de Raphaël Balboni est très particulière : à partir d’une ébauche de scénario, le couple commence par réaliser avec les futurs interprètes un brouillon de ce que sera leur film, un brouillon évolutif qualifié d’ « étalé » et qui permet de faire évoluer le scénario. Au moment du tournage, il n’y a pas de texte écrit pour les comédien.ne.s mais on ne peut pas vraiment parler d’improvisation dans la mesure où tout ce qui s’est passé en amont leur permet de bien connaître les scènes à interpréter, y compris le sens général des dialogues. Une fois l’ensemble des scènes tourné et un premier montage disponible, Ann et Raphaël ont organisé plusieurs mercredis de suite des séances repas + test : chaque fois, les 4 convives, 2 hommes, 2 femmes, 2 personnes travaillant dans le monde du cinéma, 2 personnes n’étant pas dans cette profession, étaient invité.e.s à s’exprimer sur ce qu’ils avaient vu, sur ce qu’ils avaient compris et, surtout, sur ce qui pouvait être raccourci, que ce soit pour une scène entière ou pour une scène pouvant être raccourcie. 14 séances repas + test ont permis d’aboutir au montage final, avec une durée qui était passée de 2 heures à 1 heure 27. Au bout du compte, le film s’avère être sans gras superflu, ce résultat étant renforcé par un usage fréquent, à la fois malin et efficace, du procédé jump cut.

Une excellente distribution

La façon de travailler de Ann Sirot et Raphaël Balboni n’est possible qu’à condition de disposer de très bons comédien.ne.s. Jo Deseure, l’interprète de Suzanne est surtout une actrice de théâtre et on la voit peu au cinéma. Elle est parait-il très fantasque dans la vie, presque punk dans son comportement. Ce rôle de femme atteinte de démence sémantique était fait pour elle ! En retour, il l’a parait-il pas mal changée : il l’autorise dorénavant à adopter des comportements qu’elle n’aurait pas osé adopter dans le passé ! Lucie Debay, l’interprète de Noémie, est une magnifique jeune comédienne qu’on avait beaucoup appréciée il y a 5 ans dans l’excellent Melody de Bernard Bellefroid. Les comédiens sont un peu en retrait par rapport aux comédiennes, ce qui n’empêche pas de louer la prestation de Jean Le Peltier dans le rôle d’Alex et celle de Gilles Remiche dans celui de Kevin, l’aide à la personne engagé par Alex et Noémie pour s’occuper de Suzanne. Gilles Remiche, réalisateur de documentaires, a considéré son travail contre entrant dans le champ du documentaire et il a suivi pendant quelque temps le travail d’un véritable aide à la personne afin de s’imprégner d’un savoir faire qu’il ne connaissait pas.

Conclusion

Dans un couple, avoir le père ou la mère d’un des membres souffrir de démence sémantique n’est pas chose facile et les répercussions que cet état de fait peut avoir sur la vie du couple ne sont pas toujours très joyeuses. Le couple formé par Ann Sirot et Raphaël Balboni connait cette situation mais il a pourtant choisi d’utiliser le rire pour accompagner ce drame et force est de reconnaître que ce couple drame/comédie fonctionne très bien. Une raison parmi d’autres : la grande qualité de l’interprétation. 

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