Critique : Tu mourras à 20 ans

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Tu mourras à 20 ans

Soudan : 2019
Titre original : You will die at 20
Réalisation : Amjad Abu Alala
Scénario : Amjad Abu Alala, Yousef Ibrahim
Interprètes : Mustafa Shehata, Islam Mubarak, Mahmoud Elsaraj, Bunna Khalid
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 1h43
Genre : Drame
Date de sortie : 12 février 2020

4/5

Tu mourras à 20 ans est le 8ème long métrage de fiction de toute l’histoire du cinéma soudanais. Il faut dire que le Soudan a vécu 30 années d’obscurantisme sous la férule de Omar el-Bechir. Avec la révolution qui a abouti en avril dernier à la destitution de ce dictateur, le cinéma soudanais sort de sa léthargie, au point que, en l’espace de deux mois, deux films soudanais sont arrivés sur nos écrans, des films aidés par d’autres pays au niveau de la production : le documentaire Talking about trees de Suhaib Gasmelbari et le film de fiction Tu mourras à 20 ans de Amjad Abu Alala. Agé de 37 ans, ce réalisateur et homme de théâtre soudanais est né à Dubaï et il y a passé les premières années de sa vie. Il a passé 5 années au Soudan durant son adolescence et il vit actuellement aux Emirats Arabes Unis. Tu mourras à 20 ans est son premier long métrage. Retenu dans la sélection Venice Days lors de la dernière Mostra de Venise, ce film s’est vu attribué le Prix Luigi de Laurentiis du meilleur premier film, l’équivalent de la Caméra d’Or du Festival de Cannes.

Synopsis : Soudan, province d’Aljazira, de nos jours. Peu après la naissance de Muzamil, le chef religieux du village prédit qu’il mourra à 20 ans. Le père de l’enfant ne peut pas supporter le poids de cette malédiction et s’enfuit. Sakina élève alors seule son fils, le couvant de toutes ses attentions. Un jour, Muzamil a 19 ans….

La prédiction du cheikh

Dans ce petit village de la province d’Aljazira, un des fiefs du soufisme au Soudan, la venue du cheikh Al Khalifa fait figure d’événement. Sakina, la maman de Muzamil, veut en profiter pour qu’il bénisse ce très jeune fils dont le prénom a été choisi en l’honneur du prophète. « Je demande à Dieu qu’il fasse la joie de ses parents », proclame le cheikh alors que, dans le même temps, un des derviches qui l’accompagnent énumère ses louanges à dieu et s’écroule lorsqu’il arrive à la vingtième. « Sacrée est la volonté de dieu » : cet évènement inattendu est interprété comme la prédiction de la mort de Muzamil lorsqu’il atteindra 20 ans. Une prédiction qui va bouleverser la vie familiale et, tout particulièrement, celle de Muzamil, tiraillé entre son désir de servir dieu à l’école coranique, au point d’être le premier du village à pouvoir réciter le Coran selon les deux lectures de Hafs et d’Al-Duri, raillé par les gamins de son âge qui le surnomment « Fils de la mort », empêché d’avoir une vie amoureuse normale malgré l’amour que lui porte la très belle Naiema et amené à réfléchir sur le sens de la vie par Sulaiman, un homme du village passionné de cinéma, aimant boire et aimer, qui préconise à Muzamil d’essayer le péché (Comment se détourner du péché si on ne l’a jamais commis ?) et qui l’interroge sur l’utilisation de son cerveau : « Tu ne l’utilises pas pour penser ? Juste pour mémoriser des mots ? ».

Un microcosme du Soudan

Même si la dernière révolution soudanaise a permis de donner un peu plus de liberté au peuple de ce pays, il a quand même fallu un courage certain à toute l’équipe qui s’est impliquée dans la réalisation de Tu mourras à 20 ans. En effet, à sa façon, sans démonstration ostentatoire, avec beaucoup de finesse, Amjad Abu Alala a fait de son film, dédié aux victimes de la révolution soudanaise, un plaidoyer en faveur de l’éducation, de la culture et des libertés, que ce soit la liberté de penser par soi-même ou celle de choisir son existence, en faisant fi autant que faire se peut des superstitions et des diktats religieux. Tout cela dans un environnement quand même pas franchement favorable !  Le courage qu’il a eu, on le retrouve, peut-être plus grand encore, le réalisateur ne vivant pas au Soudan, chez les interprètes du film et chez les techniciens soudanais, car si tous les chefs de poste de l’équipe technique étaient étrangers, tous leurs assistants étaient soudanais.

Avec Muzamil et les  4 personnes proches de lui à un moment ou à un autre, le film présente un microcosme du Soudan d’aujourd’hui : son père qui, très vite après l’annonce de la prophétie, choisit de partir à l’étranger. Peut-être, comme il le dit, pour gagner de l’argent pour sa famille ; peut-être, aussi, pour ne pas avoir à supporter les effets délétères de la prédiction. Sa mère, qui croit dur comme fer à cette prophétie, qui pense que l’école n’apportera rien à son fils  (A quoi bon apprendre s’il doit mourir ? Pourquoi perdre du temps à lire d’autres livres que le Coran ?) et qui revêt les habits de deuil bien avant la date fatidique ; Sulaiman, un homme libre, qui aime la vie, qui boit de l’alcool sans se cacher, qui aime le cinéma et qui, devenu une espèce de père de substitution pour Muzamil, aimerait voir ce dernier se détacher des superstitions et des commandements religieux. Naiema, la jeune fille amoureuse de Muzamil, une jeune fille entreprenante qui nous amène à penser que, au Soudan comme dans de nombreux endroits, la femme est l’avenir de l’homme. Quant à Muzamil, il représente le basculement qui est en train de s’opérer au Soudan, en jeune homme élevé dans l’obscurantisme et qui, aujourd’hui, s’éveille au monde.

Un véritable enchantement visuel

Très réussi au niveau du fond, Tu mourras à 20 ans l’est également au niveau de la forme. En effet, ce film tourné dans le format 2.35 : 1, avec une caméra Arri Alexa, est un véritable enchantement visuel. Que ce soit dans l’utilisation de la lumière, dans des gros plans sur des visages ou dans un certain nombre de scènes magnifiquement filmées comme celle où Sakina, la mère de Muzamil, habillée en noir, est au milieu d’un grand nombre de derviches habillée en blanc et portant une toque rouge, Sébastien Goepfert, le Directeur de la photographie, déjà présent, entre autres, sur A peine j’ouvre les yeux et sur Petit paysan, a fait un travail en tous points remarquable.

A part Islam Mubarak et Mahmoud Elsaraj, les interprètes de Sakina et de Sulaiman, tous les autres interprètes du film sont des non-professionnels : pas étonnant pour un pays qui n’a pas de tradition cinématographique. C’est ainsi que Mustafa Shehata, Muzamil dans le film, est assistant médical, Bunna Khalid, l’interprète de Naiema, étant elle mannequin. 

Conclusion

Pour Amjad Abu Alala, « il est triste qu’un pays comme le Soudan n’ait pas de cinéma national, mais c’est aussi une opportunité, parce que cela signifie qu’il y a beaucoup d’histoires qui n’ont pas été racontées ».  Si, grâce à toutes ces histoires, les futurs films de ce pays ont les mêmes qualités que Tu mourras à 20 ans, le cinéma soudanais et les cinéphiles du monde entier ont de beaux jours devant eux.

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